Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
P

plafonds et voûtes (suite)

Baroque et Classicisme en Flandre, en France et en Angleterre

Les écoles européennes du XVIIe s. apparaissent, pour la décoration des plafonds et des voûtes, largement tributaires de l'Italie, mais empruntent souvent à celle-ci des formules inventées par la Renaissance. C'est ainsi que Rubens s'est souvenu des plafonds vénitiens en peignant les caissons qui surmontaient les travées des bas-côtés et des tribunes à l'église des Jésuites d'Anvers. Ces compositions ont disparu dans l'incendie de l'église, mais on les connaît par leurs esquisses, qui les font apparaître comme des fenêtres ouvertes sur un ciel lumineux. Les figures ne sont pas présentées en perspective strictement verticale, mais selon le raccourci enseigné par Véronèse. Avec le plafond de Banqueting Hall, au palais londonien de Whitehall, Rubens reprend le type du grand plafond vénitien, assemblant avec art des compartiments de formes variées.

   La France de Louis XIII et de Louis XIV fait assister, dans la décoration des voûtes et des plafonds, à un jeu complexe de tendances, d'autant plus difficiles à définir que beaucoup d'ouvrages ont été détruits. La dette envers l'Italie apparaît importante. Cependant, les décorateurs français ont, en règle générale, adopté la technique de la peinture à l'huile, sur toile ou sur enduit, au lieu de la fresque, dont la légèreté convient mieux à des compositions suspendues au-dessus du spectateur. Mais la tendance baroque à l'" ouverture " n'est pas négligeable en France, où les théoriciens de la perspective, tel Des Argues, n'ont rien à envier alors à ceux de l'Italie. La " quadratura " illusionniste, de tradition bolonaise, rencontre un bon accueil ; Colonna et Mitelli l'acclimatent d'ailleurs eux-mêmes à Paris et à Versailles. Plutôt que de s'associer aux figures, cette " quadratura " sert généralement de repoussoir à une percée. Le thème le plus courant est celui du portique représenté en raccourci et s'ouvrant sur un ciel qui peut ne pas être habité. C'est ce qu'avaient conçu Jean Lemaire avec le plafond du théâtre du palais Cardinal (1641), Dorigny et Tortebat dans la grande salle de l'hôtel de La Rivière, Nicolas Loir aux Tuileries. On a conservé les compositions de Thomas Blanchet à l'hôtel de ville de Lyon, de Houasse au salon de l'Abondance à Versailles (1682), de Giovanni Gherardini, peintre bolonais, dans l'ancienne maison professe des Jésuites de Paris, où la Glorification de Saint Louis plane au-dessus de l'escalier. L'union du trompe-l'œil architectural et du ciel peuplé de figures sera recherchée par Antoine Coypel à la voûte principale de la chapelle de Versailles, où l'irruption du monde surnaturel dans l'espace délimité rappelle Baciccio, et à la voûte, aujourd'hui disparue, de la galerie d'Énée au Palais-Royal. Il arrive aussi que la perspective zénithale se passe du concours de la " quadratura ". C'est ainsi que Simon Vouet déroule le Cortège des Rois mages autour de la coupole ovale, détruite mais connue par la gravure, qui couvrait la chapelle de l'hôtel Séguier (vers 1657), ou représente en raccourci très accentué, selon l'exemple de l'Aurore de Guerchin, le Parnasse dans le nymphée du château de Wideville. À l'aide des calculs fournis par Des Argues, Philippe de Champaigne avait peint au milieu de la voûte couvrant la nef des Carmélites de Paris une Crucifixion qui paraissait épouser un plan vertical. On connaît aussi des coupoles ou des demi-coupoles offrant une composition d'un seul tenant, dans la tradition de Corrège : celle que Le Brun avait prévue au-dessus du grand salon de Vaux-le-Vicomte, celle de Pierre Mignard au Val-de-Grâce, celles de La Fosse à l'église parisienne de l'Assomption, à l'abside de la chapelle de Versailles, où l'on reconnaît l'Ascension, et aux Invalides, où l'artiste a représenté à la coupole supérieure Saint Louis remettant les attributs de la royauté entre les mains du Christ.

   À l'opposé de cette tendance, on trouve celle qui autorise le report pur et simple au plafond ou à la voûte de compositions frontales qui se présentent parallèlement à leur surface. Poussin illustre ce parti avec ses projets pour la grande galerie du Louvre (1646), dont la voûte devait s'orner de bas-reliefs simulés, et Michel Ier Corneille avec l'Histoire de Psyché, peinte en trois compartiments, à la galerie de l'hôtel Amelot de Bisseuil. Michel II Corneille décorera dans cet esprit la chapelle Saint-Grégoire à l'église des Invalides, Louis de Boullogne la chapelle Saint-Augustin de la même église et les caissons qui surmontent les travées des tribunes à la chapelle de Versailles. Cependant, l'école française a adopté le plus souvent des solutions de compromis, intermédiaires entre le type " ouvert " et le type " fermé ". On remarque de sa part une certaine répugnance à soumettre résolument les figures au raccourci et à effacer les divisions du plafond ou de la voûte. Plutôt que des surfaces d'un seul tenant, on trouve des compartiments où les figures sont partiellement redressées, selon des procédés empiriques. Vouet les avait généralement adoptés, avec la perspective " da sotto in sù " de Véronèse, dans ses grands ouvrages, aujourd'hui détruits : la galerie du château de Chilly (vers 1630), la galerie haute de l'hôtel de Bullion, la bibliothèque de l'hôtel Séguier. Au cabinet de l'Amour de l'hôtel Lambert, Le Sueur peint dans les caissons du plafond, de formes variées, des figures qui obéissent à une perspective unique, ce qui revient à ouvrir des fenêtres sur l'espace céleste. Romanelli, pourtant disciple de Pierre de Cortone, maintient les divisions et limite la profondeur à la galerie Mazarine comme dans l'appartement d'Anne d'Autriche au Louvre. Le Brun, qu'une querelle mit aux prises avec Abraham Bosse, partisan (bien qu'il n'ait pas prêché d'exemple) de la perspective la plus scientifique, ne s'est pas soucié d'obéir à des lois strictes. Il se souvient des Bolonais de tendance classique à l'hôtel de La Rivière (deux plafonds à voussure, aujourd'hui au musée Carnavalet, à Paris), à la galerie de l'hôtel Lambert, dans plusieurs salons du château de Vaux-le-Vicomte. Le plafond de la chambre du Roi dans le même château et ceux de l'appartement du Roi à Versailles font apparaître l'influence de Pierre de Cortone en tant que décorateur du palais Pitti. La voûte de la galerie des Glaces se présente comme un ensemble habilement articulé de " quadri riportati ", dont chacun a sa perspective particulière. Il en est de même des compartiments moulurés qui divisent le plafond à voussure de la salle des Gardes de la reine à Versailles, ouvrage de Noël Coypel ; les quatre angles, cependant, ménagent des échappées sur un ciel qui paraît beaucoup plus réel, l'ensemble faisant ainsi voisiner deux conceptions de l'espace.

   En Angleterre, beaucoup de voûtes et de plafonds ont été peints entre 1690 et 1720 environ, dans la période qui a vu le triomphe passager du baroque ; mais la plupart de ces ouvrages sont dus à des peintres italiens ou français. Antonio Verrio, de formation napolitaine, peuple de nombreux personnages célestes ses compositions mythologiques au grand escalier et dans l'appartement royal de Hampton Court, à Chatsworth et à Burghley House. Louis Laguerre s'inspire de Le Brun et de ses solutions de compromis dans ces deux dernières demeures et à Blenheim Palace. Cependant, La Fosse, en 1690, avait fait de la voûte (aujourd'hui détruite) de Montague House, à Londres, un vaste ciel, dont les figures échelonnées accusaient la profondeur. On trouve aussi le sens de l'effet plafonnant dans le style éclectique de James Thornhill, peintre autochtone, à Greenwich, à Hampton Court, à Blenheim et à la coupole de Saint Paul de Londres (1716-1719).

La période du rococo en Italie, en Espagne et en France

Au XVIIIe s., c'est encore l'Italie qui donne le ton quand il s'agit de décorer des plafonds ou des voûtes. Dans la période comprise approximativement entre 1710 et 1760, elle ne cesse d'exploiter et aussi de rajeunir les formules de l'art baroque, retenant presque toujours celles qui définissent le type " ouvert ". La " quadratura " reste pratiquée, et notamment par les Bolonais ; mais son rôle est désormais moindre, l'évolution du goût faisant préférer des ciels que n'envahissent plus les architectures et qu'animent des figures moins tassées.

   Ce n'est plus de Rome, trop respectueuse de l'éclectisme assagi de Maratta, que souffle l'esprit novateur, ni même de Naples, malgré Francesco de Mura ou Corrado Giaquinto, qui ira, d'ailleurs, peindre à Madrid, en se souvenant de Giordano et de Solimena, son ouvrage le plus ambitieux, l'Hommage de la monarchie espagnole à la religion, dont s'orne la voûte de l'escalier du Palais royal. Les impulsions viennent maintenant de l'Italie du Nord. Restaurée dans son éclat après un siècle d'effacement, l'école de Venise mérite une attention particulière. Le retour à la grande décoration est amorcé par Antonio Fumiani, qui, entre 1684 et 1704, surmonte la nef de S. Pantaleone, en associant le souvenir de Véronèse et de Tintoret à l'illusionnisme architectural de Pozzo, d'une immense composition (le Martyre et la glorification de saint Pantaléon), puis par Sebastiano Ricci à S. Stae et G. B. Pittoni au palais Pesaro. Alors que Pellegrini donne sa mesure en Angleterre (à Castle Howard, à Kimbolton), en France et en Allemagne, adaptant lui aussi au goût rococo la tradition véronésienne, Piazzetta peint sur toile la Gloire de saint Dominique (chapelle S. Domenico aux SS. Giovanni e Paolo), demandant au clair-obscur d'accentuer la profondeur de la scène. Dans ce domaine, cependant, G. B. Tiepolo prouve, comme ailleurs, la supériorité de son invention décorative. Il lui est arrivé d'utiliser des surfaces morcelées, comme à la voûte des Gesuati, dont les trois compartiments, peints à fresque, célèbrent saint Dominique (1737-1739), ou au plafond principal de la Scuola del Carmine, qui assemble huit toiles à sujets accessoires autour de celle où est représentée la Vierge du Carmel remettant le scapulaire au bienheureux Siméon Stock (1739-1744). Plus souvent, Tiepolo a rempli de son souffle de vastes compositions d'un seul tenant, selon des partis qui dénotent l'influence de Giordano mêlée à celle de Véronèse. Il s'agit : soit d'un plafond ovale ou chantourné, comme celui de la villa Pisani de Strà, dédié à la Gloire de la famille Pisani (1761), ou celui que formait avant 1915, dans l'église vénitienne des Scalzi, la partie médiane de la voûte et qui avait pour sujet le Transport de la Santa Casa (1743) ; soit d'une voûte allongée, comme celle de la galerie (détruite) du palais Archinto à Milan ou celle de la galerie du palais Clerici de la même ville (1740) [le Char d'Apollon et les Quatre Parties du monde] ; soit encore d'une voûte large, comme les voûtes du grand escalier et de la Kaisersaal de la résidence de Würzburg, où figurent des allégories à la gloire de la maison de Schönborn (1750-1753), ou celle de la salle du Trône au Palais royal de Madrid, glorifiant la monarchie espagnole (1764). Ces compositions peuvent être lues sinon d'un point quelconque, du moins de l'une ou l'autre des extrémités de la salle ; leur réversibilité est obtenue par quelques figures échappant à l'orientation principale du sujet, qui suggèrent ainsi une orientation secondaire. L'architecture est absente ou apparaît très discrètement sur les bords. C'est aux personnages, aux animaux et à certains accessoires qu'il revient d'accuser la profondeur, par leur disposition variée, leur échelonnement et le dégradé de leurs tons. Plus nombreux et plus serrés sur le pourtour, que le sujet soit entièrement céleste, comme aux Scalzi et à la villa Pisani, ou en partie terrestre, comme à Würzburg, ils forment une bordure mouvementée et intensément colorée, qui fait office de repoussoir. Les autres figures, volantes ou reposant sur des nuages, sont plus espacées et laissent voir beaucoup de ciel. Évitant toute disposition régulière ou compacte, elles suivent des lignes obliques et brisées, d'où naît une impression de mouvement. La luminosité du coloris contribue à l'allégement de la composition ; plus rien ne pèse dans ce monde aérien, qui, sans relever à proprement parler de l'illusionnisme, s'ouvre comme par miracle au-dessus du spectateur. La leçon de Tiepolo aura un grand retentissement en Allemagne et en Espagne. À Madrid, malgré le mouvement néo-classique, elle inspirera encore à Goya les scènes capricieuses de la Vie de saint Antoine à la coupole de S. Antonio de la Florida (1798).

   En Piémont, l'influence vénitienne se fait sentir sur G. B. Crosato, qui travaille au palais de Stupinigi et à la villa Regina, mais qui vient lui-même à Venise peindre avec beaucoup de légèreté le Char d'Apollon et les Quatre Parties du monde dans le " salone " du palais Rezzonico (v. 1755). À Stupinigi, Giuseppe et Domenico Valeriani décorent la coupole du grand salon central d'un Départ de Diane pour la chasse, qu'accompagnent, dans les segments des deux demi-coupoles, des figures allégoriques qui se détachent en fort relief sur un fond d'architecture feinte. Les scènes mythologiques peintes par Carle Van Loo et par Claudio Francesco Beaumont dans le même édifice et au Palais Royal de Turin (1753) confirment le goût du temps pour des compositions où les vides ont un rôle déterminant. Parmi les autres exemples intéressants que l'Italie du Nord offre en grand nombre, on peut signaler, dans le palais ducal de Mantoue, la voûte de la galerie des Fleuves, peinte en 1776 par Giorgio Anselmi ; de grands médaillons au style très léger s'y inscrivent dans une pergola en trompe l'œil.

   En France, après les grands travaux de la chapelle de Versailles, des Invalides et du Palais-Royal, après l'apport éphémère de Pellegrini, qui traite en Vénitien la voûte de la galerie (disparue) de la Banque royale, la peinture plafonnante subit une éclipse — qui est une exception dans l'Europe du Rococo —, dont la cause est à rechercher dans un changement du goût. Son éviction serait presque totale sans un grand ouvrage isolé, l'Apothéose d'Hercule, peinte par François Lemoyne à la voûte du salon d'Hercule (1729-1734), le plus vaste de Versailles. Une modeste bordure architecturale en trompe l'œil encadre un ciel ouvert et peuplé de figures dans l'esprit de Giordano et de La Fosse, avec une répartition harmonieuse des pleins et des vides, et un coloris fondu qui traduit la présence de l'air. Cette composition est le modèle du genre en France, qui inspirera à G. Taraval la décoration du Palais royal de Stockholm. Ailleurs, à Versailles comme dans les hôtels parisiens et les châteaux de cette époque, la mode fait abandonner la décoration peinte des plafonds et des voûtes, jugée trop lourde. On préfère des plafonds blancs, enrichis, au besoin, de stucs et de dorure, tout en admettant les compositions à grotesques de Watteau et de son école. Habituellement, la couleur trouve refuge dans les dessus-de-porte. Vers le milieu du siècle, alors que se dessine la réaction contre la rocaille, on assiste cependant à une résurgence de la peinture monumentale et plafonnante. La critique salue avec enthousiasme l'Assomption dont J. B. Pierre orne la coupole de la chapelle de la Vierge à Saint-Roch de Paris, en essayant de renouer avec la grande tradition de Corrège, de Lanfranco et de Pierre de Cortone (1748-1756). À Rome, au-dessus de la nef de Saint-Louis-des-Français, Natoire peint dans le même esprit la Mort et la glorification de Saint Louis (1755). À Fontainebleau, dans la salle du Conseil, les toiles de Boucher, qui garnissent les caissons du plafond et qui représentent Apollon et les Saisons, reflètent le souvenir de certains morceaux peints par Véronèse au palais des Doges.