Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Grèce (suite)

La géographie

C'est le philosophe présocratique Anaximandre de Milet (vers 610-v. 545 av. J.-C.) qui, selon la tradition, a le premier tracé sur une tablette la terre habitée (oikouménè). La première « carte » géométrique devait figurer un disque entouré par le fleuve Océan, où s'inscrivent l'Europe et l'Asie, égales, la Libye (l'Afrique), avec les mers et les fleuves. Cette représentation, qui témoigne d'une conception du cosmos et de traits de l'imaginaire mythique, ne se perd pas avec Hécatée de Milet (VIe-Ve s.), dont nous avons des fragments. L'auteur des Généalogies décrit dans la Périégèse (Description de la terre) pays et peuples, en allant des colonnes d'Hercule (Gibraltar) à la mer Noire, puis de l'Asie Mineure aux côtes nord de l'Afrique, selon le plan des Périples (Périple du Pseudo-Scylax, IVe s. av. J.-C.) et en tenant un discours ethnographique dont use Hérodote (Ve s.) et qui restera le fait des descriptions du monde, souvent données par les historiens. Tout en critiquant les cartes ioniennes dans l'Enquête (IV, 36), Hérodote conserve une peinture mythique des confins. Au IVe siècle, les écoles philosophiques, l'Académie et le Lycée, donnent un cadre aux recherches, dans tous les domaines, et les conquêtes d'Alexandre ouvrent le champ du connu. Les Circuits de la terre (Eudoxe de Cnide, Gès Periodos) associent l'approche mathématique à la description. Pythéas de Marseille rend compte du voyage qui l'a mené de Gibraltar à l'Europe du Nord, jusqu'à l'île de Thulé, selon lui, dans Sur l'Océan, diversement reçu dans l'Antiquité. Le Périple de Néarque décrit sa navigation de l'embouchure de l'Indus à l'Euphrate. On n'a de ces œuvres que des témoignages ou des fragments, comme des Périégèses hellénistiques qui mêlent histoire, mythologie et description des lieux, annonçant la Description de la Grèce de Pausanias (IIe s. apr. J.-C). D'un autre côté, Ératosthène de Cyrène (vers 275-v. 193), auteur d'une Géographie, mesure presque exactement la circonférence de la terre et trace équateur et parallèles ; bibliothécaire d'Alexandrie, philologue, historien, philosophe, proche de l'Académie et mathématicien, il est la grande figure de la géographie hellénistique. Au IIe siècle, où Polybe décrit le monde habité au livre XXXIV de son Histoire, où l'on trouve le Circuit de la terre, en vers, du Pseudo-Scymnos (IIe s. av. J.-C), Hipparque de Nicée (194-120), Artémidore d'Éphèse (IIe s.-Ier s.), qui allie à son tour description et mathématique (Geographoumena), puis le stoïcien Posidonius d'Apamée (vers 131-51 av. J.-C.), continuateur de Polybe, dont le Sur l'Océan offre des réflexions sur les causes des phénomènes, marquent les avancées scientifiques, avant le « système » et la Géographie de Claude Ptolémée (IIe siècle apr. J.-C.), sous l'Empire romain. Arrien de Nicomédie (Ier-IIe s.) donne un Périple du Pont-Euxin et un traité sur l'Inde, qui reprend des œuvres hellénistiques ; on connaît encore, en hexamètres, la Description de la Terre de Denys d'Alexandrie (le Périégète, IIe s. apr. J.-C.), mais c'est Strabon (Ier s. av. J.-C.-Ier s. apr. J.-C.) qui illustre pour nous la géographie grecque, indissociable de l'histoire, du souci politique et de la réflexion d'un auteur.

L'éloquence

L'apparition de l'éloquence dans le monde grec est directement liée aux nouvelles conditions sociales et politiques qui dominent les Ve et IVe s. av. J.-C., surtout à Athènes. Trois sous-genres, liés à la démocratie, apparaissent alors : l'éloquence judiciaire, composée notamment par des logographes (rédacteurs professionnels) pour les tribunaux, l'éloquence politique ou délibérative, qui s'adresse à l'assemblée du peuple, et l'éloquence épidictique ou d'apparat (oraison funèbre, panégyrique, etc.). Dans la poésie épique et mélique antérieure, une rhétorique non théorisée peut être mise en œuvre (cf. les discours d'Achille dans l'Iliade), mais les premières écoles connues (les rhéteurs Corax et Tisias de Syracuse) et le mouvement sophistique sont bien du Ve siècle, contemporains de Thémistocle et de Périclès : leur apport principal est une réflexion sur la notion de vraisemblable (gr. eikos) et la mise en œuvre pratique de la controverse. L'éloquence grecque classique est d'abord orale et active : les premiers discours écrits (qui peuvent être différents des discours prononcés) ne circulent qu'à partir de 420, et, pour l'Antiquité, la parole est un acte. Enfin, l'histoire de l'éloquence, dès le départ, est liée à l'histoire de l'éducation en général, dans une société où penser et parler sont équivalents.

L'éloquence grecque classique

Outre les sophistes Protagoras et Gorgias, qui relèvent plutôt de l'histoire de la philosophie, mais dont l'influence sur l'enseignement et les techniques oratoires est fondamentale, on notera la constitution de toute une école contrastée, dite des « orateurs attiques », formée de fortes individualités, relevant surtout de l'éloquence judiciaire et politique : Antiphon de Rhamnonte (vers 480-411 av. J.-C.), oligarque radical, auteur de plaidoyers réels (Accusation d'empoisonnement contre une belle-mère) et de trois Tétralogies (groupes de quatre discours fictifs) ; Andocide (Athènes v. 440-v. 390), compromis avec Alcibiade dans l'affaire de la mutilation des Hermès en 415, exilé deux fois, connu pour ses plaidoyers personnels (Sur mon retour, Sur les mystères) ; Lysias (440-v. 370), métèque riche et démocrate convaincu, dont nous avons conservé plus de 30 discours, en particulier le Contre Ératosthène, réquisitoire personnel développé jusqu'à l'attaque politique contre l'oligarchie, des discours de logographe (Sur l'olivier sacré) et des œuvres d'apparat (l'Oraison funèbre), textes tous remarquables par la souplesse et la simplicité d'un style très libre et vif ; Isée (vers 420-v. 340), maître de Démosthène, connu pour une douzaine de discours, au style clair et efficace, sur des affaires de succession ; Hypéride (vers 390-322), issu de la riche bourgeoisie d'Athènes, élève d'Isocrate, célèbre pour son goût des plaisirs, antimacédonien vigoureux, et auteur d'une soixantaine de discours, dont il nous reste 6 textes mutilés (notamment, parmi des plaidoyers, l'Oraison funèbre des guerriers morts à Lamia, 323) ; Lycurgue (vers 390-324), aristocrate antimacédonien, chargé, après la défaite de Chéronée (338), de la gestion des finances athéniennes, promoteur des valeurs démocratiques de vertu et d'honnêteté, qu'il défend dans son seul discours conservé, Contre Léocrate, un Athénien coupable de désertion ; Démade (vers 380-319) et Phocion (402-318), promacédoniens au style brillant ; enfin, Dinarque (vers 361-v. 292), logographe dont, sur une centaine de discours, nous avons conservé seulement trois réquisitoires, surtout le Contre Démosthène. Mais deux auteurs athéniens sont particulièrement marquants, à la fois par leur style et leur pensée : Isocrate (436-338), logographe, puis maître de rhétorique (Contre les sophistes, Éloge d'Hélène), inventeur de la période oratoire, élève, dans ses nombreux et amples discours, surtout fictifs et politiques (Panégyrique, Panathénaïque), la rhétorique au rang d'un humanisme littéraire et philosophique, qui fait de la culture grecque classique un idéalisme tolérant (Sur la Paix), dont la méthode est évoquée en détail dans le Sur l'échange ; Démosthène (384-322), d'abord logographe dans une douzaine de Plaidoyers civils, puis homme politique très actif (Sur les symmories), s'engage entièrement, en démocrate passionné, dans la lutte contre l'impérialisme macédonien et le roi Philippe (Philippiques, Olynthiennes), en déployant une rhétorique faite d'ampleur et de véhémence, qui triomphe dans ses discours contre le parti promacédonien (Sur la paix, Sur la couronne) ; son adversaire politique, Eschine (vers 390-v. 314), malgré ses qualités, est bien moins inspiré (Contre Ctésiphon).

L'époque hellénistique et romaine

Après la mort d'Alexandre (323 av. J.-C.), l'éloquence n'est plus au fondement de la vie politique et judiciaire, mais au centre de l'éducation et de la culture. Sous l'influence d'Aristote (Rhétorique, Poétique) et de Démétrios de Phalère (vers 350-v. 283), orateur politique et rhéteur à l'origine de la Bibliothèque d'Alexandrie, les savants d'époque hellénistique puis romaine se plaisent à associer analyse rhétorique, critique littéraire et philosophie morale, dans une riche littérature pratique (progumnasmata, « exercices préparatoires », et meletê, « déclamation ») et théorique (commentaires des œuvres classiques, traités sur l'invention, la disposition, le style, la grammaire, etc.), dont l'influence se fera sentir jusqu'à l'époque moderne : ainsi, la Rhétorique à Alexandre, attribuée à Anaximène de Lampsaque (vers 380-v. 320 av. J.-C.), les ouvrages de Denys d'Halicarnasse (Ier s. av. J.-C.) sur les auteurs attiques, le Traité du sublime du Pseudo-Longin (anonyme du Ier s. apr. J.-C.) ou les traités d'Hermogène (IIe-IIIe s. apr. J.-C.). À partir du Ier siècle de notre ère, le mouvement de la seconde sophistique triomphe, dans un vaste compromis historique entre la culture grecque et le pouvoir romain, dont la déclamation, l'éloge public et l'éloge paradoxal sont les pratiques principales. Philostrate (IIIe s.), dans les Vies des sophistes, évoque en détail ces orateurs itinérants, dont les récitals étaient perçus comme de grands événements, en particulier Dion de Pruse (Sur la royauté) et Aelius Aristide (Discours platoniciens, Discours sacrés). Cette rhétorique puissante connaît ses derniers feux au IVe s., avec Libanios, Julien (Contre les cyniques, Sur le Roi-Soleil), ou Thémistios de Paphlagonie (vers 317-v. 388, Paraphrases sur Aristote et 32 Discours), avant d'influencer profondément les premiers grands auteurs chrétiens d'expression grecque. Les diverses modalités de l'art oratoire grec ancien, judiciaire, politique et épidictique, dans leurs réalisations littéraires les plus abouties comme dans leur élaboration critique et théorique, ont marqué durablement l'histoire de la littérature, de l'analyse comme de la production littéraires.