Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Triolet (Elsa)

Romancière française d'origine russe (Moscou 1896 – Saint-Arnoult-en-Yvelines 1970).

Belle-sœur de Maïakovski (qu'elle évoquera dans Maïakovski, poète russe, 1939), elle rencontra Aragon en 1928 et devint sa femme. Après avoir écrit en russe (Fraise des bois, 1926, roman autobiographique), elle publia en français des romans (Bonsoir Thérèse, 1938 ; le Cheval blanc, 1943 ; le Cheval roux, 1953 ; l'Âme, 1963 ; Écoutez voir, 1968 ; la Mise en mots, 1969 ; Le rossignol se tait à l'aube, 1970), des traductions (Gogol, Maïakovski, le théâtre de Tchekhov) et des nouvelles (Mille Regrets, 1942 ; Le premier accroc coûte deux cents francs, prix Goncourt en 1944), où l'esthétique du réalisme socialiste se mêle à un goût du merveilleux hérité du conte slave et de la pratique surréaliste. La passion du bonheur et celle de la révolution se mêlent dans son œuvre, qu'Aragon voulut voir « croiser » avec la sienne (Œuvres romanesques croisées, 1964). Elle a dirigé une Anthologie de la poésie russe (1965).

Tripitaka
(Triple Corbeille)

Mot sanskrit (tipitaka en pali) désignant l'ensemble des textes canoniques du bouddhisme theravada, utilisés encore actuellement à Sri Lanka, ainsi qu'en Asie du Sud et du Sud-Est. Il est admis que le Bouddha n'a lui-même rien écrit, et que son enseignement oral s'effectua sans doute à l'origine dans la langue du Magadha. Par la suite, tipitaka a désigné le texte écrit, par rapport au commentaire effectué en diverses langues. C'est à partir du concile de Rajagriha, l'actuelle Rajgir, un an après la mort du Bouddha, que ses paroles furent transcrites et réparties en trois volumineux recueils ou « triple corbeille », contenant les versions et exégèses hinayanistes multiples, tandis qu'un autre courant donnait naissance aux recueils en langue sanskrite, d'inspiration mahayaniste. Le Tripitaka se compose du Sutta pitaka (prières, stances, discours...), du Vinaya pitaka (sur la discipline monastique) et de l'Abhidhamma pitaka (traités de philosophie bouddhique). Parmi les textes remarquables figurent dans les cinq livres du Sutta pitaka : le Dhammapada, recueil de stances versifiées d'une grande poésie, le Theragatha et le Therigatha (Stances des Anciens et des Anciennes), et le livre des Jataka, ou récits des vies antérieures du Bouddha. Dans les trois livres du Vinaya se trouve le Patimokkha, récité par les bonzes. Les sept livres de l'Abhidhamma contiennent l'enseignement des données fondamentales de la doctrine bouddhique (dhamma).

Tripurarahasya

Doctrine secrète de la déesse Tripura (Xe s. ?).

Formé de trois sections concernant le culte, la connaissance et la conduite, ce texte, fort populaire, peut-être originaire du Bengale ou du Cachemire, comprend 12 000 versets. La section sur la connaissance se présente sous la forme de contes philosophiques, mêlant des thèmes du Vedanta, des Tantra shivaïtes et du bouddhisme, pour évoquer la nature ultime de la conscience, faite de liberté créatrice, et substance du monde. Il se présente sous la forme traditionnelle d'un emboîtement de récits où alternent péripéties, merveilleux et enseignement à visée sotériologique.

Trissino (Gian Giorgio) , en fr. le Trissin

Écrivain italien (Vicence 1478 – Rome 1550).

Auteur d'une tragédie (Sophonisbe, 1524) et d'un dialogue (le Châtelain, 1529), où il préconise la norme littéraire d'une langue toscane courante, Trissino a laissé un poème épique en 27 chants (l'Italie libérée par les Goths, 1547-1548), qui raconte la reconquête de l'Italie par les Byzantins.

Tristan (Flore Célestine Tristan-Moscoso, dite Flora)

Féministe et socialiste française (Paris 1803 – Bordeaux 1844).

Influencée par Fourrier, Saint-Simon et d'autres réformateurs sociaux comme Robert Owen et Louis Blanc, elle se fait l'apôtre du féminisme dans Pérégrinations d'une paria (1838), en partisane de l'amour libre, du divorce, ainsi que de l'abolition de l'esclavage des Noirs. En 1843, elle fait paraître l'Union ouvrière mais ne parvient pas à mettre sur pied l'organisation correspondante. Elle a également écrit un roman, Méphis (1838), et une enquête sur la condition du prolétariat anglais (Promenades dans Londres, 1840).

Tristan (Frédérick Tristan Baron, dit Frédérick)

Écrivain français (Sedan 1931).

Il dirige les Cahiers de l'hermétisme. Ses récits, tissés de mythes, d'occultisme et de mysticisme allemand, marqués par l'Orient (le Singe égal du ciel, 1972, adaptation d'un classique chinois), sont initiatiques (Histoire drolatique et sérieuse de l'homme sans nom, 1980). L'Allemagne du début du siècle (Naissance d'un spectre, 1969) ou de la Renaissance (les Tribulations héroïques de Balthasar Kober, 1980), la Chine des Ming (la Cendre et la Foudre, 1982), l'Europe de l'entre-deux-guerres (les Égarés, 1983) en sont l'arrière-plan. Il a questionné la peinture (l'Œil d'Hermès, 1982). Le Retournement du gant (1990) en fait un représentant de la « nouvelle fiction ».

Tristan et Iseut (les romans de)
(à partir de 1170)

D'origine celtique, fixée en Cornouailles anglaise (un haut lieu de la légende est le château de Tintagel), et connue dès la première moitié du XIIe siècle comme le montrent déjà les allusions des troubadours, la légende de Tristan et Iseut s'est diffusée au Moyen Âge sous forme de romans, en vers puis en prose, de récits brefs, d'allusions, de témoignages iconographiques divers. Elle a fortement influencé la production romanesque des XIIe et XIIIe siècles, en français, puis dans les différentes langues de l'Occident médiéval. Elle peut apparaître à ce titre comme une sorte de laboratoire médiéval de l'art du roman. Cette légende qui, en plein essor de l'idéal courtois, met en scène un amour contraint (le philtre en est à l'origine et l'éternise), opposant les amants aux lois religieuses, morales et sociales et les conduisant à la mort, a été aussi bien reçue comme mythe de l'amour fou (chez les troubadours) que comme une représentation asociale et mortifère de l'amour qu'il faut contester (Chrétien de Troyes). Elle a ainsi été le lieu où interroger la puissance du désir (cette force qu'incarne dans le texte le philtre d'amour), la place à concéder à la passion dans une société donnée, et où mettre en pleine lumière la nécessaire et impossible maîtrise de la sexualité.

   Les romans composés au XIIe siècle en français, ceux de Thomas d'Angleterre (vers 1175) et de Béroul (vers 1190 ?) n'ont survécu que sous forme fragmentaire. Une version complète, proche de celle de Béroul, a été composée au XIIe siècle en moyen haut allemand par Eilhart. Au début du XIIIe siècle, la Saga en norrois de Frère Robert reproduit en l'abrégeant la version de Thomas dont la version, inachevée, de Gottfried de Strasbourg (en moyen haut allemand) est une véritable recréation. Le fragment de Béroul donne les événements qui vont du rendez-vous épié à l'exil des amants dans la forêt du Morois, se poursuit par l'épreuve judiciaire que subit avec succès Iseut avec l'aide de Tristan déguisé en lépreux, s'interrompt sur une sorte de triomphe des amants : Tristan met sauvagement à mort les barons qui n'ont cessé de dénoncer le couple au roi Marc. La présence insistante du narrateur Béroul, qui se range sans ambiguïté du côté des amants, s'allie à un découpage de l'action qui dramatise les moments clés de la vie du couple, les fait revivre devant l'auditoire comme dans leur premier surgissement. Duplicité du langage, ruses et déguisements, violence verbale et physique, les amants de Béroul utilisent tous les moyens pour échapper à la mort et pour assouvir, avec la complicité de Dieu, de l'ermite Ogrin, du narrateur et d'un public forcément conquis, une force d'amour dont ils ne sont jamais les maîtres. Thomas, lui aussi, reconnaît cette puissance, mais pour la déplorer. Les très longs monologues que tient Tristan dans les fragments conservés, les réflexions qu'y ajoute le narrateur, les épreuves physiques et les crises morales que traverse le couple, disent plutôt le drame, la souffrance et le désordre qu'est la passion, tandis que, au terme de ce texte qui fonde le roman psychologique, l'épilogue invite le lecteur à méditer sur l'histoire des amants pour se consoler des peines amoureuses ou, mieux encore, fuir les pièges de l'amour. Les deux Folies de Tristan, récits brefs mettant en scène un retour de Tristan déguisé en fou auprès d'Iseut et peinant à se faire reconnaître de son amante malgré la précision des souvenirs évoqués, ajoutent encore à cette conception pessimiste : l'amour n'est finalement que l'un des masques de la folie. À la même date cependant, le Lai du Chèvrefeuille de Marie de France ouvre une autre voie. L'amour fusionnel, symbolisé par le chèvrefeuille enlacé au coudrier, est ici la source de la création poétique, du lai que compose l'amant pour garder trace de la rencontre et dire l'essence de l'amour tristanien : « Ainsi est de nous : ni vous sans moi, ni moi sans vous. »

   Au XIIIe siècle, l'immense roman du Tristan en prose essaie d'adapter l'histoire de Tristan et Iseut aux normes courtoises établies par son modèle, le Lancelot en prose. Tristan devient un chevalier arthurien, membre de la Table ronde, quêteur du Graal. Il vit un temps avec la reine dans le royaume d'Arthur et devient (comme le suggérait le lai de Marie de France) un grand poète de l'amour. Mais, même aménagé, le scénario tragique résiste : Marc finit par reprendre Iseut et par tuer Tristan, et la reine meurt, étouffée, dans les bras de son amant. Les romans français en vers sont tombés dans l'oubli dès le Moyen Âge. Il a fallu l'édition par J. Bédier en 1905 du Tristan de Thomas et l'énorme succès qu'a eu son Roman de Tristan et Iseut, traduit et restauré (1900) pour que le public moderne fasse retour à la légende médiévale. C'est en fait le Tristan en prose, ses très nombreux manuscrits, souvent richement illustrés, qui ont perpétué durant tout le Moyen Âge et au-delà et dans toute l'Europe l'histoire des amants, dont l'opéra de Wagner, au XIXe siècle, a reforgé le mythe d'amour et de mort.