Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
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La Tour (Maurice Quentin Delatour, dit Maurice Quentin de)

Peintre français (Saint-Quentin 1704  – id.  1788).

Son nom, dans tous les actes officiels de Saint-Quentin, est orthographié Delatour. C'est l'artiste qui écrivit son nom en trois parties, graphie admise depuis. Très jeune, il manifeste du goût pour le dessin, copie des estampes. En 1723, peut-être à la suite d'une intrigue malheureuse avec sa cousine, il vient à Paris, se présente au graveur N. H. Tardieu, qui le fait entrer chez Jean-Jacques Spoëde, peintre médiocre. Il reçoit aussi les conseils de Louis de Boullogne et surtout de Jean Restout. Mais, en vérité, il se forme seul dans l'art du pastel, alors remis en vogue par Vivien et par Rosalba Carriera. " Il s'afficha, écrit Mariette, pour peintre de portraits, il les faisait au pastel, y mettait peu de temps, ne fatiguait point ses modèles ; on les trouvait ressemblants, il n'était pas cher. " Le premier portrait daté est celui de Voltaire, que nous ne connaissons que par une gravure de Langlois, qui indique l'année 1731. Désormais, nous serons mieux renseignés sur ses travaux. " Agréé " à l'Académie royale en 1737, reçu en 1746 comme " peintre de portraits au pastel " avec le Portrait de Restout, peintre (Louvre), il participe aux expositions du Louvre, dont le directeur des Bâtiments du roi, Orry de Vignory, venait d'ordonner la reprise après treize ans d'interruption. Il exécute en 1741 le grand portrait en pied du Président de Rieux (Los Angeles, Getty Museum), en 1742 celui de la Présidente de Rieux, en habit de bal (Paris, musée Cognacq-Jay), et, étonnant de vérité, celui de son ami l'Abbé Huber (musée de Saint-Quentin). En 1743 commence la série des portraits officiels : celui du Duc de Villars, gouverneur général de Provence, est conservé au musée d'Aix-en-Provence. En 1745, il montre au Salon le Portrait de Duval de l'Épinoy (Lisbonne, fondation Gulbenkian). Le nombre des pastels envoyés par lui au Salon de 1748 s'élève à 14, parmi lesquels 8 sont conservés au Louvre : entre autres les portraits du Roi, de la Reine, du Dauphin et du Maréchal de Saxe. En 1750, il est nommé conseiller de l'Académie royale ; la même année y est " agréé " un artiste que tels critiques se plaisent à lui opposer, Jean-Baptiste Perronneau. Il exécute alors (1751) le plus " fini " de ses Autoportraits, celui du musée d'Amiens. La manière de l'artiste perd en moelleux et en charme ce qu'elle gagne en vigueur et en intensité de vie. C'est, au Salon de 1753, Jean-Jacques Rousseau (musée de Genève), D'Alembert (Louvre). Au Salon de 1755 est montré avec apparat le grand portrait de Madame de Pompadour (Louvre ; 3 préparations, aux accords nacrés, dont l'une saisissante par le déclin de l'âge capté, au musée de Saint-Quentin), portrait payé mille louis d'or. Parmi les figures envoyées par l'artiste en 1757, citons le Père Emmanuel, capucin, Mademoiselle Fel, chanteuse de l'Opéra (musée de Saint-Quentin), l'une des nombreuses actrices portraiturées par La Tour et qui fut la compagne de presque toute sa vie. Les portraits de La Tour provoquent alors l'enthousiasme de Diderot. En 1761, il expose l'image de la Dauphine Marie-Josèphe de Saxe (Louvre). À partir de cette époque, il a tendance, par scrupule, à retoucher sans cesse ses œuvres, ce qui souvent les durcit et les alourdit. Les critiques parlent moins de lui. Il expose pour la dernière fois en 1773.

   Féru de chimie, de géologie, d'astronomie, approuvant le mouvement philanthropique des encyclopédistes, il forme des projets humanitaires, notamment en faveur de sa ville natale, où il se retire avec son frère en 1784. Celle-ci est dotée par lui de deux rentes, pour les femmes en couches et pour les artisans vieux et infirmes, d'une école gratuite de dessin, richement pourvue pour l'avenir et qui existe toujours dans le bâtiment de style XVIIIe s. construit par Paul Bigot de 1928 à 1931 pour l'abriter, ainsi que de 92 pastels de La Tour, tant esquissés qu'achevés. Le peintre fonda trois prix, dont l'un à l'Académie des sciences d'Amiens et un autre, celui de la demi-figure, encore décerné. Les sommes élevées qu'il demandait à la commande l'avaient considérablement enrichi. Son caractère indépendant, autoritaire, irascible s'altéra pendant ses dernières années, au point qu'il perdit la raison. L'artiste mourut intestat ; son frère légua à la ville de Saint-Quentin toutes les œuvres et études du peintre, qui constituent le fonds du musée de cette ville (musée Antoine-Lécuyer). Dans ses portraits les plus réussis, un modelé à la fois souple, ferme et léger saisit au-delà de la ressemblance, derrière un regard, un sourire, une moue, la psychologie du modèle ou ce que celui-ci veut en montrer. Des accents de lumière et d'ombre la mettent encore en valeur. La gamme chromatique est à dominantes bleue et gris perle ; le rose est fréquent ; peu de rouge et de jaune. Les accessoires sont soigneusement indiqués, sans minutie, et définissent le personnage, les fonds sont heureusement nuancés dans une pénombre. Il a inventé pour ses pastels un fixatif dont il n'a pas laissé le secret de composition.

La Traverse (Charles de)

Peintre et dessinateur français (Paris 1725  – id. 1787 [?]).

Élève de Boucher, il obtint en 1748 le second prix de Rome et fut classé parmi les 6 " élèves protégés ", ce qui lui permit de séjourner à Rome de 1749 à 1755 : il envoya au Salon de 1750 une Mort d'Hippolyte, au Salon de 1751 Alexandre le Grand fait peindre ses favorites. Il s'attacha ensuite à l'ambassadeur de France à Naples, le marquis d'Ossun, qui l'employa comme secrétaire ; il exécuta pendant son séjour à Naples un recueil de charmantes eaux-fortes, Grida ed altre azioni del popolo di Napoli, qui représente les cris de la rue et les types populaires. Le roi de Naples, Charles III, étant devenu roi d'Espagne (1759) et l'ambassadeur étant transféré de Naples à Madrid, La Traverse le suivit et demeura une quinzaine d'années à Madrid, mi-peintre, mi-attaché d'ambassade. Il fut le maître et l'ami de Paret y Alcázar. Il n'était sûrement pas de retour à Paris en 1779, mais la date exacte de sa mort reste incertaine.

   Les peintures connues de La Traverse sont peu nombreuses (Tobie faisant enterrer les morts, musée de Saintes ; Chasse à courre, Prado ; les Enfants de Charles III, Madrid, Acad. de San Fernando) et honorables, sans plus. En revanche, il apparaît comme un dessinateur très vivant, dynamique et ingénieux, l'un des plus " baroques " du XVIIIe s. français dans les deux grandes collections conservées au musée de Besançon et à la B. N. de Madrid : sujets mythologiques, allégoriques, compositions décoratives révèlent un virtuose aussi brillant que mal connu.