Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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France (XVIIe siècle) (suite)

Le mouvement académique et théorique

Les académies, institutions collectives, réunissant des spécialistes triés sur le volet, chargées de théoriser et de réguler le champ dont elles sont l'expression la plus haute, furent au départ d'initiative privée, sur le modèle italien : des lettrés se réunissent, pour mettre en commun leurs savoirs, et discuter des choses de l'art et de la science. Ainsi l'Académie florimontane, fondée en 1606 en Savoie, embrassait aussi bien dans son programme la théologie et les mathématiques que la jurisprudence et la poésie. L'Académie putéane, qui se réunissait à Paris, au début du XVIIe s., chez deux érudits, Pierre et Jacques Dupuy, aux préoccupations traditionnelles de l'humanisme (étude des auteurs de l'Antiquité), joignait un intérêt particulier pour les récits des voyageurs, la philosophie (elle accueillit Gassendi en 1628, mais fut hostile à Descartes) et les nouvelles sciences de la nature. Elle compta parmi ses membres La Mothe Le Vayer, Gabriel Naudé, Ménage, Perrot d'Ablancourt, Chapelain... Théophraste Renaudot créa une « Académie du bureau d'adresses », où l'on discutait et disputait de tout...

   Puis Richelieu, par l'intermédiaire de certains de ses « clients », décida de transformer le petit groupe qui se réunissait auprès de Conrart en une Académie reconnue officiellement par le pouvoir politique, dotée de statuts entérinés par le Parlement : telle fut l'origine de l'Académie française (1635), préposée à la surveillance du langage et au jugement des livres parus, et qui reçut mission de rédiger un dictionnaire, une grammaire et une rhétorique. Le Projet d'action de la compagnie, rédigé par Nicolas Faret, lui donnait comme objectif principal la définition d'un style français qui transcendât les castes, les catégories professionnelles, les « dialectes », pendant exact de la « raison d'État » qui transcende les intérêts féodaux et particuliers : la langue française deviendrait ainsi pour l'État monarchique moderne le successeur universel du latin cicéronien de la Renaissance. En toute rigueur, l'Académie échoua, puisqu'elle ne rédigea jamais sa Rhétorique. La première édition du Dictionnaire ne fut publiée qu'en 1694, devancée par les dictionnaires de Richelet (1680) et de Furetière (1690) la Grammaire ne parut quant à elle qu'en 1933... Bon nombre de contemporains se moquèrent des lenteurs des Académiciens à réaliser le dictionnaire. Vaugelas leur accorda son soutien, mais mourut en 1653. Très imparfait, inférieur au Furetière, il se caractérise par ses « absences » de mots techniques, par exemple, ou de néologismes. Mais l'Académie se fit connaître et reconnaître aussi par son intervention dans la querelle du Cid (Sentiments de l'Académie sur la tragi-comédie intitulée le Cid, 1637), comme un organe de contrôle à la fois moral et esthétique de la chose littéraire.

   Louis XIV fonda ensuite la « Petite Académie », l'Académie des inscriptions et belles-lettres (1663) qui avait pour mission de composer les inscriptions des monuments élevés par Louis XIV et des médailles frappées en son honneur, et dont les débats (sur la langue de ces inscription : français ou latin) eurent quelques retentissements sur la querelle des Anciens et des Modernes.

   Diffusion plus grande, réflexion plus grande. Dans ce monde savant, mais également à l'intérieur de la littérature elle-même, on produisit de plus en plus de textes théoriques portant sur tous les domaines des belles-lettres « modernes », non seulement sur le genre qui fit la grandeur du XVIIe s., le théâtre, mais même sur ceux réputés peu considérés comme le roman, avec parfois un succès sans précédent (ainsi de l'Art poétique de Boileau, 1674). Les genres littéraires eux-mêmes sont ouverts à l'insertion d'éléments para– (préfaces, examens et autres avis au lecteur) et métatextuels, où les auteurs explicitent pour leur public leurs recherches et leurs intentions esthétiques. Mentionnons également les prémices de l'histoire de la littérature française, avec des auteurs comme G. Colletet (Vies des poètes français, restées manuscrites), ou C. Sorel (la Bibliothèque française, 1664 ; De la connaissance des bons livres, 1671), ou encore A. Baillet (Jugements des savants, 1685-1686, la Vie de M. Descartes, 1691). Enfin, soulignons l'effort de définition et de mise au point de la langue qui se fait jour au travers des premiers grands dictionnaires de la langue française (Furetière, 1680).

Le théâtre et ses institutions

Par sa nature même, le théâtre a affaire avec l'institution politique, et cela de manière d'autant plus cruciale au XVIIe s. que sa légitimité est loin d'être donnée d'avance, et qu'il doit encore faire face à une opposition religieuse parfois virulente. Opposition complexe et ambiguë : alors qu'elle est absolue du côté des jansénistes, le théâtre joue un grand rôle dans la pédagogie des collèges jésuites : chacune des six classes d'un établissement devait monter, chaque année, une pièce en langue latine ; l'objectif était multiple : maîtrise du corps, initiation à l'histoire antique ou nationale qui fournissait la plupart des thèmes, dramatisation d'un exemple moral. Mais le théâtre « laïque » reste objet de soupçon. Dans les périodes où il reçoit un appui significatif du pouvoir politique, sous Richelieu, qui fait aménager dans son palais (le Palais-Cardinal) une salle exceptionnelle pour l'époque (qui deviendra, sous le nom de Palais-Royal, celle de Molière), ou entre 1660-1680, où Louis XIV le subventionne massivement, il peut cependant compenser cette opposition, même s'il reste sous surveillance.

   La situation des comédiens dans la société reste ambiguë ; on se souvient que Molière ne fut enterré religieusement que sur intervention du roi, pour n'avoir pas renié sa profession de comédien avant sa mort. Cependant, les comédiens, à Paris en particulier, peuvent devenir de véritables vedettes. On a ainsi gardé la mémoire de comédiens célèbres. Valleran le Conte fut le premier grand directeur de troupe à jouer à Paris ; Bellerose fut l'acteur à la mode entre 1620 et 1635 de la pastorale et de la tragi-comédie ; Montdory fut un tragédien, célèbre interprète de Corneille au Marais, Monfleury (Zacharie) le fut dans les rôles tragiques de Racine à l'Hôtel de Bourgogne, tandis que la marquise du Parc et la Champmeslé y triomphaient en interpètes des rôles féminins. Madeleine Béjart, associée avec Molière lors de la fondation de l'Illustre-Théâtre, prit une part active à l'administration de la troupe, et joua pour lui les soubrettes et les femmes d'intrigue ; Armande Béjart, femme de Molière, débuta dans Élise de la Critique de l'École des femmes, interpréta les amoureuses dans la tragédie, et créa Elmire de Tartuffe, Henriette des Femmes savantes, Célimène du Misanthrope. De la troupe de Molière, on a aussi retenu les noms de Baron, de Rosimond, de Brécourt, tous trois également auteurs de comédies, de La Grange, comédien à partir de 1659 (il fut très vite l'orateur de la troupe), qui fut administrateur de la nouvelle Comédie-Française et a laissé un Registre (où il notait les programmes, les recettes et les événements de la compagnie), précieux document pour l'histoire du théâtre.

   À Paris, trois salles seulement pouvaient se partager la faveur du public (et Molière, essayant d'en créer une quatrième avec son « Illustre-Théâtre », dut déclarer forfait) : la salle du Marais, où se jouèrent les pièces de Corneille, puis qui connut des difficultés, avant de se spécialiser dans les spectacles musicaux et à grand spectacle, sous la direction du baron de Sourdéac ; la salle de l'Hôtel de Bourgogne, où se jouait plutôt le théâtre tragique, mais qui ne dédaigna pas accueillir aussi la farce ; et la salle du Palais-Royal, dévolue aux Comédiens-Italiens, et dont ensuite Molière obtint l'alternance, à son retour à Paris. Ces théâtres se sont constamment améliorés au cours du siècle, se donnant des possibilités techniques de plus en plus perfectionnées (le Mémoire de Mahelot, destiné aux machinistes de l'Hôtel de Bourgogne, est un document important pour l'étude de la mise en scène classique), même si les salles restaient assez mal éclairées et assez peu confortables pour les spectateurs.

   Il arrivait au roi d'ordonner à tel ou tel comédien de passer à l'une ou l'autre troupe, et, à la mort de Molière, Louis XIV décide la fusion de la troupe de l'Hôtel de Bourgogne et des comédiens de Molière (déjà associés à ceux du Marais), sous le nom de Comédie-Française (1680), chargée dès cette époque de continuer à jouer le patrimoine (Corneille, Racine, Molière). Les Comédiens-Italiens étant chassés peu après, il ne reste plus qu'une seule salle de théâtre à Paris, théâtre officiel, qui voit bientôt se dresser contre elle un théâtre plus libre, le théâtre de la Foire. Car les spectacles de tréteaux ont toujours animé les rues de Paris, près du Pont-Neuf, et au cours des foires de Saint-Germain et de Saint-Laurent. Singes et chiens savants, acrobates, danseurs de corde, « acteurs en bois » furent d'abord les seuls à s'y faire applaudir. Vers 1650, Brioché y montra des personnages. En 1661, Raisin y fit découvrir son épinette à trois claviers : présenté au roi, il put monter la troupe dite du Dauphin, et jouer la comédie. En 1674, La Grille ouvrit l'Opéra des bamboches, où le jeu des marionnettes était accompagné de couplets. D'autres troupes foraines se fondèrent : en 1697, la foire Saint-Germain comptait les trois troupes des frères Allard, de Maurice et de Bertrand. Les spectacles étaient basés sur les tours de force et d'agilité, mais aussi sur des scènes dialoguées, des « comédies de chanson ». Sur fond d'ancienne comédie italienne, on vit apparaître les types d'Arlequin, de Scaramouche, du Docteur, de Gilles, de Matamore, de Polichinelle. Mais l'Opéra et la Comédie-Française, qui avaient reçu du roi (en échange d'un contrôle assez strict) un privilège, menèrent une lutte constante et féroce contre le théâtre à la Foire.

   Si l'on ajoute l'importance et le retentissement des fêtes de cour, dans les jardins de Versailles, qui réunissaient musiciens, chanteurs, danseurs, comédiens, décorateurs, dans des spectacles qui faisaient appel à tous les plaisirs des sens et de l'intelligence et poussaient chacun à produire le meilleur de son art (fût-ce celui de la cuisine, des bouquets, de la décoration de table, des feux d'artifice...), on peut dire que l'art est bien devenu au XVIIe s. une institution politique.