Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
F

futurisme

Le nom de ce mouvement artistique et littéraire italien du XXe s. est dû à l'écrivain F. T. Marinetti, fondateur du mouvement ; il en exprime le programme et l'idéologie, qui consistent en l'exaltation du " futur " et des nouveaux mythes de la société moderne : la machine, la vitesse, le " dynamisme ".

Les manifestes

Le Futurisme naquit officiellement à Paris avec la publication dans le Figaro du 20 février 1909 du Manifeste du Futurisme, rédigé par Marinetti. Sa version italienne a été publiée à Milan dans la revue Poesia de février-mars 1909, et rétrodatées au 11 février. Son orientation théorique fut ensuite définie en Italie à travers une production intense de manifestes non seulement recouvrant le domaine des arts figuratifs (puis de la littérature, du cinéma et de la musique), mais aussi avouant des intentions politiques, comme en témoignent les manifestes de 1909, de 1911, de 1915 ; en 1918 paraît le Manifeste du parti politique futuriste, en 1920, celui, rédigé uniquement par Marinetti, intitulé Au-delà du communisme. En outre, une série de manifestes définit progressivement l'aspect plus strictement esthétique du mouvement : Tuons le clair de lune (1909), Manifeste contre Venise passéiste (1910), Manifeste contre Montmartre (1913). Le premier manifeste consacré aux arts plastiques est le Manifeste des peintres futuristes (11 février 1910), signé par tous les peintres du groupe : Boccioni, Balla, Carrà, Severini et Russolo. Il fut suivi, le 2 avril de la même année, par le Manifeste technique de la peinture futuriste et, en 1912, par le Manifeste technique de la sculpture futuriste, signé par le seul Boccioni, qui reprenait, dans une formulation plus approfondie, les théories du mouvement. Le Manifeste de l'architecture futuriste fut publié en 1914 par l'architecte du groupe, Antonio Sant'Elia, qui fut, avec Boccioni, l'un des théoriciens les plus rigoureux du Futurisme. Contrairement aux autres mouvements artistiques italiens de l'époque, le Futurisme fut l'objet, en dehors des manifestes, de nombreuses considérations théoriques dues aux protagonistes : Boccioni, Sant'Elia, Carrà, Severini, Soffici. On peut même affirmer que l'une des caractéristiques de sa genèse fut la priorité de sa définition idéologique avant l'accomplissement d'une véritable révolution formelle, qui se révèle, dans les œuvres réalisées entre 1909 et 1912, extrêmement lente et parfois contradictoire.

Les centres d'élaboration du mouvement

Les principaux centres d'élaboration et de diffusion furent Milan, Rome et Florence. À Milan, la doctrine prit forme à travers les manifestes mentionnés plus haut. Mais c'est à Rome, dans l'atelier de Balla, que s'organisèrent les débuts du Futurisme : abstraction faite de tout programme et de toute théorie, on peut saisir dans l'œuvre de Balla, à partir de 1904, de nouvelles idées et de nouvelles recherches qui marquent déjà le dépassement du Divisionnisme. L'intérêt pour des thèmes neufs (les motifs sociaux particulièrement actuels, comme le travail et la vie des banlieues populaires récentes) se joint à une interprétation volontairement antirhétorique et objective de la réalité, qui montre le dépassement de la vision populiste et romantique des symbolistes. De là naquit l'intérêt pour le document social et la célébration d'une civilisation urbaine et " moderne ", qui sera un élément constitutif de la poétique futuriste. En même temps, dans les peintures contemporaines de Balla, les principes formels du Divisionnisme évoluent vers un langage plus " scientifique " et dénué de tout élément subjectif et " impressionniste " : l'extrême simplification du motif, dépouillé de toute donnée anecdotique ou sentimentale ; la mise en page de l'image, audacieuse et neuve, avec une évidente valeur dynamique ; la nouvelle fonction de la lumière, qui n'est plus allusive ou symbolique, mais ressentie comme possibilité, à la fois objective et mentale, de décomposer l'image dans un " mouvement lumineux " (la Journée de l'ouvrier, 1904, Rome, coll. Balla). C'est ainsi que, grâce à la présence, dans l'atelier de Balla, du premier noyau du groupe futuriste (Boccioni et Severini le fréquentèrent à partir de 1904), commencèrent ces recherches qui, quelques années plus tard, furent au centre des préoccupations théoriques et expressives des futuristes : à travers la " création d'un nouveau style futuriste obtenir des formes synthétiques abstraites, subjectives, dynamiques ".

   Le centre de Florence fut aussi important pour l'orientation idéologique du mouvement. Pendant les premières années du siècle, les nombreuses revues qui y furent créées (Leonardo, 1903 ; Regno, 1903 ; Hermes, 1904) jouèrent un rôle déterminant comme arrière-plan culturel du Futurisme. En outre, à partir de 1908, avec la fondation de la revue La Voce, les relations entre la presse et le mouvement devinrent plus directes, et ce grâce à l'action de deux collaborateurs de la revue, l'écrivain Giovanni Papini et le critique Ardengo Soffici, tous les deux liés de très près au destin du Futurisme. La revue Lacerba, qui devint l'interprète principal du mouvement, fut fondée à Florence en 1913 sur leur initiative.

L'épanouissement du Futurisme

Il se situe entre 1909 et 1914 : c'est au cours de ces années qu'une série de circonstances favorables permit au mouvement d'acquérir une remarquable homogénéité et une force de rayonnement exceptionnelle. Ce n'est pas un hasard si cette même période rencontra, avec l'affirmation de forces politiques comme le Mouvement nationaliste, des idéologies contradictoires qui exercèrent une forte influence sur la culture de ces années. La violence antibourgeoise, qui faisait écho aux théories de Georges Sorel, se mêlait à des idées vaguement socialistes, ambiguës et contradictoires, comme celles de la " nation prolétaire " : l'année 1911, date de la guerre de Libye, marqua le triomphe des doctrines interventionnistes ainsi qu'une période de plus nette intervention des futuristes dans la vie politique, dont les théories du mouvement reflétaient un moment particulièrement complexe et contradictoire. Aussi, les aspects rebelles et " antibourgeois " des premiers essais théoriques du Futurisme n'empêchèrent nullement des prises de position clairement nationalistes et imbues de rhétorique patriotique ainsi que, plus tard, le glissement du mouvement vers la culture officielle du régime fasciste. La poétique même du Futurisme, qui couvrit un large secteur de recherches, des arts plastiques à la littérature, de la musique au théâtre, au cinéma, à la photographie, puisa directement dans ces idéologies. La mystique de l'action pour l'action d'origine sorélienne, l'" héroïsme esthétique ", l'individualisme exaspéré, sensible à l'influence de Gabriele D'Annunzio, l'agressivité et la violence dans l'affirmation de nouvelles valeurs, liées à une société moderne et " dynamique ", alimentent les déclarations péremptoires des manifestes. La glorification de la guerre, " seule hygiène du monde ", l'exaltation des " grandes foules agitées par le travail, le plaisir et les émeutes ", celle du " mouvement agressif " d'un monde qui " s'est enrichi d'une beauté nouvelle, la beauté de la vitesse " (" une automobile de course est plus belle que la Victoire de Samothrace "), sont les prémisses à partir desquelles le mouvement exalta tout ce que la civilisation actuelle offre de " moderne " et de " dynamique ". " Modernolâtrie " et " dynamisme universel " devinrent les corollaires esthétiques et éthiques de toute manifestation artistique.

   Pour la peinture, comme pour la sculpture, la conquête d'un programme esthétique précis consista d'abord dans la recherche d'une insertion de l'œuvre d'art dans le milieu vivant de la société ; en effet, le premier Manifeste de la peinture définit la nécessité du lien entre l'artiste et la société plus qu'il n'affronte des problèmes de style. La définition d'avant-garde prend ainsi une signification bien précise vis-à-vis du mouvement futuriste. C'est avec le Manifeste technique de la peinture, puis avec celui de la sculpture qu'une recherche plus précise de langage — et de contenu — s'insère dans le vif de l'œuvre d'art. De nouvelles références théoriques s'affirment : le " dynamisme universel ", la nécessité de " donner la vie à la matière en la traduisant dans ses mouvements ", impliquant la décomposition de la réalité dans ses éléments constitutifs, les " lignes-forces ", qui, en détruisant la " matérialité des corps ", pouvait permettre une vision plus complète et dynamique de l'univers. " Dynamisme universel " qui engageait aussi bien la réalité extérieure que la subjectivité de l'artiste.

   C'est entre 1910 et 1914 que le Futurisme élabora une poétique précise, définie à travers non seulement les écrits théoriques, mais aussi les recherches picturales des artistes du groupe, ainsi que celles, plastiques, de Boccioni et, pour l'architecture, les projets utopiques de Sant'Elia. En 1911, Boccioni réalisa son triptyque des États d'âme ; le principe de la " simultanéité des états d'âme plastiques ", c'est-à-dire la " synthèse " du souvenir émotionnel (ou mental) et des objets " vus ", associés dans l'esprit de l'artiste à travers un processus d'" analogies " et de " correspondances ", se traduit dans le dynamisme des lignes-forces qui décomposent la réalité. En 1912, Balla commença la série des Compénétrations iridescentes ; la décomposition de la réalité à travers ses " composantes dynamico-lumineuses " fut portée à ses conséquences les plus extrêmes, à une synthèse non figurative de la réalité : " Nous trouverons les équivalents abstraits de toutes les formes et de tous les éléments de l'univers, puis nous les combinerons ensemble selon les caprices de notre inspiration pour former des complexes plastiques que nous mettrons en mouvement. "