Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Tadjikistan

Rameau oriental des peuples iraniens, les Tadjiks conservent dans leur folklore (dastans épiques, poésie lyrique, rituelle, utopies sociales) la trace des mythes religieux et cosmogoniques de l'Avesta, et revendiquent aux sources de leur culture les grands poètes persans Rudaki, Daqiqi, Nasir-Khosrow, 'Umar Khayyam, Ferdowsi, Saadi et Djami. Séparé au XVIe s. de l'aire persane, le Tadjikistan subit l'influence de la « préciosité » indienne, avant qu'émergent de l'œuvre de poètes issus du milieu urbain et artisanal (Vassifi [1485-1551], Mouchfiki [1525-1588], Saiido Nasafi [XVIIe s.]) des notes sociales originales. Au cours du XIXe s., le philosophe A. Donich (1827-1897) entreprend avec ses disciples (Chakhine, Savo, Sami Boustani), en réaction à l'hermétisme qu'inspire le Persan Bedil, d'ouvrir son pays à la culture russe et à la pensée moderne. Fondée par le prosateur Aïni (1878-1954) et le poète iranien Lakhouti (1887-1957), la littérature soviétique voit l'essor d'une poésie d'inspiration folklorique (M. Rakhimi, P. Soulaïmoni) – dont les grandes figures seront M. Toursoun-Zadè (1911-1977), M. Mirchakar, B. Rakhim-Zadè – précéder dans la célébration de la société nouvelle celui de la prose et du théâtre (D. Ikrami, R. Djalil, A. Dekhoti, S. Ouloug-Zoda). Renouvelée par l'apparition de jeunes talents, cette poésie reste aujourd'hui encore le genre dominant (A. Choukoukhi, F. Ansori, A. Bakhori, M. Kanoat, G. Safiéva), tandis que le roman se partage entre la réflexion sur le passé (R. Djalil, F. Niazi, Ouloug-Zoda) et l'évocation de problèmes de morale et de société (D. Ikrami, F. Moukhammadiev, I. Akobirov).

Tadjo (Véronique)

Écrivain ivoirien (Paris 1955).

Après un recueil de poèmes (Latérite, 1984), elle publie des romans proches des contes et d'une écriture très poétique (À vol d'oiseau, 1986 ; le Royaume aveugle, 1990). De son séjour au Rwanda, en 1988, est née l'Ombre d'Imana (2000), livre fragmentaire qui mêle aux témoignages de type journalistique quelques textes plus littéraires, qui donnent à ce livre très émouvant une véritable dimension éthique.

Tafsir

Exégèse coranique.

La réception du Coran a probablement joué un rôle essentiel dans l'élaborations de nombreuses sciences visant à la fois la langue utilisée, son agencement, qui tient souvent le milieu entre la prose et la poésie, et leur interprétation. L'étude des deux premiers a débouché sur le développement de la grammaire, de la philologie et de la rhétorique. Quant à l'analyse du sens, elle a revêtu deux modes principaux : l'« exégèse », tafsir, et l'« herméneutique », ta'wil. Souvent, il s'agit pour l'exégète de lier le texte à son contexte, et l'allusion au récit qui la justifie. De ce point de vue, les exégèses coraniques sont riches en narrations de toutes sortes, s'appuyant sur des données yéménites et, surtout, judéo-chrétiennes. Parmi les grands tafsir, citons celui de Tabari (839-923), l'un des plus anciens.

Tagore (Rabindranath) (en bengali Thakur)

Écrivain indien de langue bengalie (Calcutta 1861 – 1941).

Prix Nobel de littérature en 1913. Né dans une famille de lettrés, de philosophes et d'artistes, proche du réformateur RamMohun Roy, il reçut une éducation privée qu'il compléta en Angleterre, sans obtenir de diplôme. Il composa des vers d'inspiration romantique (Kadi o kamal, 1886 ; Manasi, 1890). En 1891, son père lui confia la charge des propriétés familiales au Bengale-Oriental, où il fit de longs séjours en bateau sur les fleuves et dans la campagne. Il acquit ainsi une connaissance directe des hommes et des paysages. Ce contact avec la nature lui permit d'écrire un des sommets de son œuvre lyrique, Sonar tari (1893). Citra confirma son génie (1896), puis Ksanika, recueil dans lequel sa réflexion sur le passage du temps s'approfondit sans s'alourdir. Les nouvelles qu'il écrivit pendant son séjour sur ses terres sont de purs chefs-d'œuvre d'observation et d'humanité (le Vagabond, 1962 ; Épousailles, 1989). L'année 1901 marqua un tournant. Dans Naivedya, ses sonnets appelaient son pays à secouer sa torpeur pour prendre place dans le monde nouveau. Préoccupé par la sclérose du système éducatif, il fonde alors une école en pleine campagne à Santiniketan, où est dispensé un enseignement qui fait une place aux disciplines artistiques en contact avec la nature ; il en fera une université en 1921, Visva-Bharati, ouverte sur le monde tout en préservant les valeurs indiennes. La perte de son épouse et de trois de ses enfants le marque profondément. En 1903, il écrit Sisu, recueil dans lequel il exprime son amour pour l'enfance. À la lecture des poètes vishnouites du Bengale et du saint musulman Kabir, il découvre une richesse symbolique qui va colorer son mysticisme dans Gitanjali (1910), Gitimalya et Gitali (1914). Beaucoup de ces poèmes sont des chants. Remarquable musicien, Tagore composa les paroles et la musique de plus de deux mille chansons. Il participa au mouvement qui s'opposait à la première partition du Bengale en 1905, mais s'opposa à ses dérives violentes. Il se rendit en Angleterre, où ses traductions en anglais de quelques-uns de ses poèmes reçurent un accueil enthousiaste auprès d'écrivains tels que W.B. Yeats, Saint-John Perse et Ezra Pound. Le recueil en anglais parut en 1912. L'année suivante, Tagore recevait le prix Nobel. André Gide traduisit en français le recueil anglais (l'Offrande lyrique, 1913). D'autres traductions suivirent. Tagore ne cessa pas d'expérimenter et d'évoluer. En 1916, le recueil Balaka (Cygne, 1923) introduisit une forme nouvelle avec de longs poèmes aux vers de longueur inégale, animés par un souffle et un rythme puissants. Le ton s'amplifia, les sonorités devinrent graves. La traduction française du recueil complet est faite à partir de l'original bengali. Dans les années qui suivirent, Tagore voyagea dans le monde entier et rencontra des personnalités de l'époque comme Romain Rolland et Einstein. Sa veine poétique ne cessa pas pour autant. Des recueils tels que Purabi (1925), dédié à Victoria Ocampo, en témoignent. Dans Punasca (1932), Patraput et Syamali (1936), Tagore est très proche du vers libre. Lipika est écrit en prose. À la fin de sa vie, ses vers sont marqués par l'expérience de la maladie (Prantik, 1938) et par son souci de l'avenir du monde (Navajatak, 1940). De très courts poèmes, proches des formules sacrées védiques, sont ses derniers messages.

   Tagore fut aussi romancier. Gora (1910) brosse le tableau de la vie intellectuelle à Calcutta vers 1870. Ghare Baire (la Maison et le monde, 1916) introduit une forme narrative nouvelle pour raconter la sortie d'une femme du gynécée avec, en arrière-plan, les drames des années de lutte pour l'indépendance. Char adhyay (1934) (Quatre chapitres) dépeint les dérives terroristes du mouvement de non-coopération. Le théâtre a été une des passions de Tagore. Celui-ci fut acteur, metteur en scène et écrivit des œuvres symbolistes, Raja (1910), Dakghar (Amal et la lettre du roi, traduit par André Gide, 1922), Muktadhara (la Machine, 1929), Raktakarabi (1924), ainsi que des pièces musicales (Chandalika, 1938) et des comédies. Essayiste et conférencier, il fit entendre une voix profondément humaniste et généreuse, touchant des sujets aussi variés que la religion, la politique, l'histoire, la littérature, l'éducation, la culture populaire. En français, on peut lire la Religion de l'homme (1933) et Vers l'homme universel (1964). Il fut aussi un remarquable épistolier. Ses souvenirs, Jivansmriti (1912) et Chelebela (Souvenirs d'enfance, 1964), sont pleins de charme et de profondeur. À la fin de sa vie, il s'adonna à la peinture et produisit des œuvres originales. Par l'ampleur de son génie et la noblesse de sa personnalité, Tagore est une des très grandes figures du monde des lettres.