Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Apollinaire (Wilhelm Apollinaris de Kostrowitzky, dit Guillaume) (suite)

Le dernier Apollinaire

L'immédiat avant-guerre est l'époque des prises de parti dans les polémiques picturales autant que celle des explorations formelles, de la création de genres neufs (ainsi le poème-conversation) ; modernisme qui culminera avec les Calligrammes, sous-titrés « poèmes de la paix et de la guerre », qui paraissent en 1917, et dont le poème le plus célèbre est la Colombe poignardée et le jet d'eau. Le recueil lie exemplairement (et pour la poésie du siècle à venir) poésie et peinture. Apollinaire rêve d'une synthèse des arts que le futur devait rendre possible. Est proposé un aménagement original du poème dans sa spatialité.

   Peu après la déclaration de guerre, Guillaume rencontre la joueuse Lou, c'est-à-dire son destin, alors que s'initie une correspondance à la fois torride et pudique, à mettre et à ne pas mettre entre toutes les mains. Les Poèmes à Lou accompagnent ces lettres et y seront joints plus tard. La guerre et l'amour échangent leurs feux. La violence guerrière exacerbe le désir du soldat. En 1915, il part de lui-même au front et rencontre l'Oranaise Madeleine, à laquelle le lie un amour, décidément, épistolaire. Apollinaire vit la vie des soldats dans les tranchées : l'omniprésence du mal se matérialise, se densifie, à mesure que la nécessité (mais encore et toujours l'impossible) de l'amour se vérifie. Le 17 mars 1916, Guillaume Apollinaire est blessé d'un éclat d'obus au front (« la tête étoilée »). Trépané, il est ramené sur Paris où, contre toute attente, il déborde d'activité.

   Il est une sorte de Prince des poètes, et le visage même de l'avenir pour de jeunes admirateurs tel Reverdy. Sa pièce les Mamelles de Tirésias (où le mot de « surréalisme » apparaît) est montée en 1917, exemple entre autres d'une incursion peut-être moins aboutie sur les planches. À cette époque, Apollinaire définit par des conférences ce que sera l'Esprit nouveau : puiser dans les racines de la tradition pour dire aujourd'hui et demain. Sans se limiter à la forme neuve créée, le recueil des Calligrammes accueille des formes régulières ou libres. Il transcrit, chronologiquement cette fois, les étapes du vécu, notamment la découverte hallucinée du sort de l'homme au front. Éros et Mars croisent le fer : à la guerre se juxtapose cette autre guerre qu'est l'amour. Loin d'être un objet esthétique (« Ah Dieu que la guerre est jolie »), le conflit est la voix du néant à l'œuvre. Une démarche se poursuit : le réel est vu par le prisme d'une sensibilité exacerbée, d'une réalité personnelle qui n'est pas mensongère, d'une écriture du nouveau qui sait sa dette à l'égard du classique. Il s'agit d'une entreprise rien moins que démiurgique, celle de faire éclater les carcans du vers, de « l'élargir » (au sens carcéral, aussi) pour donner à ce temps, et à lui seul, une voix enfin définitivement nouvelle. Poème et monde, poésie et musique, amour et guerre : Apollinaire est l'homme des synthèses. L'ordre des poèmes dans les recueils posthumes (ainsi le Guetteur mélancolique, 1952) est pour lui sujet à caution. À sa mort, en 1918, les Français crient précisément, mais pour d'autres raisons, « À mort Guillaume ! ».

Apollo (groupe)

École littéraire égyptienne, formée autour de Ahmad Zaki Abu Châdî et dirigée par le poète libanais Khalîl Mutrân.

Fondée en 1932, elle développa une poésie à mi-chemin entre le romantisme et le symbolisme. Ses principaux représentants (Ibrahim Nâjî, 'Ali Mahmûd Tâhâ, Hasan al-Sayrafî, Mahmûd Hasan Ismâ'îl, Sâlih Jawdat...) publièrent également la revue Apollo qui fut pendant trois ans (1932-1935) le porte-parole du mouvement.

Apologistes

On appelle Pères Apologistes les écrivains chrétiens de langue grecque contemporains des persécutions, qui ont défendu leur foi ou la vie de leurs coreligionnaires en adressant aux autorités impériales ou au public païen des ouvrages faisant l'apologie de la doctrine et de la vie chrétiennes, réfutant le paganisme et, éventuellement, attaquant sa culture ou dénonçant ses mœurs. La première Apologie conservée est celle d'Aristide, présentée à l'empereur Hadrien vers 125. Saint Justin (martyrisé vers 165) appartient à la seconde génération des Apologistes ; il adressa son ouvrage à l'empereur Antonin entre 150 et 160, à l'occasion d'une nouvelle vague de persécution. La troisième génération se situe sous Marc Aurèle : vers 177, la Supplique d'Athénagore réfute les trois accusations portées contre les chrétiens (athéisme, cannibalisme, inceste) et réclame de l'empereur une loi destinée à les protéger. À peine postérieur, l'Ad Graecos de Tatien, un disciple de Justin, est un violent pamphlet contre la culture grecque. Les trois livres À Autolykos de l'évêque d'Antioche Théophile, rapportant la discussion engagée avec un païen, traduisent un climat plus serein, celui du règne de Commode. L'écrit anonyme À Diognète clôt la période ; considéré comme « la perle de l'apologétique chrétienne », il séduit par son élégance et l'art avec lequel il utilise les ressources de la rhétorique pour développer des thèmes devenus traditionnels.

Apolonio (Libro de)

Roman « antique » de 2 642 vers, refonte d'une légende épique, composé par un clerc aragonais (vers 1240-1250) sur Apollonius, roi de Tyr.

C'est l'un des premiers témoignages du mester de clerecía. Issu de la littérature hellénistique, à travers la version latine (Historia Apollonii regis Tyri, Ve-VIe s.) d'un roman byzantin (Apollonius de Tyr), il préfigure l'Apollonius von Tyrland d'Heinrich von Neustadt (vers 1300) et la Confessio amantis de John Gower (1383).

apophtegmes

Ce mot grec désignait chez les Anciens des sentences exprimées avec concision de manière à attirer l'attention. Il sert aujourd'hui surtout à désigner des séries d'aphorismes, attribués à des moines ou des ermites ayant vécu, pour la plupart, en Égypte aux IVe et Ve siècles de notre ère. Ces recueils existent dans toutes les langues anciennes de l'Orient et de l'Occident chrétiens : grec et latin, arménien et géorgien, copte, arabe et éthiopien, langues slaves. Les collections sont constituées de diverses façons, mais les séries conservées en grec, langue de l'original, se rattachent à deux types : alphabétiques, quand les apophtegmes sont classés par auteur, suivant l'ordre de l'alphabet grec ; systématiques, quand on a groupé les paroles des anciens selon des thèmes, par exemple les différentes vertus (la maîtrise de soi, la discrétion, la vigilance, etc.). Ce genre « littéraire » formait, à l'origine, une littérature orale, les formules se répétant de bouche à oreille. Plus tard, peut-être vers le milieu du Ve siècle, elles furent transcrites et rassemblées dans des recueils. Ceux-ci, en s'amplifiant, ont subi une évolution, car l'apophtegme avait, au début, un caractère charismatique : c'était la parole, ayant valeur d'enseignement et de modèle, d'un ancien, d'un vieillard doué, disait-on, d'une grâce particulière. Sur le plan littéraire, c'était une manière de s'exprimer très ramassée et facile à retenir pour servir de norme de vie. Mais, peu à peu, on introduisit des éléments de tradition, non plus orale, mais écrite, comme des extraits de biographies ou même de traités qui s'ajoutèrent aux apophtegmes proprement dits. La forme en est souvent pittoresque, parfois paradoxale, non dénuée d'humour et de malice. La doctrine spirituelle est puisée à l'Évangile : renoncement au monde, lutte contre soi-même, charité et bonté pour le prochain, discernement. À côté de prouesses ascétiques, on trouve aussi des attitudes de bon sens et de modération. Du point de vue historique, on remarque des détails nombreux et intéressants non seulement sur la vie et les mœurs monastiques, mais aussi sur la civilisation du temps, la vie économique et les relations sociales : c'est un document de grande valeur, en raison même de sa spontanéité.