Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
D

Drzic (Marin)

Écrivain de langue croate (Raguse/Dubrovnik 1505 – Venise 1567).

Il est ordonné prêtre après avoir fait ses études à Sienne, puis il mène une vie aventurière. Drzic appartenait entièrement à la Renaissance en exprimant dans ses œuvres toute la plénitude de la vie. Il est aussi l'auteur de poèmes d'amour d'inspiration pétrarquiste. Ses comédies l'Oncle Maroje et l'Avare sont inspirées de modèles latins ou italiens, et elles contiennent beaucoup d'éléments de satire sociale. Elles constituent le fonds classique du répertoire théâtral yougoslave.

Du Bellay (Joachim)

Poète français (château de la Turmelière, paroisse de Liré, 1522 – Paris 1560).

Considérée dans son ensemble, l'œuvre de Du Bellay s'inscrit dans plusieurs types de « logiques ». Celle, d'abord, qui correspond au principal mouvement historique qui la sous-tend : l'humanisme littéraire de la Pléiade. Une logique biographique ensuite, susceptible de rendre compte de la thématique propre à certains recueils (les Regrets et les Antiquités de Rome). Une logique, en troisième lieu, relative à l'état de la conjoncture littéraire aux différentes périodes de la vie du poète : ce n'est pas un hasard si la thématique pétrarquiste de l'Olive coïncide avec la publication de la Défense, tandis que le lyrisme familier des Jeux rustiques n'apparaît qu'après la victoire définitive des thèses contenues dans le manifeste de 1549. L'œuvre de Du Bellay ressortit enfin à une logique symbolique, qui apparaît dominée par une « figure » majeure, autour de laquelle se constitue sa cohérence, celle du manque et de la négativité.

L'esprit de la Brigade

Considérés tant du point de vue de l'inspiration humaniste que de celui de la « logique » conjoncturelle, la Défense, l'Olive et les Vers lyriques forment un ensemble cohérent. Tandis que la Défense  fixait le programme de la jeune école (dont le noyau était alors la petite équipe de la « Brigade »), l'Olive et les Vers lyriques apportaient une illustration de ce programme dans deux genres poétiques préconisés par la Défense : l'ode et le sonnet.

   À une époque où la langue des doctes était encore le latin, la Défense et Illustration de la langue française, publiée en 1549, joua un rôle décisif dans la promotion du parler national comme langue littéraire. Ce manifeste inaugure en outre l'abandon de la tradition médiévale et l'avènement d'une littérature imitée de l'Antiquité gréco-latine. Ce manifeste, riposte à l'Art poétique français de Thomas Sébillet, est l'exposé de la doctrine du groupe de jeunes poètes qui, depuis 1547, s'était constitué au collège parisien de Coqueret autour de l'humaniste Jean Dorat (ce groupe, dénommé alors Brigade, s'élargira plus tard pour donner naissance à la Pléiade). Le manifeste proposait essentiellement deux buts : défendre, contre les adeptes du latin, l'usage du français comme langue de culture et, en particulier, comme langue littéraire (c'est l'objet du livre I) ; promouvoir – par l'enrichissement et le perfectionnement de la langue française sur le triple plan du lexique, de la syntaxe et de la rhétorique, et par la substitution aux anciens genres médiévaux de genres « nouveaux » imités de l'Antiquité – une littérature nationale capable de rivaliser avec la littérature gréco-latine. Contestée, dès sa parution (notamment par B. Aneau dans son Quintil Horatian), pour le caractère abrupt de certains de ses jugements (ceux, en particulier, qui portent sur le passé littéraire national), la Défense est une œuvre circonstancielle, qui doit être interprétée en fonction de la stratégie d'une jeune école dont la volonté d'absolu renouvellement impliquait une rupture radicale avec le passé.

   Du programme affiché par la Défense, le recueil de l'Olive fournissait une illustration exemplaire. Ce canzoniere, inspiré de l'anthologie de poèmes appartenant à la tradition pétrarquiste et publié en 1545-1547, n'illustrait pas seulement la doctrine de l'imitation (celle des Italiens en l'occurrence) ; il se voulait surtout, à travers cette imitation même, travail d'écriture, essai poétique de la plus haute volée. L'élément biographique y est très secondaire, peut-être même inexistant. Il n'en est pas de même, en revanche, de l'élément spirituel : c'est à une quête d'une perfection à la fois littéraire et amoureuse, poétique et mystique, qu'on assiste dans l'Olive. Un triple désir s'y inscrit : désir de poésie, désir de gloire, désir d'amour, « autant d'avatars d'un même phantasme qui est désir de perfection, ressenti comme besoin incoercible d'un manque à combler » (F.  Rigolot). C'est dans ce manque que se manifeste l'originalité de la quête de Du Bellay. C'est aussi dans ce qui constitue le principal instrument poétique de cette quête : l'exploration méthodique, inlassable, des potentialités connotatives, sémantiques, symboliques, du nom d'Olive (nom de la femme imaginairement aimée, mais aussi, à travers l'association Olive/olivier, homologue de l'association pétrarquiste Laure/laurier, allusion à Minerve, déesse de la Sagesse, dont l'olivier est l'emblème comme le laurier est celui d'Apollon).

   Le troisième volet du triptyque de 1549, les Vers lyriques, illustrait lui aussi la poétique nouvelle dans un genre où, cette fois encore, Joachim devançait son émule et ami Ronsard, celui de l'ode. Recueil d'inspiration horatienne dans son ensemble, où apparaissent déjà la plupart des thèmes clefs des œuvres à venir : la conscience de l'échec, le sentiment de la précarité de toute chose, l'appel de la mort (Chant du désespéré).

Le séjour à Rome

Le départ de Joachim pour Rome, en 1553, dans la suite de son oncle le cardinal Jean Du Bellay (départ motivé par des espérances de carrière brillante qui furent finalement déçues), marque un tournant dans la carrière du poète.

   En choisissant, dans les Antiquités de Rome – recueil de 32 sonnets (décasyllabes et alexandrins alternés) et d'un Songe (15 sonnets) publié d'abord en 1558 sous le titre le Premier Livre des antiquités de Rome – de chanter la gloire de l' Urbs, c'est-à-dire en donnant pour objet à sa poésie le berceau même de la civilisation et de la culture dans lesquelles cette même poésie cherchait ses modèles, Du Bellay bouclait en quelque sorte la boucle du lyrisme humaniste, faisant coïncider matière et manière, type d'écriture et thème d'inspiration. Quintessence de la poésie humaniste, les Antiquités sont l'un des textes qui illustrent de la manière la plus significative la vision humaniste de l'Histoire et la représentation que l'humanisme se fait de sa propre position dans l'Histoire. Éloge de l'ancienne Rome en même temps que méditation sur la ruine de l' Urbs et de son empire, les Antiquités s'efforcent en effet de tenir ensemble tous les couples de contraires que le spectacle des ruines romaines évoque irrésistiblement : la présence et l'absence, le vu et l'imaginé, la mort et la survie, la gloire et l'oubli, la continuité de l'Histoire et ses fractures. De là le double mouvement de l'écriture qui s'observe dans l'ensemble du recueil : un mouvement du présent vers le passé, du sujet vers la Rome antique, et un mouvement inverse du passé de l'histoire vers son présent – auquel correspondent deux « langages » opposés (un lyrisme incantatoire visant à rappeler le passé à la vie, et une distanciation critique vis-à-vis de ce même passé), ainsi que deux attitudes morales antinomiques (enthousiasme et ironie désabusée).

   Le second des recueils romains, les Regrets, publié en 1558 au retour d'Italie, doit d'abord son originalité à l'adaptation d'une forme métrique traditionnellement liée à l'inspiration amoureuse – le sonnet –, à un registre thématique très différent : celui d'une poésie personnelle, voire autobiographique, mêlant étroitement les veines élégiaque et satirique. La qualité poétique du recueil tient pour une large part à son travail – très original pour l'époque – de sublimation du prosaïque et du trivial.

   Ce recueil doit ainsi une bonne part de sa célébrité à la situation singulière qu'il occupe, non seulement au sein de l'œuvre bellayenne, mais dans l'ensemble même de la production poétique du XVIe s. Il représente en effet, à l'intérieur d'un type de littérature dans lequel la personnalité extralittéraire de l'écrivain ne joue généralement qu'un rôle faible, voire nul, l'exemple à peu près unique d'une poésie centrée sur le je du poète et accordant une place importante aux particularités de sa biographie. Néanmoins, l'expression de « poésie personnelle » qu'on pourrait être tenté d'appliquer aux Regrets paraît devoir être quelque peu nuancée, et ce pour deux raisons. La première est que le je mis en scène apparaît, pour l'essentiel, comme une construction mythique élaborée à partir d'un matériau littéraire. D'autre part, pour Du Bellay comme plus tard pour Montaigne, le choix d'un discours « personnel » semble avoir pour finalité profonde non d'exhiber la singularité d'un moi, mais plutôt de pouvoir tenir, à partir d'un lieu singulier (le moi), un discours lui-même singulier, différent, permettant d'adopter, vis-à-vis des discours contemporains, une position critique.

   Par plus d'un trait, l'entreprise poétique des Regrets apparaît comme le corollaire de celle des Antiquités. Une même obsession de l'absence et de la perte les sous-tend : absence et perte de la patrie spirituelle (la Rome ancienne) dans les Antiquités, absence et perte de la patrie charnelle (la France, l'Anjou) dans les Regrets. Même effort, même tension, dans les deux recueils, pour la reconquête d'une identité menacée par les solutions de continuité de l'Histoire (collective ou individuelle) : identité d'un sujet culturel et collectif dans les Antiquités, d'un sujet individuel dans les Regrets. Même hantise, enfin, de la décrépitude et de la mort : des civilisations et des empires dans les Antiquités, de l'homme et du poète dans les Regrets.

   Parallèlement à la quête de l'identité du moi, et en liaison étroite avec cette dernière, s'accomplit, dans les Regrets, une quête de l'identité de l'écriture. Une autre absence, en effet, hante les Regrets : celle de la poésie elle-même. Celle-ci y est à la fois affirmée et conjurée. Affirmée, elle l'est explicitement, au seuil du recueil, par le poète qui déclare vouloir composer « une prose en ryme, ou une ryme en prose » et qualifie ses poèmes de simples « papiers journaux » et de « commentaires ». Peut-on interpréter ces déclarations liminaires comme visant à afficher l'appartenance du recueil tout entier à un genre de poésie « prosaïque », celui de la satire ? Si la veine satirique est incontestablement présente dans les Regrets, la facture du recueil est trop diverse et trop complexe pour qu'on puisse l'enfermer dans les strictes limites du genre satirique. En fait, le dessein profond des Regrets repose sur une gageure : faire de la poésie avec les matériaux les plus étrangers aux thèmes traditionnels de la poésie de l'époque – les désillusions, les échecs, l'ennui de la vie quotidienne, la perte de l'inspiration poétique. Une écriture prend ici le pari de donner forme à l'informe, éclat poétique au trivial.

   Les deux autres recueils romains – les Poemata et les Jeux rustiques – offrent un témoignage de la diversité de Joachim. Que le pourfendeur des nostalgiques de la langue latine qu'avait été l'auteur de la Défense en soit venu, moins de dix ans plus tard, à publier un recueil de vers latins, n'est pas le moindre paradoxe de sa carrière de poète. Mais, en 1558, la cause de la langue française était définitivement gagnée ; et il y avait à cette date, tous les grands poètes néolatins ayant disparu, une place à prendre. Composés de quatre livres – un d'« Élégies », un d'« Épigrammes », un d'« Amours », un de « Tombeaux » –, les Poemata sont, de tous les recueils romains, celui dont la veine est la plus variée et la diversité la plus marquée. Certaines pièces apparaissent comme une sorte de contrepoint latin à la thématique des Antiquités (Tumulus Romae veteris) ou des Regrets (Patriae desiderium). Le livre des « Amours », en revanche – seul témoignage, dans l'œuvre du poète, de la passion que lui inspira, durant son séjour à Rome, une certaine Faustine –, est pratiquement sans écho dans les autres recueils : preuve supplémentaire de ce que le je qui s'y manifeste n'est pas le je biographique, mais un je-masque, un je-personnage dont les traits, différents dans chaque recueil, ne sont pas le reflet d'une réalité psychologique, mais le produit d'une construction imaginaire.

   De quoi témoigne plus nettement encore le recueil des Jeux rustiques, dont l'inspiration légère (à rapprocher de celle des Folastries, du Bocage et des Mélanges de Ronsard, recueils à peu près contemporains et qui procèdent de la même mode) tranche délibérément avec la veine des Regrets, et ne constitue guère moins que le néolatinisme des Poemata une transgression – du moins en apparence – des préceptes de la Défense. La place importante tenue par la traduction (principalement de poètes néolatins ), la faveur accordée à des genres typiquement marotiques comme le blason, l'épitaphe burlesque ou l'énigme, ou à des genres mineurs comme l'odelette et la chanson, le choix de thèmes frivoles (comme les épitaphes d'animaux), à quoi s'ajoute la répudiation du pétrarquisme : il n'est rien dans ce recueil où Du Bellay ne semble avoir pris, comme à plaisir, le contre-pied du programme naguère tracé par la Défense. En réalité, l'infidélité apparente des Jeux rustiques à ce programme s'explique par le succès remporté par ce dernier : un succès qui permettait que ne fût plus nécessairement ni toujours interdit ce qui n'y était pas préconisé.

   Portant ainsi nettement la marque de son époque, l'œuvre de Du Bellay n'en est pas moins une œuvre moderne. Cette modernité, qui a déjà été remarquée, à l'époque romantique, par Sainte-Beuve, réside d'abord dans le fait que s'y exprime une poésie subjective, centrée sur la problématique du sujet. Elle réside ensuite dans « l'aventure circulaire » de sa poétique : une poétique qui « situe la poésie dans le poème plutôt que dans une expérience qui lui serait antérieure et qu'elle se chargerait d'enregistrer » (F.  Gray).