Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
E

enfance et jeunesse (suite)

Le XIXe siècle

La production de livres pour enfants reste forte sous la Révolution française. On lance en 1789 un éphémère périodique, le Petit Bonnet phrygien ; on édite de petits « catéchismes républicains ». Puis l'ordre bourgeois s'installe. Le nombre de titres publiés chaque année fait plus que doubler entre 1800 et 1830. La mise en place d'un enseignement primaire (loi de 1833 ; ordonnance de 1836) ne peut qu'être favorable à ces petits livres. La littérature pour la jeunesse devient culturellement visible et acquiert sa première dénomination. Dans la préface à ses Simples Contes à l'usage des plus jeunes enfants (1832), Mme de Civrey écrit : « Le nombre de ces petits ouvrages qu'on est convenu d'appeler Livres d'éducation est aujourd'hui très considérable. » On trouve de nombreuses maisons catholiques en province : Périsse à Lyon, Lefort à Lille, Mame à Tours, Ardant à Limoges, Mégard à Rouen. À Paris, deux grands éditeurs émergent, Pierre Blanchard et Alexis Eymery. Les livres ont encore de petits formats, les couvertures sont ornées (« gaufrages romantiques ») ou toilées de noir avec des fers dorés. L'illustration fait une entrée discrète, avec de six à huit gravures sur cuivre en hors-texte. Les formats grandissent avec l'apparition de la lithographie, mais la véritable révolution graphique sera l'insertion de la gravure dans la page de texte. Parmi les plus célèbres créateurs de ce qu'on appelle les vignettes romantiques, il faut mentionner Thomas Bewick en Angleterre et Tony Johannot en France.

Les historiettes édifiantes

Le public des lecteurs reste homogène. La forme littéraire dominante est celle des historiettes, éventuellement prises dans la structure emboîtante d'un dialogue entre adultes et enfants. Les pionniers du XVIIIe siècle constituent des références. Nicolas Bouilly, disciple de Berquin, publie les Contes à ma fille (1809), Mme Manceau, les Jeudis du pensionnat ou le nouveau magasin des enfants (1846). Les Enfants ; contes à l'usage de la jeunesse (1822) et les Nouveaux Contes (1823) de Pauline Guizot sont réunis en 1858 sous le titre l'Amie des enfants. Les trois recueils que publie Marceline Desbordes-Valmore, le Livre des petits enfants (1834), le Livre des mères et des enfants (1840), Contes en prose (1840), sont infiniment plus troublants – par la place qu'ils accordent au rêve et à l'inconscient – que la référence à Berquin ne le laisserait supposer. De nombreux titres suggèrent une narration qui repose sur l'opposition de deux enfants. Mme Guizot publie en 1822 l'Écolier ou Raoul et Victor, qui reçoit le prix Monthyon. Mme Farrenc publie Gustave et Eugène ou orgueil et humilité (1839), les Amis de collège ou vice et vertu (1842), Adolphe ou l'arrogant puni (1846). On prêche aux enfants le dévouement filial, le goût du travail, le respect d'une hiérarchie sociale conforme à l'ordre divin. Les « petits métiers » mis en scène ne sont ni ceux des héros, ni ceux qui sont promis aux jeunes lecteurs : ils sont là pour permettre aux héros d'exercer la charité. Il n'y a dans ces petites fictions ni dépaysement social, ni dépaysement géographique. Les seuls livres pour rêver à des ailleurs sont les ouvrages documentaires et les premières adaptations de Robinson Crusoé.

Robinsonnades et romans d'aventures

Un seul roman figure au catalogue de Pierre Blanchard en 1820. Sous le titre Robinson der Jüngere, Joachim Heinrich Campe avait proposé en 1779 la première grande réécriture pour enfants du roman de Defoe, selon une structure narrative tout autre : un père raconte soir après soir les aventures de Robinson à ses enfants ; la famille en tire les conclusions morales nécessaires. Le livre connut un immense succès et il sera traduit dans toutes les grandes langues européennes (à Paris en 1783). Le Robinson suisse de Johann Rudolph Wyss (1812) est traduit par Isabelle de Montolieu en 1814. Suivront le Robinson de douze ans (1818) de Mme Mallès de Beaulieu, Emma ou le Robinson des demoiselles (1834) de Catherine Woillez, le Robinson des glaces d'Ernest Fouinet (1835), etc. Jules Verne dira sa dette envers ces lectures d'enfance dans les préfaces à Deux Ans de vacances (1888) et à Seconde Patrie (1900).

   L'émergence du roman comme genre majeur de la littérature des adultes et la naissance d'une presse enfantine vont progressivement introduire le plaisir et l'évasion dans la littérature de jeunesse. C'est dans le Journal des enfants (1832-1897) que Louis Desnoyers publie entre août 1832 et juillet 1833 les neuf épisodes des Aventures de Jean-Paul Choppart, repris en volume en 1834. L'urgence de l'écriture libère l'écrivain des attendus du discours vertueux. Desnoyers reprend la tradition du voyage pédagogique, à ceci près que le trajet est maintenant une errance, que son héros n'a plus Mentor pour guide, mais un autre chenapan pour compagnon. Ce roman peut être tenu pour le premier de la littérature de jeunesse française, et Jean-Paul Choppart pour son premier héros. Du côté des petites filles, Julie Gouraud invente avec les Mémoires d'une poupée (1839) un déplacement du point de vue qui connaîtra un grand succès tout au long du siècle et que la comtesse de Ségur exploitera à son tour dans les Mémoires d'un âne. Le roman de Desnoyers est republié en 1865 par Hetzel dans une version revue par l'écrivain lui-même et titrée désormais les Mésaventures de Jean-Paul Choppart. La préface que rédige Hetzel nous indique que la dénomination des livres dont nous parlons a changé : « [Le roman] est écrit avec une vivacité, une verve, une abondance, un entrain, une franchise d'allure à la fois sérieuse et bouffonne, qui ne sont pas d'ordinaire ce qui distingue la littérature enfantine. »

La presse et les collections pour la jeunesse

Le développement global du marché de l'imprimé puis les dernières grandes lois scolaires (lois Jules Ferry en 1880-1881, création des lycées de filles en 1880) entraînent une augmentation considérable des publications pour enfants dans la seconde moitié du XIXe siècle. Des éditeurs comme Hachette, Privat, Flammarion et Colin vont directement bénéficier du marché des livres scolaires. Le plus célèbre des livres de lecture courante est un roman scolaire, le Tour de la France par deux enfants ; devoir et patrie (Belin, 1877), que G. Bruno (pseudonyme de Mme Alfred Fouillée) destine aux élèves du cours moyen. Ce livre de lecture courante sera constamment réédité et, après une révision « laïque » en 1905, utilisé jusque dans les années 1950.

   La lecture enfantine se développe sur un double support, celui de la presse et celui du livre. On constate une valorisation globale de la production. Les périodiques et les volumes destinés aux enfants sont désormais largement illustrés. Les formats augmentent, les couvertures mettent en scène les héros. Les éditeurs rationalisent leur production et fidélisent leur clientèle en inventant les collections. Les écrivains pour la jeunesse sont désormais beaucoup moins liés à l'activité enseignante et les grands éditeurs voient leurs livres mentionnés dans la rubrique des « Livres d'Étrennes », voire couronnés par l'Académie française.

   La librairie Périsse publie en 1858 le Journal de Marguerite de Victorine Monniot, qui sera un des grands succès du siècle. Mais les maisons d'édition de province s'essoufflent et subissent rudement la concurrence des nouvelles maisons d'édition parisiennes comme Flammarion, Colin ou Delagrave, et particulièrement celle des deux grands éditeurs de la bourgeoisie, Hachette et Hetzel, qui occupent une position centrale. Louis Hachette imagine en 1853 une collection appelée « Bibliothèque des chemins de fer » pour laquelle les ouvrages de l'enfance sont brochés en rose pâle. Zuma Carraud y publie la Petite Jeanne (1853), et Sophie de Ségur, ses Nouveaux Contes de fées (1857), puis il crée un périodique la Semaine des enfants (1857-1876), et « la Bibliothèque rose illustrée » (1858), sa collection qui aura une longévité d'un siècle. C'est dans cette collection que sont publiés tous les romans de la comtesse de Ségur, les Malheurs de Sophie et les Vacances (1859), les Mémoires d'un âne (1860), le Général Dourakine (1863), Un bon petit diable (1865), la Fortune de Gaspard (1866), pour ne citer que les plus célèbres. Hachette y publie également Lettres de deux poupées (1863) et les Mémoires d'un caniche (1865) de Julie Gouraud, les Métamorphoses d'une goutte d'eau (1864) de Zulma Carraud, les Aventures merveilleuses mais authentiques du capitaine Corcoran (1867) d'Alfred Assolant, les romans de Mme de Stolz, ceux de Zénaïde Fleuriot. Les romans de Joséphine Colomb et ceux de Gabriel Ferry seront publiés dans « la Bibliothèque des écoles et des familles », une collection destinée à des lecteurs plus âgés. Globalement la production de Louis Hachette appartient à un courant plus conservateur que celui de Hetzel, son concurrent laïque et républicain.

   C'est à son retour d'exil en 1861 qu'Hetzel décide de se spécialiser davantage qu'il ne l'avait fait entre 1840 et 1851 dans la littérature pour la jeunesse. Il fonde avec Jean Macé le Magasin d'éducation et de récréation en 1864, et c'est ce bimensuel qui accueillera les romans de Jules Verne avant que ceux-ci soient repris en volumes dans la Bibliothèque du même nom. Hetzel est également l'éditeur de Jean Macé (Histoire d'une bouchée de pain, 1861), d'Hector Malot (Sans famille, 1878), de la collection « la Vie de collège dans tous les temps et tous les pays » d'André Laurie, des romans de Louis Boussenard (le Tour du monde d'un gamin de Paris, 1880), des Cinq Sous de Lavarède (1894) de Paul d'Ivoi.