Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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romantisme

La difficulté de trouver au Romantisme une définition qui englobe à la fois la complexité de son développement et ses particularités régionales semble insurmontable. Peut-être le Romantisme est-il d'abord l'acceptation et, finalement, la glorification de ces éléments propres à la conscience et à la conduite humaines — mélancolie, irrationalité, doute, excentricité individuelle, égocentrisme excessif, désespoir, insatisfaction devant le mécanisme répétitif de la vie dite " normale ", désir de se liguer avec les forces de la nature tout en souhaitant être mené et même absorbé par elles — et qui, au cours des deux ou trois générations antérieures au mouvement romantique proprement dit, ne reçurent aucune sanction morale ou sociale. Que l'esprit du XVIIIe s. ait contenu de tels éléments est hors de doute, mais on ne voyait en eux, selon les critères de l'époque, que des valeurs négatives, si bien que l'excellente description du " mal du siècle " que nous donne le médecin et philosophe français La Mettrie (1709-1751) dans De la folie revient à le considérer comme le signe de troubles mentaux. Bien que d'origine allemande, l'apparition du Romantisme, en tant que phénomène, se remarqua plus particulièrement en France, où les règles régissant le comportement social étaient les plus fortes, si fortes même qu'un sentiment de gêne, voire de culpabilité, se décèle chez presque tous les romantiques français jusqu'à Victor Hugo. Le commentaire de David sur l'œuvre de Girodet, Ossian et ses guerriers recevant les ombres des héros français (château de Malmaison), contient une certaine réprobation comme s'il découvrait que l'artiste se laissait aller à quelque manifestation antisociale. Delacroix lui-même se disait tant soit peu dégoûté par cette nouvelle forme d'art, bien que son œuvre l'illustre dans toute son évolution. Ainsi le Romantisme implique-t-il en profondeur un certain isolement vis-à-vis des valeurs sociales et anthropocentriques qui avaient réglé les conduites humaines et la conscience ou, du moins, les attitudes morales au XVIIIe s. On peut y découvrir aussi un certain bouleversement du concept traditionnel de la piété, un besoin ardent d'expérience métaphysique et émotionnelle nouvelle — valeur positive pour le développement de la conscience et non régression morale aux dehors séduisants. Le Romantisme représenta non seulement un moyen de connaissance des mœurs différentes, et diverses attitudes vis-à-vis du passé comme du présent, mais il développa aussi un humanitarisme nouveau, un idéalisme qui met l'accent sur l'intégrité, l'attachement à une croyance, l'aptitude au don de soi, le désir de " vivre sa vie " suivant ses instincts profonds et non en fonction des lois de la société, fût-ce au prix d'un échec. Cette libération du désir vis-à-vis des modes et des règles établies entraîna de singuliers changements de comportement, allant des excentricités individuelles (le homard de Gérard de Nerval) jusqu'aux expériences sociales des fraternités nazaréenne et préraphaélite. Les esprits les plus vulnérables sombrèrent dans une sorte de désespoir, le fameux " mal du siècle ", à l'idée d'un libre arbitre sans frein, privé du secours d'une discipline établie ; d'autres, au contraire, s'attaquèrent au présent avec une ardeur renouvelée et s'engagèrent dans des essais de réforme politique pour faire aboutir des formes plus pures de gouvernement. Les deux réactions, apparemment contradictoires, caractérisent l'apparition du Romantisme dans l'histoire de la pensée et de la sensibilité européennes.

   De telles attitudes se reflètent plus ou moins directement dans l'art de la période romantique et surtout dans la peinture. Fondamentalement, le Romantisme consiste à réfuter les principes et la discipline classiques en faveur d'un retour régénérateur à quelque chose de plus ancien comme de plus libre, de plus personnel comme de plus exotique. La renaissance classique du XVIIIe s., engendrée par la découverte d'Herculanum et de Pompéi, n'était pas étrangère à un sentiment nostalgique du passé qui trouva rapidement d'autres formes d'expression. À la fois en France et en Angleterre, on assista à un regain d'intérêt pour le passé national encore proche qui entraîna un changement de décor et d'accessoires et l'apparition d'un " style troubadour " décelable, dès 1770, dans les deux pays : en France, la série de statues commémorant les grands hommes de France, commandée par le comte d'Angiviller, favorisa ce penchant ; en Angleterre, les poèmes de Milton et les œuvres de Shakespeare jouèrent le même rôle stimulant chez Füssli, West, Romney et Runciman. Géographiquement, on peut dire qu'à l'idéal plastique méditerranéen, incarné par le héros grec ou romain, se substitua peu à peu le goût pour les civilisations du Nord, germanique, anglaise, scandinave et écossaise. L'étude de leur littérature (en particulier les prétendus poèmes d'Ossian) contribua à développer le goût du médiéval, du nébuleux, de la mélancolie et du pittoresque. Il y eut alors un intérêt nouveau pour le christianisme et l'Europe gothique, développé par l'influence des écrits de Chateaubriand et de Mme de Staël, admirablement illustré par les paysages étranges et glacés de C. D. Friedrich. De même, l'idéal sculptural prôné dans les académies du XVIIIe s. fut remplacé par des références plus picturales, comme on s'en aperçoit à comparer le portrait de David Bonaparte traversant le Grand-Saint-Bernard (1800, Versailles), inspiré de la statue de Pierre le Grand par Falconet (Saint-Pétersbourg), avec l'œuvre de Gros Bonaparte au pont d'Arcole (1797, Louvre), qui, médiocre sur le plan de la forme, est animée par un emploi plus libre de la couleur et un coup de pinceau plus nerveux et subjectif. Un événement cristallisa ce changement : l'ouverture à Paris, en 1793, du Muséum central des arts, qui présentait une variété considérable de styles picturaux. L'influence de Corrège sur Prud'hon, celle de Léonard sur Gérard, le Caravagisme de Géricault et la passion pour Rubens qui anima à la fois Gros et Delacroix ont leurs sources dans les visites de ces peintres au musée, dont l'effet se révéla, même pour eux, plus puissant et plus durable que celui de leurs voyages en Italie, en Angleterre ou en Flandre. Napoléon contribua également à donner du monde une vision plus large que celle qu'offrait le XVIIIe s. Ses campagnes au Moyen-Orient stimulèrent l'intérêt pour les civilisations arabe et juive, et des peintres tels que Gros et Auguste commencèrent à collectionner objets orientaux, bijoux et tapis, qui passèrent dans le langage pictural grâce à Ingres, Delacroix et Chassériau. L'esprit guerrier, qui alla croissant avec les ambitions impériales de Napoléon, s'imposa à la conscience de deux grands peintres au moins, Goya et Géricault, et se refléta dans des œuvres de peintres mineurs, David Scott, Boissard de Boisdenier, Charlet, Raffet, Michalowski. Avec le mouvement des armées et les échanges entre différentes civilisations, on apprécia davantage les styles propres à chaque pays. Géricault, visitant la Grande-Bretagne en 1820, fut frappé par la supériorité de la peinture anglaise dans la marine, la scène de genre et le paysage. Bonington, établi en France en 1817 alors qu'il était adolescent, amena avec lui la tradition anglaise de l'aquarelle topographique et l'adapta au médium de l'huile, d'une manière qui devait influencer non seulement Delacroix, mais aussi Corot et Isabey. Lawrence et Constable, ayant participé aux Salons de 1824 et de 1827, étonnèrent les Français par l'originalité de leur facture, leurs brillants effets de lumière, leur liberté vis-à-vis de l'académisme et leur utilisation d'une pâte fluide et luisante dans les rouges et les verts. Constable, surtout, rénova un sentiment joyeux et libre de la nature, inauguré au XVIIIe s. par Fragonard et Gainsborough, mais abandonné durant l'époque néo-classique. Les eaux-fortes de Goya, très admirées en France, influencèrent directement l'œuvre graphique de Victor Hugo, de Célestin Nanteuil et de Delacroix. De la même façon, un groupe de peintres allemands, les Lucasbruder, réalisèrent la synthèse de leur tradition nationale et de leur expérience italienne en étudiant les primitifs italiens (avant Raphaël) dans une tentative pour retrouver l'esprit moral et religieux du Moyen Âge. Cette nostalgie et cette quête d'un passé plus simple et plus pur furent également expérimentées par Blake en Angleterre (Chants de l'innocence), par les naïfs en France et, finalement, par les préraphaélites. Tous les peintres à la recherche de civilisations hautes en couleur et vierges — fort nombreux de Wilkie à Fromentin — qui découvrirent l'Espagne, la Turquie, le Maroc, l'Algérie furent guidés par les mêmes considérations morales et sensorielles.

   Mais le Romantisme signifiait également sens de la vie moderne, effort pour comprendre et illustrer l'actualité. Des écrivains comme Stendhal, des peintres comme David, Gros et Géricault en France, Goya en Espagne refusèrent de se réfugier dans le passé exotique du mythe et de la légende et restèrent attachés aux bouleversements politiques et sociaux propres à leur époque. Fascinés par Napoléon et ses exploits, témoins de la naissance et de la chute de ses ambitions, des splendeurs et des misères de ses guerres, ils introduisirent, en peinture, un élément de commentaire personnel des faits qui survécut en France dans l'œuvre de Courbet, de Daumier et de Millet et passa ainsi directement dans le mouvement réaliste.

   Les peintres romantiques étaient, bien davantage que leurs prédécesseurs, réceptifs à des inspirations et des influences diverses et moins enclins à se considérer comme les praticiens d'une discipline académique. La réaction individuelle — à l'événement contemporain ou à une scène particulière — devint le critère par excellence, et la peinture elle-même davantage un moyen d'expression. Si les peintres romantiques peuvent posséder une ou plusieurs des caractéristiques mentionnées, tous, à l'exception des moindres, diffèrent profondément les uns des autres. Le Romantisme est surtout un complexe de réactions personnelles aux bouleversements sociaux et métaphysiques. En limitant l'étude du phénomène romantique aux années 1770-1840, on peut distinguer trois phases successives : le regain d'intérêt pour Shakespeare et Ossian à partir de 1770, le Romantisme suscité par la Révolution française de 1789 et les campagnes de l'Empire, qui constituent sa phase majeure (Goya, Géricault, Gros, les débuts de Delacroix), et le Romantisme à son apogée, à partir de 1824 environ, qui correspond à la maturité de Turner et de Delacroix.