Solitude
Comédie dramatique de Paul Fejos, avec Glenn Tryon (Jim Parson), Barbara Kent (Mary Dale), Fay Holderness (la dame bien habillée), Gustav Partos (le monsieur romantique), Eddie Phillips.
Scénario : Edmund T. Lowe Jr., d'après un sujet de Mann Page
Photographie : Gilbert Warrenton
Musique : valse Always d'Irving Berlin
Montage : Frank Atkinson
Production : Carl Laemmle (Jewel-Universal)
Pays : États-Unis
Date de sortie : 1928 (version muette et version sonorisée)
Technique : certaines séquences teintées
Durée : 2 100 m (environ 1 h 20)
Résumé
Jim, ouvrier d'usine, et Mary, téléphoniste, habitent des logements contigus dans le même immeuble, mais ne se connaissent pas. Toute la semaine, ils se hâtent à travers la foule pour arriver à l'heure au travail où ils sont harassés, lui par le bruit des machines, elle par la cadence infernale des appels ; quand ils rentrent le soir chez eux, ils se retrouvent dans la plus désespérante solitude. Un samedi, ils vont l'un et l'autre au Luna Park de Coney Island : dans la foule grouillante, ils se rencontrent et sympathisent immédiatement. Mais Jim est emmené par erreur au poste de police et, à son retour, ne retrouve pas Mary. Ils se cherchent dans la foule, mais en vain et rentrent chez eux, chacun de son côté, en proie au désespoir car ils ont commencé à s'aimer. Pour se consoler, Jim fait jouer le disque de l'air qui a accompagné leurs fugitives heures de bonheur. Mary, qui entend la musique, frappe au mur pour faire cesser cette torture morale : Jim, furieux, sort sur le palier et retrouve celle qu'il se désespérait d'avoir perdue.
Commentaire
Réalisme social et fantaisie poétique
Le film mêle la gentillesse et l'humour, la sentimentalité discrète et la finesse psychologique : version rose du mélodrame, il conjugue habilement le rire et les larmes. Mais la vision du cinéaste relève moins du romanesque sentimental que de l'observation documentaire car, contrairement au souci habituel d'évasion de la comédie américaine, Fejos met en scène des individus ordinaires dans le cadre véridique de leur travail et de leurs loisirs. Son approche filmique corrobore cette volonté d'authenticité dans la description des personnages et du milieu : la caméra tenue à la main, pratique alors inédite, donne le sentiment d'une vérité saisie sur le vif dans un souci de réalisme psychologique et social qui est caractéristique de bien des films américains de la fin du muet, comme par exemple la Foule de King Vidor, tourné la même année et traitant le même sujet de la solitude individuelle dans la cohue anonyme. Ce populisme de bon aloi, où le happy end traditionnel apparaît moins comme un dénouement artificiel que comme une heureuse étape dans la recherche du bonheur, valut au film un succès mondial dû à sa sensibilité sans mièvrerie et à sa séduisante poésie visuelle. Ce modeste chef-d'œuvre témoigne de l'acuité et de la lucidité du regard porté sur l'Amérique d'avant la crise par un cinéaste étranger d'origine hongroise qui a également travaillé dans son pays natal, en France, en Autriche et un peu partout dans le monde.
la Solitude du coureur de fond
Drame de Tony Richardson, avec Tom Courtenay (Colin Smith), Michael Redgrave (le directeur du Borstal, maison de redressement), James Bolam (Mike), Avis Bunnage (Mrs. Smith).
Scénario : Alan Sillitoe d'après sa nouvelle
Photographie : Walter Lassally
Décor : Ted Marshall
Musique : John Addison
Montage : Anthony Gibbs
Production : Woodfall Film
Pays : Grande-Bretagne
Date de sortie : 1962
Technique : noir et blanc
Durée : 1 h 44
Résumé
Dans un centre de redressement en Angleterre, Colin Smith se distingue par ses qualités de coureur de fond. Pendant les longs parcours d'entraînement en forêt, il songe à sa vie passée, sa famille, son camarade, son amie – au vol qui l'a conduit dans ce Borstal. Le jour de la course de l'école, il s'arrête délibérément devant la ligne d'arrivée, refusant de jouer le jeu de l'institution.
Commentaire
Éloge de la révolte individuelle
La Solitude du coureur de fond est caractéristique du « Free Cinema » des années 1960 en Angleterre. Ce courant bénéficie de deux influences principales : l'école documentaire britannique des années 1930 et les « Quatre Garçons dans le vent » des années 1960. Ces origines éclairent deux perspectives : le réalisme social et la drôlerie irrévérencieuse. Ce cinéma-vérité de fiction s'attaque à « la réalité, l'exubérance et la vitalité de ce monde que nous (Tony Richardson et Karel Reisz) avons entrepris de filmer et d'admirer ».
Dans la nouvelle de Sillitoe, le héros parle à la première personne. Colin Smith exprime ses pensées et sa vision de la société avec son propre langage. Sillitoe convertit son monologue en récit. Il développe certains personnages comme la mère de Smith et en crée d'autres comme les filles du week-end au bord de la mer. La marque du discours à la première personne affleure dans les nombreux flash-back rapportant l'histoire de Colin avant son arrestation. Celle-ci fait l'objet d'une ellipse. Les flash-back et les ellipses concourent à donner au film un ton distant qui caractérise une tendance du cinéma anglais.
Le film est fondé sur un système d'oppositions et de similitudes. L'eau sur la plage où Colin passe un week-end en amoureux nous renvoie au présent où Colin court entre les flaques dans la forêt : deux événements heureux unis par une analogie. Le montage parallèle oppose le chœur religieux des jeunes gens à l'arrestation d'un délinquant. Les fuites après le vol de la voiture puis après le hold-up de la boulangerie sont filmées en accéléré à la manière du cinéma burlesque des années 1910. Ces effets contribuent à donner une touche comique au film. Les longues courses solitaires dans les bois au petit matin symbolisent la liberté et l'espace, et soulignent l'opposition avec la vie étriquée de banlieue. Une musique de jazz, composée par John Addison, qui écrivit pour sept films de Tony Richardson, accompagne ces moments privilégiés du film. Elle rappelle la Nouvelle Vague française.
Pour jouer le rôle principal de son cinquième long métrage, après les Corps sauvages, le Cabotin, Sanctuaire, Un goût de miel, Tony Richardson choisit un acteur de 25 ans, membre de la troupe du théâtre de l'Old Vic, novice à l'écran. Le visage ingrat, inquiétant et pitoyable de Tom Courtenay, dont la laideur et la maigreur s'illuminent parfois d'une lueur de joie et de malice, confère une dimension très humaine au personnage de Colin Smith. Le jeune homme incarne la révolte individualiste, la pureté et l'honnêteté juvéniles opposées à l'hypocrisie de l'aliénation par le travail et la routine.