Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Memling (Hans)

Peintre flamand (Seligenstadt, près d'Aschaffenburg, v. 1433  – Bruges 1494).

On ne sait rien de certain sur l'artiste avant 1465, date à laquelle il acquiert à Bruges le droit de bourgeoisie. Vasari le dit élève de Rogier de Bruges, nom sous lequel il désigne sans doute Rogier Van der Weyden. Cet apprentissage, couramment admis, n'est pourtant pas établi sûrement. Rogier de Bruges, au XVIe siècle, était l'équivalent de " Memling " au début du XIXe siècle, un nom commode utilisé pour recouvrir toute la peinture flamande.

   L'œuvre la plus ancienne connue de Memling est peut-être un Triptyque de la Crucifixion (centre : Crucifixion, musée de Vicence ; volets intérieurs : Saints et donateurs, New York, Pierpont Morgan Library ; volets extérieurs : Annonciation, musée de Bruges), où l'influence de Rogier est d'autant plus nette que la composition suit de près celle du triptyque de ce dernier au K. M. de Vienne. Dans un petit diptyque (Munich, Alte Pin.), les caractères de son art apparaissent mieux : les anges musiciens qui entourent la Vierge (volet gauche) ont cette grâce et ces sourires un peu apprêtés qui lui sont propres, tandis que l'armure du Saint Georges qui présente le donateur (volet droit) souligne l'ambition d'imiter Van Eyck dans la précision des reflets. Le panneau avec les Scènes de la Passion du Christ (Turin, Gal. Sabauda), peut-être exécuté pour le marchand florentin Portinari v. 1470, illustre son séduisant talent de conteur ; le tableau devient une grande image aux couleurs vives et fraîches où l'œil est invité à lire successivement les multiples scènes. Il ne faut pas mésestimer non plus ses talents extraordinaires de dessinateur, révélés depuis peu par l'étude approfondie de son dessin sous-jacent.

   Le " Triptyque Donne " (centre : la Vierge et l'Enfant avec les donateurs, des anges et des saintes ; volets intérieurs : les deux Saints Jean ; volets extérieurs : Saint Christophe, Saint Antoine), son premier chef-d'œuvre, peint probablement pour sir John Donne of Kidwelly (Londres, N. G.), associe, dans une composition rigoureusement symétrique, les souvenirs de Rogier à la préciosité de Van Eyck dans une manière picturale cependant beaucoup plus sèche. Un donateur présenté à la Vierge et l'Enfant par saint Antoine (Ottawa, N. G.), daté de 1472, est très voisin de celui-ci. De 1473 date l'une des œuvres les plus célèbres de l'artiste, le triptyque (au revers des volets, les donateurs avec les statues de la Vierge et de Saint Michel ) du Jugement dernier (Gdańsk, Marienkirche, auj. au musée). Commandé par le marchand florentin Jacopo Tani, il fut saisi durant son transport par le bateau hanséatique de Peter Benecke, qui en fit don à l'église de Gdańsk (autrefois Dantzig). Sa composition est inspirée du polyptyque de Rogier Van der Weyden (Hospices de Beaune), mais en diffère essentiellement par le développement très anecdotique donné à la résurrection des âmes et à leur destin. De la même époque doit dater un triptyque (au volet gauche, la Nativité ; au volet droit, la Présentation au Temple ) de l'Adoration des mages (Prado), également inspiré par Rogier Van der Weyden et repris en 1479 dans une version plus puissante peinte pour Jan Floreins (Bruges, hôpital Saint-Jean).

   La carrière postérieure de l'artiste n'est jalonnée que par un petit nombre d'œuvres datées : en 1479, le grand triptyque du Mariage mystique de sainte Catherine (Bruges, hôpital Saint-Jean) ; en 1480, le Portrait de femme en sibylle Sambeth (id.), le panneau des Scènes de la vie du Christ (Munich, Alte Pin.) ; en 1484, le Triptyque de saint Christophe de la famille Moreel (musée de Bruges) ; en 1487, le diptyque de la Vierge à l'Enfant et Martin Van Nieuwenhoven (Bruges, hôpital Saint-Jean), un Donateur (Offices), volet d'un triptyque dont un autre volet, Saint Benoît, est aussi aux Offices, et le centre sans doute la Vierge de Berlin ; enfin, en 1489, la célèbre Châsse de sainte Ursule (Bruges, hôpital Saint-Jean). Dans cette dernière s'épanouissent les qualités d'illustrateur du peintre, qui l'apparentent aux enlumineurs ; elles apparaissent également dans les panneaux religieux de petit format : Triptyque de la Résurrection (Louvre), Triptyque de la Vierge (Vienne, K. M.), la Vierge et l'Enfant entourés de saintes et Donateur présenté par saint Jean-Baptiste, deux volets d'un diptyque (Louvre). Dans les tableaux d'autel de grand format (comme le Triptyque de la Passion, 1491, musée de Lübeck), il s'efforce de retrouver la majesté des compositions de Rogier Van der Weyden, mais le goût des détails, qui ne manque pas de s'y développer, comme le coloris vif et varié d'un illustrateur ne leur permettent pas d'atteindre à un aspect monumental : cela est particulièrement sensible dans le Triptyque de la Vierge et des deux saints Jean (Bruges, hôpital Saint-Jean), au demeurant l'une des meilleures pages du peintre.

   Curieusement, la narration ne convient pas à l'artiste, et il n'est jamais meilleur que dans les tableaux statiques. Même les grands panneaux formant probablement des volets d'orgue et figurant le Christ entouré d'anges musiciens (musée d'Anvers) ne peuvent retrouver la vigueur plastique de leurs modèles de l'Agneau mystique et restent au niveau de la décoration.

   C'est dans le domaine des portraits que Memling a réalisé les créations les plus fortes de son œuvre de maturité. Qu'il reprenne les modèles de ses aînés dans la formule des diptyques chère à Rogier Van der Weyden (Diptyque de Martin Van Nieuwenhoven) ou des présentations presque frontales en trompe-l'œil à l'imitation de Van Eyck (Sibylle Sambeth), ou qu'il associe les personnages dans des groupes familiaux (Vierge de Jacques Floreins, Louvre), il évoque ses modèles avec une exactitude et une précision qui les rendent particulièrement vivants. Il n'adopte pas pour ce genre la rigueur du dessin de Rogier Van der Weyden, mais préfère un modelé plus délicat et des attitudes plus souples.

   Parmi ses meilleurs portraits, on peut en outre citer ceux de Tommaso et de Maria Portinari (Metropolitan Museum), ceux de Willem et de sa femme Barbara Van Vlaenderbergh (Bruxelles, M. R. B. A.), d'un Homme âgé (musées de Berlin) et d'une Femme âgée (Louvre), deux éléments d'un même tableau, d'un Jeune Homme (Londres, N. G.), de l'Homme à la médaille (musée d'Anvers), d'un Jeune Homme (Madrid, fondation Thyssen-Bornemisza) avec un Vase de fleurs peint au revers du panneau, d'un Homme en prière (Mauritshuis). L'art de Memling a connu une très grande popularité à la fin du XIXe s. et a passé pour l'expression la plus haute de la peinture flamande du XVe s. Aujourd'hui que sont mieux connues les œuvres de Van Eyck et de Rogier Van der Weyden, on le tient plus exactement pour un brillant continuateur. Une importante exposition lui a été consacrée à Bruges en 1994.