Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

essai (suite)

L'essai critique selon Barthes

S'il est vrai que, en définissant négativement l'essai comme texte « inachevé » ou sans ordre, on ne fait que perpétuer la méconnaissance des schémas rhétoriques, et s'il faut revenir à ces « sources », il n'en reste pas moins que l'essai ne répète pas seulement ces schémas. Tout en recensant ce qu'il doit à la rhétorique, il faut montrer ce qu'il a fait de cet héritage. Ayant renoncé au « système » philosophique et à l'organisation des genres littéraires qui sépare les différentes énonciations (raconter ou discourir), l'essai semble avoir eu pour effet de transgresser certains codes rhétoriques. Il s'agit de faire « avec les choses intellectuelles... à la fois de la théorie, du combat critique et du plaisir » (Roland Barthes par Roland Barthes, 1975). En dehors du traité (« fermé », « monosémique » et « dogmatique »), il reste la possibilité d'une écriture comme « procédé » ou, selon R. Barthes, comme « tactique sans stratégie » (d'où l'écriture fragmentée). En même temps que le rejet des plans, des dissertations et des soucis de composition, ce que permet d'expérimenter l'essai comme écriture singulière, c'est l'apparition d'une « galaxie de signifiants » : « il n'a pas de commencement ; il est réversible ; on y accède par plusieurs entrées dont aucune ne peut être déclarée principale » (Roland Barthes, S/Z, 1970). En ce sens, l'essai renvoie moins aux genres et aux fonds rhétoriques qu'aux procédés spécifiques qu'il utilise pour élaborer sa rhétorique, et c'est en quoi il peut inaugurer de nouvelles manières de penser et d'être.

Essenine (Sergueï Aleksandrovitch)

Poète russe (Konstantinovo 1895 – Moscou 1925).

Avec Kliouev, c'est le seul poète de sa génération qui ne soit pas citadin : il est né en effet au sein d'une famille paysanne, dans un village des environs de Riazan. Après des études d'instituteur, il part pour Moscou, puis Petrograd, et fréquente des poètes, Kliouev en particulier. Son premier recueil est publié en 1916 : Radounitsa chante son amour et son inquiétude pour la Russie rurale. Il accueille favorablement, mais du côté des paysans, la révolution d'Octobre, pensant qu'elle peut recréer le paradis perdu de la Russie patriarcale (Inonia, 1918). Son enthousiasme retombe au moment de la NEP et il se lance dans la vie de bohème, boit, provoque, mais reste un grand poète, qui proclame dans sa Confession d'un voyou (1920) :

   « Dans les ténèbres il me plaît d'illuminer

   L'automne sans feuillage de vos âmes. »

   C'est l'époque de sa liaison avec Isadora Duncan ; ensemble, ils voyagent en Europe et aux États-Unis. Au retour, Essenine dresse un constat amer sur lui-même et sur son pays, dans Moscou des cabarets (1921-1924). Il décide cependant, conscient qu'il est impossible de revenir en arrière, de s'adapter à la Russie soviétique, et chante la geste révolutionnaire dans la Ballade des vingt-six (1924) ou Anna Sneguina (1925), long poème sur la révolution au village. Il trouve un style épuré qui fait la beauté de ses derniers poèmes, comme la célèbre Lettre à ma mère. Une nouvelle fois, il fuit en parcourant le Caucase (Motifs persans, 1925), mais, tourmenté par l'angoisse et victime d'hallucinations qu'il évoque de manière frappante dans l'Homme noir (1925), il se pend.

Estang (Luc Bastard, dit Luc)

Écrivain français (Paris 1911 – id. 1992).

Journaliste, directeur littéraire de la Croix (1940-1955), il est d'abord un poète néoclassique (le Mystère apprivoisé, 1943 ; les Béatitudes, 1945), avant d'aborder le roman avec Temps d'amour (1947) et la trilogie Charges d'âmes (1950-1954). L'heure (l'Horloger du Cherche-Midi, 1959 ; la Laisse du temps, 1977) et la place de Dieu (le Bonheur et le Salut, 1961) sont au cœur de son évocation de l'histoire et de la société contemporaines, même s'il a beaucoup évolué par la suite (l'Apostat, 1968 ; les Déicides, 1980 ; les Femmes de M. Legouvé, 1983). La difficulté à vivre la foi religieuse dans le monde réapparaît cependant dans Celle qui venait du rêve (1989).

Esteban (Claude)

Poète français (Paris 1935 – id. 2006).

Professeur d'espagnol, la langue de ses ancêtres, il est aussi traducteur (Paz, Guillén) et critique d'art averti. Aux éditions Maeght, il fonde la revue Argile (1973-1981), conçue comme un dialogue entre les écritures, qui recherche une place propre pour le poème. Celui-ci est pour Esteban interrogation des racines de la parole et dévoilement de sens. La Saison dévastée (1968) propose de brefs fragments quand Conjonction du corps et du jardin (1983) traduit une quête spatiale érotique. Le Nom et la Demeure (1985) est un recueil fondateur. L'Élégie de la mort violente (1987), son chef-d'œuvre, reflet d'un deuil brutal, a la splendeur grave d'un requiem. Esteban propose la même année une Critique de la raison poétique.

Estebanillo González (Vie et faits d')
(Vida y hechos de Estebanillo González)

Roman espagnol anonyme (1646), considéré comme le dernier récit picaresque de l'époque classique.

Le héros, successivement cuisinier, valet de chambre, courrier, bouffon, promène ses talents en divers pays d'Europe, dont il présente une peinture impitoyable, sur fond de guerre (la guerre de Trente Ans). Ce roman a été adapté en France par Lesage (1734-1741).

Esther (livre d')

L'un des Cinq Rouleaux (Megilloth) de la Bible hébraïque.

Ce récit, non historique, situé par l'auteur à l'époque perse, raconte comment une jeune Juive, Esther, introduite pour sa beauté dans le harem royal, gagne la faveur du roi Assuérus Xerxès Ier (486-464) qui la fait reine. Sur le conseil de son vieil oncle Mardochée, Esther intervient auprès du roi pour sauver ses compatriotes du massacre fomenté par le ministre du roi, Aman. Il est lu à la synagogue à la fête des Purim, qui commémore le salut miraculeux. Le texte grec du Livre d'Esther cite explicitement le nom de Dieu que le texte hébreu ne mentionne nulle part (malgré une allusion en IV, 14). Présent dans les mystères médiévaux (Mistère du Vieil Testament, XVe s.), le personnage de l'héroïne biblique a inspiré aux dramaturges modernes deux figures de femmes opposées : instrument passif de la Providence et modèle des vertus chrétiennes pour Lope de Vega (la Belle Esther, 1610) et pour Racine (1689). Esther apparaît dans toute sa complexité féminine chez Montchrestien (Aman ou la Vanité, 1601), Du Ryer (Esther, 1644) et Grillparzer (1863).