Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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tapisserie (suite)

Le XIXe siècle

Au XIXe s., il n'existe pas de grands ateliers en dehors de la France, où les manufactures des Gobelins, de Beauvais et de la Savonnerie poursuivent, malgré des difficultés certaines, leurs activités. Quelques tentatives méritent d'être signalées, en particulier la manufacture créée en Angleterre en 1861 – elle fonctionnera jusqu'en 1940 – par William Morris. Réunissant autour de lui des peintres préraphaélites, notamment Edward Burne-Jones, il souhaitait libérer la tapisserie de sa soumission à la peinture (retour à un nombre limité de couleurs, suppression de la perspective...). Ses idées eurent une influence dans plusieurs pays d'Europe.

   En Norvège, à partir de 1890, des tapisseries sont réalisées d'après des cartons d'artistes contemporains tels que Frida Hansen et Gerhard Munthe, qui réemployèrent les colorants végétaux.

Le XXe siècle

En France, après Aristide Maillol, qui prônait aussi le retour aux plantes tinctoriales (il teignait lui-même les laines de ses tapisseries), Marius Martin, directeur de l'École nationale des Arts décoratifs d'Aubusson, essaya vers 1920 d'imposer la limitation des couleurs, le tissage par hachures et le retour au style décoratif. Mais c'est incontestablement à Jean Lurçat qu'est due la renaissance de la tapisserie. Sa rencontre avec les lissiers d'Aubusson fut capitale. Les ateliers privés qui jadis avaient obtenu de Colbert le titre de manufactures royales d'Aubusson connaissaient depuis longtemps une certaine pénurie de cartons originaux de qualité. Grâce à l'initiative de Marie Cuttoli, les ateliers d'Aubusson avaient exécuté un carton de Georges Rouault, les Fleurs du mal (1928), bientôt suivi (1932) par le tissage de tableaux de peintres célèbres : Léger, Braque, Matisse, Picasso, Dufy, Miró, Marcoussis, Derain. En même temps, Marie Cuttoli s'adressa à Jean Lurçat, qui donna en 1932 son premier carton pour Aubusson, l'Orage. Cette expérience suscita un renouveau d'intérêt pour la tapisserie. Les manufactures nationales firent appel en 1936 à Lurçat. Préconisant pour la « tapisserie moderne la libération de la peinture qui devait la ramener au grand art du Moyen Âge », il rappelait qu'elle était « un art d'ordre monumental », opinion partagée par Le Corbusier, qui parlera du « mur de laine ». Dans l'œuvre considérable de Jean Lurçat, il convient de citer spécialement l'Apocalypse pour la chapelle d'Assy et le Chant du monde (Angers, musée des Tapisseries).

   À la suite de Lurçat, une génération de peintres cartonniers allait contribuer à l'essor de la tapisserie : Gromaire, Picart le Doux, Saint-Saëns, Dom Robert... En 1946, Matisse donnait à la manufacture de Beauvais les cartons de la tenture Polynésie (Paris, Mobilier national). Depuis lors, des artistes, peintres, sculpteurs ou architectes tels que Picasso, Braque, Chagall, Arp, Miró, Gilioi, Adam, Le Corbusier ou aujourd'hui Penalba ont cherché dans la tapisserie un nouveau mode d'expression.

   À Lurçat est due, dans les années soixante, la création à Lausanne d'une Biennale internationale de la tapisserie (première exposition en 1962) qui permit en particulier de révéler les créations d'Europe centrale (la Pologne avec Magdalena Abakanowicz et la Yougoslavie avec Jagoda Buic) et des États-Unis (Sheila Hicks).

   Les manufactures nationales ont été associées au nouvel aménagement du ministère des Finances (Soulages, Rouan, Pincemin) et leur renom leur valut la commande d'une tenture en onze pièces d'après les cartons de Bjoern Noergard qui retrace l'histoire du Danemark des Vikings à nos jours (château de Christianborg).

tarsia (mot ital., en fr. marqueterie)

Définition et premiers exemples de marqueterie figurée

Cet art décoratif est proche de la mosaïque, mais utilise des éléments minces (lames, feuillets, plaques) de plus grands formats, découpés selon un dessin établi, tandis que la mosaïque se compose de tesselles régulières, convenant mieux aux effets picturaux ; la combinaison de ces éléments de couleurs diverses, fixés ensuite sur un support, constitue un motif marqueté. Cet ouvrage d'incrustation peut être réalisé en matières très variées (métaux, os, ivoire, nacre, pierres dures, etc.), mais la marqueterie proprement dite utilise des bois de diverses couleurs, choisis selon les exigences chromatiques du carton modèle ; on imite les ombres en brunissant le bois lui-même (brûlage).

   La marqueterie dite « à la chartreuse » où l'on joue de motifs géométriques composés de petites écailles de deux tons, est souvent employée pour des meubles et des objets de petite dimension, tandis que la marqueterie à grands motifs trouve son application surtout dans les pièces importantes du mobilier ecclésiastique.

   Le plus ancien chef-d'œuvre de la marqueterie figurée italienne (tarsia) est un fragment, certainement d'origine siennoise, provenant du chœur du dôme d'Orvieto, représentant le Couronnement de la Vierge. Les marqueteurs siennois du trecento, très appréciés, furent chargés des principales commandes du siècle : à Florence, chœurs de S. Croce (1355) et de Santa Maria del Fiore (1390) ; à Sienne, chœur du Duomo (1394), etc.

Maîtres marqueteurs et maîtres en perspective en Toscane et à Urbino

La définition par Brunelleschi et Alberti des règles de représentation sur un espace plan de la 3e dimension correspond pour les marqueteurs au début d'une ère d'intense production. La simplicité et la netteté de ses contours, sa palette limitée firent de la marqueterie la technique idéale pour illustrer concrètement quelques théorèmes typiques de perspectives classiques (natures mortes simples, vues urbaines, solides géométriques). La collaboration entre peintres et marqueteurs est évidente à Florence et à Pise, notamment dans l'œuvre de Giuliano da Maiano. Le studiolo de Federico da Montefeltro à Urbino (1479-1481) constitue l'un des chefs-d'œuvre de la marqueterie italienne.

Les frères Canozzi da Lendinara et leurs premiers collaborateurs

L'atelier italien le plus important est celui des frères Lorenzo et Cristoforo Canozzi da Lendinara, tous deux profondément marqués par l'enseignement de Piero della Francesca. Après avoir travaillé de concert à Ferrare, Padoue, Modène et Parme, pendant les années 1460, les deux frères se séparent en 1469 : le premier s'installe en Vénétie et travaille à Venise (sacristie de S. Maria dei Frari), Vicence et Trévise. Le second reste en Émilie, où il réalise avec son fils Bernardino les panneaux de la sacristie du dôme de Modène (à partir de 1474) ; il travaille en outre à Parme et à Pise.

Les héritiers de Cristoforo Canozzi da Lendinara

De nombreux maîtres marqueteurs furent formés par les Lendinara, mais seul G. M. Platina, actif à Crémone, égala ses maîtres dans ses complexes natures mortes, proches de l'art de L. Costa.

   Les familles Sacchi et Marchi continueront à satisfaire les commandes de leurs clients habituels, respectivement de Crémone et de Bologne. Le dernier chef-d'œuvre de marqueterie qui puisse être comparé aux réalisations picturales contemporaines, le chœur du dôme de Savone (1500-1521), est dû à la collaboration de divers artistes itinérants. Fra Giovanni da Verona, bien qu'issu d'une culture plus complexe, appartient à la même tradition : il élabore des vues perspectives compliquées jusqu'à l'absurde. Pour rivaliser avec la peinture, il peint le bois dans le coloris désiré. Mais le déclin de l'« art mineur » est amorcé : une des dernières collaborations heureuses entre concepteur et exécutant est celle qui associe L. Lotto et G. F. Capodifferro pour le chœur de S. Maria Maggiore à Bergame (1522-1532).

   Malgré le succès de Fra Damiano Zambelli durant la seconde moitié du XVIe s., la marqueterie devient rapidement une curiosité de musée ou un élément décoratif secondaire du mobilier privé. Seul un retour d'intérêt pour les arts industriels et pour ces formes de production artisanale qui peuvent sembler d'origine populaire rappellera l'attention des critiques sur la marqueterie, si bien que, dès la seconde moitié du XIXe s., débute une campagne de restauration des chœurs marquetés des cathédrales italiennes.