Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
M

Moukanov (Sabit Moukanovitch)

Écrivain kazakh (région d'Akmolinsk 1900 – Alma-Ata 1973).

Fils de berger, il participa à la guerre civile et retraça dans des poèmes (le Manouvrier, 1926 ; le Gué d'octobre, 1927) puis des romans en vers (Soulouchach, 1928) ou en prose (les Égarés, 1931-1959 ; Botagoz, 1938) la métamorphose de la société kazakhe, dont son autobiographie fournira une vision subjective et poétique (l'École de la vie, 1939-1953). La guerre lui inspira des vers et des récits patriotiques (Syr-Daria, 1947-48 ; les Vagues de la steppe, 1956) que suivront un drame (le Fil d'Ariane, 1954) et un roman (le Météore, 1967-1970) dédiés au savant kazakh Valikhanov.

Moukimi (Muhammad Amin Hodja)

Poète ouzbek (Kokand 1850 ou 1851 – 1903).

Fils de boulanger, il anima, avec Fourkat, un cercle de poètes démocrates (Zavki, Avaz, Kamil Khorezmi). Virtuose de formes classiques qu'il charge d'un message social, il est à la fois un lyrique amoureux des joies terrestres et un grand satirique, témoin lucide des suites de l'intrusion russe, et qui flétrit l'obscurantisme du clergé (le Saint, le Fils du péché), l'avidité des affairistes (le Nouveau Riche, Viktorbaï) et la vénalité des fonctionnaires (Supplique au Khan, les Arpenteurs).

Mousrepov (Gabit Makhmoudovitch)

Écrivain kazakh (région de Koustanaï 1902-? 1985).

Fils de paysans, il consacre des récits à la guerre civile et aux débuts de la collectivisation (l'Abîme, 1928 ; les Deux Lacs, 1929 ; la Mère, 1934), puis ressuscite au théâtre des épisodes du passé féodal et de la révolte de 1916 (Amangeldy, 1936 ; Kozy-Korpech, 1939 ; la Tragédie du poète, 1942). Ses romans reflètent l'héroïsme des années de guerre (le Soldat du Kazakhstan, 1949) et l'émergence au XIXe s. du prolétariat kazakh (le Pays réveillé, 1953). Il poursuit cependant une œuvre de nouvelliste (l'Appel de la vie, 1963 ; Une fois pour toutes, 1967 ; De soleil en soleil, 1970).

mouvement du 4 mai

Ce terme désigne trois événements : 1º la manifestation des étudiants à Pékin, le 4 mai 1919, contre le traité de Versailles ; 2º le mouvement de révolution culturelle et sociale, entre 1916 et 1921 ; 3º la révolution littéraire qui en est à la fois le début et le résultat. Ces années voient l'intelligentsia en proie à des contradictions qu'expriment des précurseurs tel Liang Qichao. L'introduction des idées occidentales, le nombre croissant de jeunes formés à l'étranger conduisent à une réflexion sur littérature et société. Les deux leaders du mouvement, Hu Shi et Chen Duxiu, écrivent dans la revue la Nouvelle Jeunesse (Xin Qingnian), créée à Pékin par le second, en 1915. Le coup d'envoi est donné par Hu Shi : en janvier 1917, il publie Suggestions pour une réforme littéraire dans la revue de Chen Duxiu ; celui-ci renchérit et signe De la révolution littéraire (février 1917), manifeste du mouvement  en trois points : 1º renverser la littérature de l'aristocratie, fonder la littérature populaire ; 2º renverser la littérature classique, fonder la littérature réaliste ; 3º renverser la littérature élitiste en langue classique, fonder la littérature en langue parlée, accessible à tous. L'adoption du baihua (langue parlée) est la première exigence, qui a un impact immédiat. Le mouvement du 4 mai se développe en quatre phases. La première (1916-mai 1918) est celle de la réflexion théorique. La seconde va de mai 1918 (Journal d'un fou, Lu Xun) au 4 mai 1919 : la revue Xin Qingnian ne publie plus qu'en baihua et le Journal d'un fou est la justification artistique de ce choix. La troisième phase (4 mai 1919-1920) est celle du rayonnement national : on déborde le cadre littéraire, on attaque la société confucianiste, on promeut le marxisme. La quatrième (1920-1921) est celle du succès et de la dislocation : si 1920 voit l'adoption du baihua dans l'administration et les écoles, et la création de revues et de sociétés littéraires, en revanche, la vieille garde éclate : à droite Hu Shi, au centre les réformistes, à gauche Lu Xun et Chen Duxiu, lequel quitte la scène littéraire pour fonder le P.C.C. (1er juillet 1921). La révolution littéraire chinoise est accomplie.

Mphalele (Ezekiel)
ou Es'kia Mphalele

Écrivain sud-africain de langue anglaise (Pretoria 1919).

Après des études dans son pays d'origine, il alla enseigner au Nigeria (1957), à l'université d'Ibadan, où il collabora à la revue Black Orpheus, et présida le Mbari Club. Après Nairobi et Lusaka, il devient professeur aux États-Unis (à Denver, au Colorado) avant de rentrer en Afrique du Sud, où il prend (1978) la direction du département des études africaines à l'université du Witwatersrand jusqu'à sa retraite en 1987. Il devint connu avec son texte autobiographique sur la condition noire en plein apartheid, Au bas de la deuxième avenue (1959). Il est aussi l'auteur de nouvelles (L'Homme doit vivre et autres histoires, 1947 ; les Vivants et les Morts et autres histoires, 1961 ; Au croisement B, 1967 ; Chanson ininterrompue, 1981; le Temps du renouveau, 1988), d'une anthologie (African Writing Today, 1967), d'essais (Image de l'Afrique, 1962 ; Voix dans le tourbillon, 1972) et de romans (les Vagabonds, 1970 ; Chirundu, 1979). En 1984, il donne une suite à son autobiographie, Afrika My Music, et une longue nouvelle pour jeunes, Père est revenu à la maison.

Mrozek (Sławomir)

Écrivain polonais (Borzecin 1930).

Il est journaliste débutant à Cracovie lorsqu'il publie son premier recueil de nouvelles (les Demi-Cuirasses pratiques, 1953), chronique féroce des premières années de l'après-guerre en Pologne. La publication de l'Éléphant (1957) lui assure une place définitive dans les cercles littéraires polonais. Il s'installe à Varsovie où il édite Noce à Fouilly-l'Atome (1959), une satire de la société socialiste des années 1950. Il campe un monde qui sombre dans la schizophrénie. On ne peut y échapper que par le rire, mais non sans angoisse. Dans le Progressiste (1960), la Pluie (1962), Mrożek montre une marionnette humaine empêtrée dans les rôles qu'elle s'attribue. La démarche intellectuelle de ses personnages, dont ils ne semblent pas avoir conscience de la logique, les mène à leur perte. Ils ne comprennent le monde dans lequel ils vivent qu'en se référant à des schémas (langage, idéologies, coutumes) qui les emprisonnent dans une situation à l'issue toujours désastreuse. À l'exception des protagonistes de la Police (1958), tous les héros subissent un échec. Le spectateur ne ressent ni compassion ni crainte à la vue de leur souffrance ; il est gagné par le rire et la pitié tant leurs motivations sont misérables (protection d'un confort étriqué, désir d'éviter tout effort, besoin de plaisir à bas prix). L'espace est fermé, la scène devient prison, le lieu et le temps de l'action sont impossibles à replacer dans le réel, et pourtant la présence du monde réel est manifeste. Mrożek utilise deux formes dramatiques. Il excelle dans la pièce en un acte (Strip-tease, 1961 ; les Émigrés, 1974, la Chasse au renard, 1977). La conclusion est connue dès le début (les émigrés ne rentreront pas chez eux). Ce sont l'attente de la catastrophe et les joutes de personnages que tout oppose qui font l'intérêt du spectacle. Tango (1964), qui est au commencement de la renommée mondiale de Mrożek, est la meilleure de ses pièces en plusieurs actes. Il y présente des événements qui, a priori, semblent relever d'une histoire privée, familiale (la place de l'enfant). D'acte en acte, le spectateur s'aperçoit pourtant qu'une histoire plus générale émerge : la crise de l'idée de progrès dans la société. Il lui est dès lors impossible d'entendre littéralement ce qui se passe sur scène. Sous le grotesque des personnages et l'incohérence apparente des dialogues, ressortant le tragique et la dignité d'hommes étrangers à eux-mêmes et au monde, qui cherchent désespérément un sens à leur existence (Heureux Événements, 1973) sans qu'il puisse en découler pour autant dans un monde qui n'est pourtant pas absurde. Dans les pièces écrites après 1975, les personnages sont eux aussi gagnés par une ambiguïté croissante (le Pic du bossu, 1975, le Tailleur, 1978 ; l'Ambassadeur, 1981 ; le Résident, 1986). L'extraordinaire capacité de mimétisme du langage mise en œuvre par Mrożek tire des effets comiques du jargon emphatique de l'émulation socialiste, du mélange dans un même récit du sabir pseudo-scientifique de la science-fiction et du parler faussement paysan, des interpénétrations de niveaux de langue et des quiproquos qui en résultent. Elle contribue au succès sans pareil de Mrożek en Pologne (même au cours des décennies où, officiellement, il est mis à l'index), comme à l'étranger. En 1963, il part vivre en Italie. En 1968, à Paris, il proteste contre la répression du Printemps de Prague. Son passeport polonais lui est retiré et il se voit contraint à l'exil, en France d'abord où il obtient la nationalité française en 1978, puis au Mexique. Il regagne la Pologne après la chute du communisme et vit à Cracovie. Sa célébrité de dramaturge éclipse l'auteur de nouvelles et de satires (Moniza Clavier, Petites Lettres, Dénonciations) qui brillent par leur causticité magnifiquement servie par un style lapidaire.