Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
N

néo-classicisme (suite)

Néo-Classicisme et Préromantisme

Bien que l'on ait généralement considéré le Néo-Classicisme comme l'antithèse du Romantisme, des interprétations historiques plus larges ont vu récemment, dans cette évocation nostalgique d'une civilisation perdue, comme une phase du mouvement romantique plutôt qu'une opposition à ce dernier. D'ailleurs, même en envisageant le Romantisme de façon plus étroite, il est indéniable que de nombreux artistes de la fin du XVIIIe s. et du début du XIXe s. ont employé des moyens néo-classiques à des fins romantiques. Déjà, dès les années 1770, décennie du Sturm und Drang allemand et d'autres manifestations précoces du Romantisme, plusieurs artistes du nord de l'Europe utilisent l'art et les sources littéraires classiques pour la mise en œuvre de peintures ou de dessins dont le caractère passionné, terrifiant ou bizarre, va jusqu'à l'extravagance. Cette tendance est particulièrement bien illustrée par l'artiste anglo-suisse Henry Füssli, savant à l'érudition classique, traducteur de Winckelmann, mais également à l'aise dans le monde romantique de Shakespeare et la mythologie nordique. Les sujets classiques que Füssli choisit sont très éloignés du répertoire héroïque ou rococo de la plupart des peintres néo-classiques français et italiens ; l'artiste marque, en effet, sa préférence pour des sujets faisant appel à une imagination délirante ou à un érotisme morbide. De même, son interprétation de la statuaire ou de la peinture classiques fait ressortir des qualités d'énergie surhumaine ou de volupté perverse qui ne sont pas sans rapport avec les maniéristes italiens.

   Cette puissance évocatrice dans l'apparition d'éléments fantastiques et troubles à partir d'art ou de littérature classiques se retrouve chez d'autres artistes de la génération de Füssli tels que l'Irlandais James Barry, l'Anglais John Hamilton Mortimer et le Danois Nicolaï Abildgaard, qui, tous, comme Füssli, cherchent, dans l'Antiquité comme dans la littérature nordique, des motifs de souffrance irrationnelle et la manifestation du surnaturel, présentés dans un style accentuant les déformations grotesques des personnages et de macabres effets de lumière, en accord avec la nouvelle esthétique romantique du sublime.

   Ainsi voit-on établies, dès les années 1780, les diverses formes de style et d'expression remarquablement souples de la peinture néo-classique. Du point de vue des thèmes, l'histoire et la littérature gréco-romaines offraient une variété considérable de sujets : légendes à tendance moralisatrice des Grecs et des Romains prisées par les réformateurs de 1760, simple érotisme mythologique en faveur auprès des artistes toujours épris du Rococo ou bien fantômes, monstres et drames violents goûtés par les romantiques nordiques des années 1770. Quant au style, la peinture néo-classique n'offrait pas moins de variété, puisqu'elle puisait à un répertoire classique de plus en plus vaste (depuis les vases archaïques grecs jusqu'aux sculptures de la Rome impériale), même au répertoire non moins considérable des styles postclassiques, depuis Michel-Ange, les maniéristes italiens et Salvator Rosa jusqu'à Poussin, Le Brun et la tradition bolonaise.

David

Il restait cependant nécessaire qu'un grand génie choisît nettement une voie parmi les multiples possibilités ainsi offertes par le Néo-Classicisme. Ce fut le rôle d'un élève de Vien, Jacques-Louis David. Jusqu'au premier séjour de David à Rome, comme lauréat du prix de Rome (1775-1780), son art demeura tributaire du Rococo et fit figure de retardataire par rapport aux canons néo-classiques des années 1760 et 1770. Mais ses études romaines lui permirent de renouveler son style à la faveur non seulement d'un enthousiasme accru pour l'idéal de beauté de l'art classique, mais aussi de sa connaissance intime de la peinture italienne du XVIIe s. Ayant assimilé à la fois le réalisme et l'idéalisme de la sculpture romaine, la leçon naturaliste de Caravage et la leçon classique des Carrache, David fut en mesure de ranimer les tendances au Néo-Classicisme d'artistes de moindre rang comme West et Hamilton, en apportant une connaissance approfondie de l'anatomie, un sens solide de la construction géométrique et l'aura attachée à un propos hautement moral. Dans les années 1780, égalant par la rigueur du style et par le caractère héroïque des thèmes des maîtres comme Jean-François-Pierre Peyron et Jean-Germain Drouais, David exécuta une série de chefs-d'œuvre qui le firent connaître, sur le plan international, comme le propagateur d'une nouvelle foi, esthétique et morale, dans l'Antiquité. Le Serment des Horaces, exécuté et exposé d'abord à Rome en 1784, puis à Paris au Salon de 1785 (Louvre), devint ainsi le manifeste du mouvement néo-classique en peinture ; cette œuvre combinait avec force l'héroïsme d'un thème romain (le serment d'allégeance à la patrie) avec un style rigoureusement contrôlé qui soulignait cette ardente proclamation de vertu civique. Exaltant les mérites d'une volonté forte et la rigueur d'un ordre visuel, les Horaces sonnèrent en Europe le glas de l'Ancien Régime en peinture et annoncèrent l'idéalisme fervent que l'on trouve à l'arrière-plan intellectuel de la Révolution. Le Néo-Classicisme de David fut donc très vite associé à l'activité politique révolutionnaire ; ses drames classiques composés au cours des années 1780 et vénérant le patriotisme grec et romain et le don de soi (Hector, Socrate, Brutus) furent rapidement transposés, dans les années 1790, en une sanctification des héros modernes, tels Le Peletier de Saint-Fargeau, Marat et Bara.

   Après la chute de Robespierre, dont il avait été un ardent défenseur, David revint insensiblement au Classicisme. Avec les Sabines (1799, Louvre), il recherche la pureté d'un style plus grec que romain et qui, autrement dit, éliminerait les traces de réalisme indéniables de ses premières œuvres néo-classiques au profit d'une plus grande abstraction de surface et de contour et d'une importance plus grande accordée à l'espace à deux dimensions.

Archaïsmes et primitivismes

En cela, l'art de David se développa à l'image du Néo-Classicisme international aux alentours de 1800, époque à laquelle de nombreux artistes s'ingénièrent à tirer des prémisses du Classicisme des archaïsmes très poussés. L'exemple le plus typique est celui de John Flaxman, qui, dans les années 1790, publia des illustrations fort originales pour Homère et Eschyle ; celles-ci s'inspiraient des lignes très épurées des peintres de vases grecs que l'on collectionnait et qui donnaient lieu à d'abondantes publications en cette fin du XVIIIe s. Réduisant le langage pictural à la beauté du trait sur un fond blanc, les gravures de Flaxman révélèrent la pureté classique aux artistes et même aux écrivains d'Angleterre et du continent et ont pu inspirer non seulement David et Ingres, mais aussi des romantiques britanniques ou allemands comme William Blake et Philipp Otto Runge. Ce penchant à un primitivisme néo-classique se rencontre également dans l'œuvre du maître allemand Asmus Jakob Carstens, qui travaillait à Rome dans les années 1790 et qui s'efforça à un style classique sévère et abstrait au point qu'il écarta même la technique de la peinture à l'huile pour la peinture à la détrempe sans modelé ou le simple dessin au trait. Ce souci d'un style grec encore plus archaïque caractérisait aussi le milieu érudit et artiste qui entourait Goethe à Weimar, vers 1800, et où les artistes, illustrant des thèmes empruntés à Homère ou reconstituant des peintures classiques perdues, se servaient d'un langage pictural extrêmement simple qui appelait l'aube pure de la civilisation classique.

Les davidiens

Au début du XIXe s., la doctrine néo-classique faisait donc loi dans toute l'Europe, et la majorité des peintures qu'elle inspira, qu'elles soient dues à un Italien tel que Vincenzo Camuccini ou à un Allemand comme Gottlieb Schick, peut être considérée comme le reflet des styles et des thèmes déjà consacrés à la fin du XVIIIe s. Mais la quantité et la qualité de la production restèrent le privilège de Paris, centre le plus important et le plus fécond du Néo-Classicisme, et cela grâce à David et aux centaines de jeunes artistes venus travailler dans son atelier de pays aussi éloignés que l'Espagne, le Danemark, les États-Unis ou la Russie. Après les Sabines, le style de David lui-même évolua vers une interprétation de l'Antiquité plus maniérée et plus précieuse, comme le prouve l'élégance légère de portraits tels que celui de Madame Récamier (1800, Louvre) ; dans ses œuvres ultérieures, en particulier celles qui furent exécutées en exil à Bruxelles après la Restauration, l'artiste s'écarte délibérément du stoïcisme viril qui marque son Classicisme révolutionnaire pour revenir au Classicisme rococo qui était la marque de son maître Vien. De nouveau, Vénus supplantait Minerve et Mars dans l'indolence et la volupté, au milieu de silhouettes estompées et de détails exquisément finis. Ce goût pour la préciosité s'accentua chez les élèves de David, qui délaissèrent à leur tour le genre belliqueux et vertueux des années révolutionnaires et modifièrent les principes davidiens en un style raffiné et sophistiqué d'où émanait souvent un parfum romantique. Déjà, au Salon de 1793, l'Endymion d'Anne Louis Girodet-Trioson (Louvre) offrait une curieuse interprétation d'un thème aussi classique que celui d'Endymion, emprunté à un sarcophage, puisqu'il prend pour unique source de lumière le reflet laiteux de la lune et qu'il donne à ses personnages un modelé souple et sinueux qui, combiné avec la qualité marmoréenne des contours, produit cette impression d'érotisme glacé si fréquente dans tant de peintures et de sculptures néo-classiques. Des œuvres comme Endymion appartiennent à ce monde secret et lunaire que l'on retrouve dans la peinture d'un contemporain de David qui n'était cependant pas parmi ses élèves, Pierre-Paul Prud'hon, et dont l'art gracieux et mélancolique a été réclamé à la fois par le Néo-Classicisme et par le Romantisme, exemple qui montre à quel point la ligne de partage entre les deux antagonistes apparents est mouvante. La fascination croissante exercée par les régions lointaines et mystérieuses devait introduire dans le cercle davidien des thèmes d'un Romantisme exotique. La Mort d'Atala (Salon de 1808 ; Louvre), inspirée à Girodet par le récit pathétique de Chateaubriand relatant la vie des chrétiens chez les Indiens d'Amérique, en est une preuve, de même la Carthage à l'orientalisme plein de langueur évoquée dans Didon et Énée (Salon de 1817 ; Louvre) par P. N. Guérin, élève de J. B. Regnault, principal rival de David.