Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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Mantegna (Andrea) (suite)

1480-1490

Protégé par les Gonzague, doté par eux d'une maison, l'artiste, qui se trouve à la tête d'un atelier actif, exécute des cartons de tapisseries, des coffres de mariage (cassoni), des modèles d'orfèvrerie aussi bien que l'étonnant Christ mort de la Brera, vu en raccourci, qui, selon Félibien, fit partie de la galerie de peinture de Mazarin à Rome, le Saint Sébastien donné à l'église d'Aigueperse à l'occasion du mariage d'un Bourbon (1481, auj. au Louvre), des portraits, la Madone aux anges (Brera), la Présentation au Temple (Berlin, musées de Berlin), où se cristallisent les liens entre Mantegna et Giovanni Bellini, et des œuvres peintes avec une minutie qui n'exclut pas les plus subtils effets lumineux : la Vierge aux carrières (Offices), le Christ mort (Copenhague, S. M. f. K.).

Les " Triomphes de César "

La série des 9 grandes toiles, de même format, conservées à Hampton Court et représentant les Triomphes de César illustre la dernière phase de l'art mantegnesque. Ce sont des chefs-d'œuvre de reconstitution mythologique, d'une rare efficacité décorative. Renonçant aux couleurs froides qu'il utilise généralement, l'artiste opte pour un riche camaïeu, admirablement servi par la sûreté du dessin. En 1492, la série n'était pas encore achevée qu'on en répandait déjà les gravures : elle fut vendue à Charles Ier d'Angleterre au XVIIe s.

Dernière période

En 1489, Mantegna fait un séjour à Rome, où il travaille pour le pape Innocent III à la décoration de la petite chapelle du Belvédère, disparue. De retour à Mantoue en 1490, il est chargé par le nouveau couple princier, François et Isabelle d'Este, de nombreux travaux : décoration de la résidence de Marmirolo ; Madone de la victoire (1496, Louvre), qui commémore la victoire du duc sur les Français à Fornoue et se présente comme une " miniature colossale " (Camesasca) trop concertée ; Madone Trivulzio (1497, Milan, Castello Sforzesco), d'une harmonieuse composition, mais présentant, elle aussi, les signes d'un certain affaiblissement académique. Cette dernière période fut consacrée à la décoration du Studiolo, petite pièce située dans une tour du château et dans laquelle Isabelle souhaitait rassembler des peintures exécutées par les meilleurs artistes italiens vivants. Précédant Pérugin et Lorenzo Costa, Mantegna exécute le Parnasse, commandé en 1496 et mis en place en 1497, le Combat des Vices et des Vertus, mis en place face au Parnasse en 1502, et le Comus, achevé par Costa, tous trois entrés au Louvre grâce à l'acquisition qu'en fit Richelieu avant 1630. Plus significatifs sont sans doute les admirables monochromes à sujets bibliques, simulant des bas-reliefs, de la décennie 1490-1500 (musée de Cincinnati ; Dublin, N. G. ; Vienne, K. M. ; Louvre ; Londres, N. G.), traités avec une finesse et une précision étonnantes, où Mantegna se montre en pleine harmonie avec les idées de la Renaissance : il traduit là dans un langage illusoirement réaliste sa passion pour le mythe antique et sa vision inflexible de formes dures et sèches avec une clarté et une mesure toutes classiques. Parmi les meilleures de ses dernières compositions, on peut encore citer certaines Saintes Conversations (Dresde, Gg), l'Adoration des mages (Malibu, musée Getty) et la Vierge et l'Enfant entre saint Jean et sainte Madeleine (Londres, N. G.).

Le style de Mantegna

Si l'art de Mantegna semble avoir ses racines profondes dans le goût des " antiquailles " de son maître padouan, Squarcione, la présence à Padoue d'artistes toscans entre les années 1430 et 1460 (A. del Castagno, Paolo Uccello, Filippo Lippi, Donatello) joua un rôle déterminant dans l'élaboration du style d'Andrea ; Piero della Francesca séjourna en 1449 à Ferrare, et le Polyptyque de saint Luc, par ses couleurs claires, témoigne sans doute d'une rencontre des deux artistes. À Ferrare, Mantegna se trouve par ailleurs en contact avec des œuvres flamandes (Rogier Van der Weyden). Puis ce fut le tour des Vénitiens : les " carnets " de dessins du vieux Jacopo ne laissèrent certainement pas le jeune artiste indifférent, et les échanges avec Giovanni eurent pour conséquence un adoucissement de son art. À Mantoue même, Mantegna trouva un climat d'érudition archéologique peut-être livresque, mais sincère. Des séjours toscans, il semble avoir retenu l'œuvre et l'intérêt pour la gravure de B. Gozzoli. Sans doute était-il trop enraciné dans sa vision personnelle de l'Antiquité pour retirer un choc quelconque de son premier contact avec Rome (preuve en est l'unité stylistique de la série de Triomphes, exécutée avant et après le séjour romain). À la fin de sa vie, Mantegna semble s'être retiré sur lui-même, fermant son art à la nouvelle génération : Léonard, Giorgione, Michel-Ange et Raphaël.

L'œuvre graphique

Bien qu'essentielle, l'activité picturale de Mantegna reste difficile à définir en raison de la disparition de plusieurs cycles décoratifs et de la mauvaise conservation des peintures de chevalet. Reste le domaine graphique, où Mantegna excelle et où il se révèle souvent plus sincère dans ses recherches formelles. Au XVIIIe s., quelque 50 gravures étaient attribuées au maître ; on en connaît aujourd'hui 7, dont 6 citées par Vasari : 2 Bacchanales, 2 parties d'un Combat des dieux marins (v. 1470), Déposition, Madone à l'Enfant, proche du tableau du musée Poldi-Pezzoli de Milan (v. 1475), et Christ ressuscité entre saint André et saint Longinus (v. 1488). Parmi les œuvres les plus élevées de Mantegna, citons le dessin de la Judith (Offices, 1491), qui appartint à Vasari. On a également parlé de l'activité de miniaturiste de l'artiste, sans compter celles du sculpteur et de l'architecte incontestable qu'il était.

L'influence de Mantegna

Artiste solitaire qui échappe à toute classification d'école, créateur de tout un répertoire de médaillons antiques, de cortèges, de monstres, de motifs décoratifs et d'un monde souvent solennel, froid et cérébral où la tension intellectuelle se relâche rarement, mais d'une puissance qui touche parfois au tragique, Mantegna influença de façon irremplaçable l'art de l'Italie du Nord, de Padoue (Morone) à Venise (période " mantegnesque " de Vivarini ou de Giambellino), à Ferrare et jusque dans les Marches (Crivelli). Sur le plan de la technique picturale, il joua un rôle de pionnier : la plus ancienne peinture sur toile connue en Italie est la Sainte Euphémie de 1454, et Vasari note, à propos des Triomphes de César, que Mantegna, " ayant plus de facilités et d'expérience dans la peinture sur toile, obtint de faire cet ouvrage non à fresque mais sur toile ". Enfin, c'est en grande partie à travers lui et grâce à la diffusion de ses gravures que la Renaissance italienne pénétra en Allemagne (Dürer a fait deux voyages en Italie). Une importante exposition a été consacrée à Mantegna (New York, Metropolitan Museum of Arts ; Londres, Royal Academy) en 1992.