Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
B

Balzac (Jean-Louis Guez de)

Écrivain français (Angoulême 1595 - id. 1654).

Balzac a joué un rôle essentiel dans la formation de la prose classique. Il occupe, dans les courants culturels et stylistiques de son époque, une position médiatrice entre la Cour et l'humanisme érudit parlementaire. Descendant par sa mère d'une dynastie de robe, élève de Nicolas Bourbon, il a l'« air de la Cour » et les références de l'érudit (il parachève ses études à l'université de Leyde et par un séjour à Rome en 1621-1622). Dans les Lettres (1624) qu'il adresse non seulement à la société précieuse de l'hôtel de Rambouillet mais à toute l'Europe savante, il prend soin d'adapter en français les raffinements de la rhétorique latine (Cicéron, Sénèque, les Pères de l'Église). Ces lettres portent tout à la fois sur des sujets de circonstance comme sur des questions politiques, littéraires ou morales. Le succès que rencontrent les Lettres est dû à la nouveauté avec laquelle Balzac associe panégyrique et harangue, pour montrer que le genre épistolaire est capable d'abriter toutes les formes d'éloquence. Le Prince (1631) est une peinture du souverain idéal, tout dévoué à la chose publique. Le pouvoir trouve dans la volonté divine à la fois sa légitimité et ses limites. Après l'échec du Prince, Balzac se rapprochera de l'humanisme dévot et sera reçu dans le cercle des frères Dupuy. Il n'a jamais fait passer les mots avant les idées, comme en témoigne le Socrate chrétien (1652), dont l'argument est de concilier la morale antique avec la religion chrétienne, en faisant l'apologie de l'éloquence laconique de la Bible. Héritier de Montaigne (par son sens de la modernité et du moi), de Malherbe (par son souci de l'élocution), Balzac fut « en un temps de confusion et de désordre » l'initiateur d'une éloquence équilibrée et d'une langue à la fois souple et structurée dont l'évidence classique a fait souvent oublier la genèse.

Bana
ou Banabhatta

Écrivain indien de langue sanskrite (VIIe s.).

Brahmane s'ivaïte, poète à la cour du roi Harsa, dont il évoqua l'avènement au trône (Harsacarita), il laissa inachevé un roman en prose (Kadambari), que son fils termina, et qui, fondé sur un récit de la Brhatkatha, occupe, par l'union du merveilleux et des épisodes amoureux, une place unique dans la littérature sanskrite. On lui attribue aussi le Candis'ataka et le Parvatiparinaya.

bande dessinée

Née avec la presse de grande diffusion dans la deuxième moitié du XIXe siècle, la bande dessinée participe de l'émergence des arts de masse qui vont de pair avec l'urbanisation des pays en cours d'industrialisation. Pour autant que les recherches permettent d'en juger aujourd'hui, tous les pays d'Europe occidentale, les États-Unis et le Japon connaissent durant cette période une floraison de titres satiriques au sein desquels des dessinateurs, de manière plus ou moins sporadique, expérimentent diverses manières de raconter une histoire en images. On citera parmi nombre d'artistes Nadar, Caran d'Ache, Gustave Doré et Benjamin Rabier en France, A. B. Frost et Frederick Opper aux États-Unis, Carl Reinhardt en Allemagne. On peut noter que beaucoup s'illustrèrent simultanément ou ultérieurement dans d'autres domaines de la création graphique... Le précurseur le plus remarquable est un Suisse, Rodolphe Töpffer qui, avec une poignée d'albums édités à Genève à partir de 1833, pose les bases d'un système narratif et d'une esthétique d'une étonnante modernité : personnages et décors définis par un graphisme proche de l'esquisse, exagération des postures et des mouvements, utilisation de l'ellipse, variation de la taille des cases, primat donné à l'image au détriment du texte... Tous les ingrédients de la bande dessinée (à l'exception des bulles et des onomatopées) sont déjà présents. La thématique même de Töpffer (ses « histoires en estampes » racontent invariablement l'histoire de bons bourgeois qu'une idée fixe précipite dans des aventures extravagantes) exercera une influence durable et on en retrouve des traces chez des auteurs aussi divers que l'Allemand Wilhelm Busch et les français Samivel, Christophe ou Jean Bruller.

Funnies et comics américains

La bande dessinée connaît rapidement des développements différents selon les cultures et les aires géographiques. C'est aux États-Unis que son essor est le plus rapide et le plus cohérent. Les Américains eux-mêmes fixent ses origines à 1896, date de la première parution du Yellow Kid de Richard F. Outcault, qui n'est pas, au sens strict, une bande dessinée. Reste qu'il est fascinant de voir, dans le sillage de cette série, se constituer, en moins d'une décennie, une production, une esthétique et un marché. Apprécié de millions de lecteurs, le médium devient rapidement aux États-Unis un des principaux arguments de vente des journaux, et les patrons de presse s'offrent à grands frais les services des dessinateurs vedettes pour leurs suppléments dominicaux. Ces séries, publiées en pleines pages couleur, adoptent rapidement la bulle de dialogue à l'intérieur des vignettes, et utilisent couramment les onomatopées et les traits de mouvement. Quelques années plus tard, les journaux n'hésiteront pas à proposer des bandes quotidiennes (« daily strips »), afin de fidéliser encore plus le lectorat. Les premiers chefs-d'œuvre, entièrement dédiés à l'humour (le terme générique de « funnies », plus tard remplacé par « comics », qui a toujours cours, en atteste éloquemment), mettent en scène, à la suite du Yellow Kid, une ribambelle d'enfants farceurs ou des familles farfelues. Dans ce festival burlesque parfois grinçant se détachent deux bandes inclassables : Little Nemo in Slumberland créée en 1905 par Winsor McCay et Krazy Kat de George Herriman (1909). La première met somptueusement en scène les cauchemars d'un jeune dormeur qui se réveille invariablement au pied de son lit ; la seconde explore inlassablement les relations improbables d'un chat, d'une souris et d'un chien relégués au fin fond du désert de l'Arizona. La prodigieuse richesse visuelle de McCay et le minimalisme absurde d'Herriman ne cessent de fasciner un siècle après leur naissance. Les années 1920 et 1930 voient la diversification des thématiques et la récupération de tous les genres de la littérature populaire : science-fiction (Buck Rogers de Nowlan et Calkins, 1929 de Brick Bradford de Ritt et Gray, 1933, Flash Gordon d'Alex Raymond, 1934), policier (Dick Tracy de Chester Gould, 1931), fantastique (Mandrake the Magician de Lee Falk et Phil Davis, 1934), aventures dans la jungle (The Phantom de Lee Falk et Ray Moore, 1936 ; Tarzan adapté en 1929 par Hal Foster puis Burne Hogarth), aventure historique (Prince Valiant du même Hal Foster, 1937)... Ce phénomène, qui s'explique par l'influence du cinéma alors en pleine expansion (certaines vedettes du grand écran – Félix le chat, Mickey, Charlie Chaplin – sont dans le même temps adaptées en BD), la vogue du feuilleton radio et l'essor du roman populaire (les « pulps »), s'accompagne d'un profond renouvellement graphique. Les dessinateurs abandonnent le style cartoon tout en rondeurs et acclimatent les règles du dessin classique à la narration BD. Cette exigence esthétique donne d'incontestables réussites formelles (Flash Gordon, Prince Valiant), mais tombe parfois dans le maniérisme baroque. Lancé par Milton Caniff en 1934, Terry and the Pirates, ébouriffant feuilleton d'aventures, accomplit une autre révolution stylistique en usant d'un noir et blanc expressionniste qui fera, et fait encore, de nombreux émules aux États-Unis et en Europe. La naissance de Superman (Siegel et Shuster, 1938) dote la bande dessinée d'un nouveau type de héros et d'un support spécifique, le « comic book ». Venu de l'espace, cet homme aux pouvoirs surhumains figure en effet au sommaire du numéro 1 d'Action Comics, fascicule de 32 pages imprimées en couleur. À sa suite naîtront Batman (Bob Kane, 1939), Captain Marvel (C. C. Beck, 1940), Captain America (Joe Simon et Jack Kirby, 1941) et une innombrable cohorte de héros en costumes qui, aujourd'hui encore, représente la quasi-totalité de la production publiée en « comic books » (ou « comics »). Le genre super-héroïque, typiquement américain, s'offre au lecteur adolescent comme une rêverie manichéenne de puissance et d'accomplissement autant qu'une mythologie urbaine d'une fascinante vivacité. Au fil des ans, le monde des superhéros et l'esthétique de ses bandes ont profondément varié. La naïveté des premiers scénarios a fait place à la démesure non dépourvue d'ironie des créations de Stan Lee et Jack Kirby dans les années 1960, tandis que les années 1980 ont donné lieu à des relectures désenchantées des clichés du genre (The Dark Knight Return de Frank Miller, 1986, et les Watchmen des Anglais Moore et Gibbons, 1986). Les années 1950 et 1960 seront pour la bande dessinée américaine l'époque d'une profonde remise en cause. Le strip quotidien s'ouvre à des formes d'humour plus cérébrales (Les Peanuts de Charles Schulz, 1950), tandis que la parodie se fait résolument grinçante dans la première formule de « Mad Magazine » (1952). Menacé par une vague de moralisation, les éditeurs édictent en 1954 un code de déontologie, le « Comics Code » qui bridera la production grand public pendant près d'une décennie. Au milieu des années 1960, « l'Underground » précipite la rupture avec des pratiques commerciales de plus en plus désincarnées. Sans tabou sur les contenus autant que sur la forme, ce mouvement révèle quelques grands auteurs (Robert Crumb, Art Spiegelman, Bill Griffith, Gilbert Shelton) et, bien qu'à la marge, amène sur la durée un profond renouvellement des sujets : Histoire (l'impressionnant Maus de Spiegelman [1986], couronné d'un prix Pulitzer), autobiographie (Robert Crumb, Chester Brown, Julie Doucet), reportage (Palestine de Sacco, 1992), etc. Alors que le marché américain a subi de multiples concentrations, et malgré le nombre important d'adaptations cinématographiques mises en chantier à Hollywood, la bande dessinée « mainstream » (grand public) traverse depuis plusieurs années une crise durable. L'apparition de nouveaux labels (Image, ABC) et de nouveaux talents (Jim Lee, Alex Ross) ne parvient qu'incomplètement à enrayer le déclin des ventes. Dans ce contexte, la production indépendante conserve une belle vitalité et son influence se fait sentir bien au-delà de l'Amérique du Nord.