Dictionnaire de la Peinture 2003Éd. 2003
E

Elsheimer (Adam)

Peintre allemand (Francfort  1578  – Rome 1610).

Formé entre 1593 et 1598 dans l'atelier du peintre de Francfort Philip Uffenbach, il quitte sa ville natale et, par Munich, se rend à Venise, où il travaille quelque temps avec Hans Rottenhammer. Il semble surtout avoir été impressionné par les œuvres de Titien, de Véronèse et de Tintoret, dont on retrouve notamment l'influence dans la gamme lumineuse en trois couleurs — bleu-jaune-rouge — du petit tableau sur cuivre de 1599, la Sainte Famille avec des anges (musées de Berlin), ou le Sacrifice de saint Paul à Lystre (1599, Francfort, Städel. Inst.). Mais Elsheimer s'inspirera aussi, tant du point de vue du style que de celui de la technique, des travaux de petit maître de Rottenhammer, qui, lui aussi, aimait à peindre sur cuivre.

   En 1600, il se fixe à Rome, où il résidera jusqu'à sa mort. Le paysage avec de petites figures mythologiques représentant l'Éducation de Bacchus (Francfort, Städel. Inst.), qui appartient à sa première période romaine, reste — malgré les motifs des environs de Rome peints à l'arrière-plan — encore entièrement soumis à la conception maniériste du paysage illustrée à la fin du XVIe s. par les Néerlandais de Frankenthal, ville voisine de Francfort. La surface du tableau, toutefois, n'est pas envahie par les épaisses frondaisons des arbres et diffère en cela des paysages de forêts des maîtres de Frankenthal, dont le schéma de composition avait été introduit par Paul Bril à Rome, où Elsheimer le connut et se lia intimement avec lui. Au centre du tableau, le feuillage d'un groupe d'arbres éclairés par le soleil se profile délicatement sur le gris des nuages et laisse le regard se poser librement sur l'horizon bas et lumineux.

   Les innovations de Caravage, emprise directe de la réalité, oppositions fortement contrastées de lumière et d'ombre, retinrent ensuite son attention. La monumentalité des paysages d'Annibale Carracci et les paysages peuplés de figures anecdotiques de Dominiquin lui donnèrent aussi la possibilité d'abandonner la conception néerlandaise du paysage de la fin du XVIe s. pour se rallier à l'optique nouvelle du paysage italien.

   Bien qu'Elsheimer ait continué de peindre des tableaux de très petites dimensions, la composition leur conféra une ampleur monumentale comparable à celle de la grande peinture baroque italienne. Son célèbre paysage l'Aurore (Brunswick, Herzog Anton Ulrich-Museum) est un mélange d'idéal romantique, de réalité idyllique et d'une technique délicate qui rappelle la miniature dans une conception plus large. Ce chef-d'œuvre du paysage allemand a été peint peu de temps avant la mort d'Elsheimer. Les contrastes de lumière et d'ombre, le dégradé des plans et des valeurs jusqu'aux lointains qui se perdent dans une atmosphère imprécise d'un gris-bleu vaporeux sont des éléments qui relèvent de l'art baroque. Structure formelle réduite à des éléments de composition extrêmement simples, éclat d'une ambiance matinale, limpidité de l'atmosphère, lumière qui perce à travers les nuages s'unissent pour donner à cette œuvre minuscule une monumentalité toute nouvelle. Cette simplicité, ce rendu d'un sentiment fervent de la nature diffèrent de la grandiose ordonnance décorative du paysage héroïque de Carrache ou de Poussin et annoncent le paysage de Rembrandt ou de Claude Lorrain. De même, l'effet nocturne de Philémon et Baucis (Dresde, Gg) — première peinture d'intérieur au sens moderne du mot — fait du peintre le précurseur des intimistes de l'école hollandaise. Elsheimer traite ici un thème des Métamorphoses d'Ovide. Plus que les apprêts du repas du soir dans un pauvre intérieur villageois, il s'agit d'un monde fabuleux où hommes et dieux, unis par un sentiment d'intime compréhension, sympathisent. Il faudra attendre cinquante ans, avec l'œuvre tardive de Rembrandt, qui a connu cet ouvrage, pour que ce thème soit traité semblablement comme une apparition poétique et visionnaire du divin.

   Parmi les autres œuvres importantes d'Elsheimer, on peut citer des paysages animés de figures (Apollon et Coronis, Liverpool, Walker Art Gal. ; Tobie et l'ange, Francfort, Historisches Museum, attribution auj. contestée), avec quelquefois d'étonnants effets d'éclairage lunaire (la Fuite en Égypte, 1609, Munich, Alte Pin.), des scènes d'intérieur éclairées artificiellement (Judith, Londres, Apsley House) et des compositions mythologiques ou sacrées groupant de très nombreuses figures (Martyre de saint Laurent, Londres, N. G. ; Martyre de saint Étienne, Édimbourg, N. G. ; Glorification de la Croix, Francfort, Städel. Inst. ; le Baptême du Christ, Londres, N. G. ; Scène de sacrifice antique, dit Il Contento, Édimbourg, N. G.), d'un accent touchant parfois au fantastique (Incendie de Troie, Munich, Alte Pin. ; Naufrage de saint Paul, Londres, N. G.). Signalons en outre que le Städel. Inst. de Francfort conserve un bel ensemble de tableaux de l'artiste.

   Elsheimer fut aussi un remarquable dessinateur. Ses études de figures, d'un réalisme intense, ont servi de modèle à Rembrandt, qui, probablement, en possédait un grand nombre. Comme pour ses peintures, il est difficile d'identifier les sites de ses dessins de paysages, faits le plus souvent au lavis dans une technique très picturale ; leurs contours, légèrement indiqués, d'un métier large, dénotent une écriture souverainement habile. Il n'y faut pas chercher une traduction réaliste, mais une image composée, idéale, créée par le groupement de différents motifs et formulée dans l'esprit du Baroque de façon parfaitement harmonieuse. Ses paysages à la gouache, gris foncé avec rehauts de blanc et quelques taches de couleurs, décèlent une maîtrise complète du rendu de l'espace qui ne se retrouve que dans l'œuvre tardive de Rembrandt. L'art d'Elsheimer n'eut pour adeptes en Allemagne que des artistes secondaires : Johann König et Thomas von Hagelstein. Ce fut chez les meilleurs représentants de la peinture baroque qu'il trouva ses admirateurs. Rubens fit ainsi partie à Rome de son entourage. Rembrandt fut initié à son œuvre par l'intermédiaire de Hendrik Goudt — disciple d'Elsheimer pour son clair-obscur — et par son maître Pieter Lastman. C'est encore Elsheimer qui prépara la vision spatiale de Claude Lorrain et des paysages " romanistes " venus des Pays-Bas (Poelenburgh, Pynas, Breenbergh, Uyttenbroeck). Son influence sur Saraceni est certaine. Dans une lettre envoyée à Rome par Rubens au moment de sa mort, on peut lire : " Selon moi, il n'eut jamais son pareil dans le domaine des petites figures, du paysage et de tant d'autres sujets. "