Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Bramantino (Bartolomeo Suardi, dit)

Peintre italien (Milan v. 1465  – id. v.  1530).

Son surnom indique qu'il fut l'élève de Bramante. Il fit toute sa carrière à Milan, où il est cité par des documents à partir de 1490. Malgré le nombre relativement important de ses œuvres certaines, l'absence presque totale de datation rend aléatoires la chronologie de sa production et la reconstitution de son évolution stylistique. Sa première œuvre semble être l'Adoration des bergers (Milan, Ambrosienne), où l'on perçoit une influence ferraraise qui ne peut pas s'expliquer uniquement par l'intermédiaire de Butinone, qui aurait transmis cette influence, mais aussi par une connaissance directe d'Ercole de' Roberti. De cette œuvre, on peut rapprocher le Christ ressuscité (Madrid, fondation Thyssen-Bornemisza), anciennement attribué à Bramante, Philémon et Baucis (Cologne, W. R. M.), qui fait admettre l'étude personnelle des œuvres de la maturité de Mantegna, et la fresque d'Argus (Milan, Castello Sforzesco, salle du Trésor), attribuée par W. Suida à Bramante. La fresque de la Pietà provenant de l'église S. Sepolcro (Milan, Ambrosienne) et l'Adoration des mages (Londres, N. G.), exécutées certainement entre 1500 et 1510, révèlent clairement la double influence de Bramante et de Mantegna, et évoquent le rapprochement avec les fresques de jeunesse, très mantegnesques, que Corrège exécuta à S. Andrea de Mantoue. En revanche, les cartons de la série des tapisseries des Mois, tissées pour Gian Giacomo Trivulzio (Milan, Castello Sforzesco, document de 1509), rappellent l'art ferrarais (fresques du palais Schifanoia ; studiolo de Belfiore).

   En 1508-1509, Bramantino fait partie avec Sodoma et Lotto de l'équipe de Peruzzi, qui travaille à la décoration des chambres du Vatican avant l'arrivée de Raphaël. Au cours de ce séjour à Rome, il put sans doute étudier au moins l'École d'Athènes de Raphaël. Grâce à cet exemple, la structure architectonique de ses compositions et de chacune de ses formes se précise définitivement en termes classiques suivant sa propre vision. Dans cette synthèse plastique, accentuée, presque abstraite, soutenue par une polychromie légère, opalescente, essentiellement lombarde (par laquelle ses recherches se distinguent de celles de ses contemporains siennois Beccafumi ou Sodoma) se profile déjà une sorte de précoce Maniérisme.

   Parmi les chefs-d'œuvre qu'il crée entre 1510 et 1520, on peut probablement inclure la Madone avec des saints (Milan, Ambrosienne), Saint Jean à Patmos (Isola Bella, coll. Borromeo), la petite Madone à l'Enfant (Brera). La Crucifixion (id., [de datation discutée]), la Madone avec huit saints (Florence, Pitti, donation Contini-Bonacossi), la Fuite en Égypte (Locarno, église Madonna del Sasso), la Pietà et la Pentecôte (église de Mezzana) semblent appartenir à sa dernière période.

   Bramantino fut aussi architecte : en 1519, il construisit à Milan la chapelle Trivulzio (S. Nazzaro Maggiore), où se manifeste le goût d'une synthèse dépouillée et cubique propre à l'artiste. Il eut une influence considérable sur le début du XVIe s. lombard (Luini, Gaudenzio Ferrari, les Boccaccino et Melone à Crémone).

Bramer (Leonard)

Peintre néerlandais (Delft 1594  –id.  1674).

En 1614, il partit faire le traditionnel voyage de Rome après être passé par Paris et Aix-en-Provence, où sa présence, en compagnie de Poelenburgh, est attestée en 1616. À Rome, v. 1618, il dut faire partie de la Bent. Il est plusieurs fois cité dans les archives romaines entre 1619 et 1627. Au cours de son séjour, il visita toute l'Italie et obtint déjà un franc succès : on parle du prince Mario Farnèse qui avait " beaucoup de ses œuvres en grand et en petit... " En 1628, Bramer est de nouveau à Delft et entre à la gilde l'année suivante. Peut-être a-t-il fait d'autres voyages en Italie. Avant 1647, il travaille à la décoration du château de Rijswijk pour Frédéric d'Orange, puis pour Maurice de Nassau. De 1660 à 1663, il est payé pour des fresques dans le nouveau Doele (maison de tir) de Delft. En 1667-68, il exécute de nouveaux travaux de décoration (fresques ou plus vraisemblablement peintures marouflées) dans la grande salle du Prinsenhof (auj. musée de Delft), dont il reste le plafond, où est peinte l'Ascension du Christ. On ne connaît rien de sa peinture de chevalet avant sa période italienne, le plus ancien tableau étant daté de 1626 : les Guerriers au repos (La Haye, musée Bredius). Le goût des effets de lumière scintillants et fantastiques qui détachent brutalement les figures sur un fond très sombre, l'utilisation quasi maniériste du clair-obscur, une facture perlée, menue et vibrante, qui cisèle précieusement les parties éclairées, telles sont les caractéristiques du style italien de Bramer, où le souvenir de Fetti et de Jacopo Bassano compose avec une forte empreinte elsheimérienne. On la décèle en particulier dans le goût des coulisses de ruines couvertes de feuillage et le luminisme fantastique : les Cavaliers de la Residenzgal. de Salzbourg (coll. Czernin) — fascinant nocturne peint sur ardoise (support cher à Elsheimer, comme le cuivre d'ailleurs, auquel Bramer aura souvent recours) —, ou bien Héro et Léandre (1630, Prado) sont de bons exemples de cette période, comme la Découverte des corps de Pyrame et de Thisbé (Louvre) et son pendant, la Mort des enfants de Niobé (Paris, coll. part.), ou la Scène de combat nocturne du musée de Cambrai. De retour à Delft, Bramer maintient ce style inquiet et expressif qui fait de lui l'un des meilleurs peintres d'histoire néerlandais, parallèlement aux débuts de Rembrandt, et un artiste comparable à Vignon en France, à la même époque. Toutefois, sa technique se perfectionne, notamment dans la suggestion de la profondeur spatiale et des arrière-plans, très souvent constitués par des architectures d'un modelé délicat : Présentation au Temple (Philadelphie, Museum of Art, coll. Johnson), Prière de Salomon (v. 1635-1640, Dresde, Gg), le Christ chassant les vendeurs du Temple (Milan, C. Sforzesco), Scène de sorcellerie (musée de Bordeaux). L'art de Bramer atteint son apogée avec les deux Allégories de la Vanité et de la Fragilité (Vienne, K. M.).

   Ce parfait " prérembraniste " qu'est Bramer finit à son tour par tomber, dans les années 1640, sous l'influence de Rembrandt. Le Jésus enfant au Temple (164 ?, Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum) prouve ce ralliement, qui repose d'ailleurs davantage sur des effets purement techniques que sur des emprunts directs. Bramer subit aussi d'autres influences au début des années 1640, notamment celle des caravagesques d'Utrecht, comme l'attestent de grandes toiles, un peu inattendues chez un peintre " miniaturiste " comme lui, tel le Reniement de saint Pierre (1642, Rijksmuseum), véritable pastiche de Honthorst. Par la suite, la manière de Bramer perd en qualité et en originalité ; elle trahit davantage d'italianismes, comme dans le Siméon au Temple (Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum), ou se rapproche fortement de celle de Knupfer dans le Crésus et Solon de 1647 (Vienne, anc. coll. Hock), cédant même à la caractéristique évolution antirembranesque et pompeuse des années 1650 dans la grande toile théâtrale du Sacrifice de Salomon aux idoles (1654, Rijksmuseum), trop étrangère au vrai génie de Bramer. Dans la vaste production de Bramer, on doit mentionner ses nombreux dessins, d'une rudesse presque vulgaire ; il s'agit souvent de suites entières sur des thèmes littéraires comme les Faits et Gestes de Till Eulenspiegel (1656, Brême, Kunsthalle) ou les Songeries espagnoles de Quevedo (1659, Munich, cabinet des Estampes).