Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
O

Ocampo (Silvina)

Femme de lettres argentine (Buenos Aires 1903 – id. 1993).

Collaboratrice de Borges et de Bioy Casares, son époux, elle a publié des poèmes au lyrisme métaphysique (Petite Anthologie, 1954) et des récits (Autobiographie d'Irène, 1948 ; la Furie, 1959 ; les Invitées, 1961) marqués par une constante tonalité fantastique. Le quotidien y est ainsi chargé d'inquiétude et paraît traversé de forces lointaines et obscures, d'autant plus secrètes mais d'autant plus pressantes qu'elles touchent les enfants et les objets les plus communs.

O'Casey (Sean)

Auteur dramatique irlandais (Dublin 1883 – Torquay, Devonshire, 1964).

ssu d'une famille protestante des taudis de Dublin, autodidacte (il fera tous les métiers après trois ans d'école), marqué par la grève générale de 1913, il scrute les lignes de force et de faiblesse du patriotisme irlandais. La ténacité des femmes, les vantardises des hommes tiendront une large place dans son œuvre. Si l'internationalisme prolétarien lui paraît la solution, les échecs le ramènent vers l'anticléricalisme et un expressionnisme social teinté de bouffonnerie, celui de l'espoir bafoué. Parmi ses pièces, l'Ombre d'un terroriste (1923) est prise à contresens. Pourtant Junon et le Paon (1924), la Charrue et les Étoiles (1926), L'étoile devient rouge (1940), Roses rouges pour moi (1943) feignent l'espoir malgré tout, justifié par l'horreur de la misère. Dès 1928, Yeats avait rejeté sa pièce antimilitariste la Coupe d'argent. Avec Coquin de coq (1949), le Feu de joie de l'évêque (1955) et, surtout, les Tambours du Père Ned (1958), O'Casey touche au tabou : l'Église bouche toutes les voies. L'archevêque de Dublin menaça de ne pas bénir le festival de Dublin si la pièce était représentée : les acteurs cédèrent ; O'Casey refusa désormais d'être joué en Irlande. Autobiographie (1939-1954), pleine de verve amère, témoigne de la fragilité d'une vitalité sommée de choisir le drapeau de ses futures désillusions.

occidentalistes et slavophiles

Les réformes de Pierre le Grand ont posé le problème de l'inscription européenne de la Russie, qui marque aussi, sur un mode souvent bipolaire, la pensée et la culture russes. Originellement rattaché au problème du servage (en ce sens Tchaadaïev est le père de ce mouvement), l' « occidentalisme » revendique une « européanisation » dans un sens libéral et démocratique. À proprement parler, ce courant progressiste, qui se développe dans les années 1940, conditionne, sous l'influence essentielle de Bielinski, la formation de « l'école naturelle » : comme Gogol, les écrivains, en dénonçant les travers de la société russe, doivent favoriser l'évolution sociale. Herzen, son ami le poète Nikolaï Ogarev (1813-1877), Pavel Annenkov (1813-1887) et Tourguéniev peuvent être considérés comme les représentants les plus caractéristiques de ce courant, auquel on oppose traditionnellement, alors qu'ils se rejoignent en bien des endroits, les slavophiles. En réaction aux précédents, ces derniers mettent l'accent sur l'originalité de l'histoire et de la culture russes. Alexeï Khomiakov (1804-1860), à l'origine de ce mouvement (l'Ancien et le Nouveau, 1839), sera rejoint par des écrivains comme les frères Ivan et Konstantin Aksakov (1823-1886 et 1817-1860), Stepan Chevyriov (1806-1864), les frères Kireïevski, Petr (1808-1856) et surtout Ivan (1806-1856). Tout en réclamant l'abolition du servage et la fin d'un autoritarisme abusif, ils voyaient dans l'européanisation une menace pour la vie spirituelle de la Russie. Opposés comme les occidentalistes à « l'art pour l'art », ils exigent de l'écrivain qu'il soit le chantre des valeurs – patriarcales et orthodoxes – qu'ils défendent.

Océanie

Sans étendre, comme le font certains géographes, l'aire de l'Océanie à l'ensemble des îles comprises entre les Amériques et l'Asie (1/3 de la surface du globe), le triple domaine de la Micronésie, de la Mélanésie et de la Polynésie rassemble environ 10 000 îles de tailles et de nature variées (îles hautes comme Vanuatu, atolls, etc.). Notre connaissance du monde océanien est encore incomplète et varie grandement d'une région à l'autre. Ceci est dû non seulement aux époques respectives de découvertes, mais surtout aux préjugés des découvreurs. En effet, une des raisons fondamentales de la méconnaissance de l'Océanie est historique et européenne.

   Les découvertes s'échelonnent du XVIe à la fin du XIXe s. Ces terres restèrent, jusqu'à une date très récente, à des mois de navigation de l'Europe et d'accès difficile ; les penseurs pouvaient se livrer aux spéculations intellectuelles les plus diverses, sans risquer le démenti des faits. Ainsi, les idéologies projetées sur l'Océanie en masquèrent la réalité et paralysèrent toute démarche objective pour de longues années. On put y placer les « derniers paradis terrestres », aussi bien que les mondes terrifiants où le bipède vacille entre la bête et l'homme. Le mythe du « bon sauvage » et celui de la caricature infernale de l'homme, « l'irrécupérable cannibale », correspondaient alors à des besoins de la pensée européenne, et l'Océanien en devint le support idéal. Selon les préjugés de ceux qui furent les premiers à rendre compte des contacts avec ces populations, l'intérêt ou le dégoût pour les « sauvages » cultures locales s'établirent pour un siècle ou deux. Certes, les rapports des voyageurs font bien état des vols commis par des insulaires polynésiens à leurs dépens, des grands sacrifices humains ou des repas cannibales, mais, en eux, les Européens reconnaissent des hommes (le charme des Polynésiennes, qui fera nommer Tahiti « la Nouvelle Cythère » par Bougainville, n'est pas étranger à cette indulgence). Le mythe est né. Le Polynésien à peau claire, s'installe – à son insu – dans le rôle sympathique, tandis que les Mélanésiens, Noirs insulaires, comme le rappelle leur nom, deviennent les représentants de l'humanité à peine sortie de la bestialité. À la couleur de peau des uns et des autres, à une plastique correspondant à des canons plus ou moins familiers venaient encore s'ajouter les manifestations sociales, reconnaissables pour des Européens ou totalement indéchiffrables.

   En effet, chez les Polynésiens, les premiers arrivants croyaient reconnaître une société ordonnée selon des normes classiques : il y avait des dignitaires aux costumes spectaculaires, des serviteurs ou des esclaves, de belles cérémonies harmonieusement organisées, de superbes navires pontés... Les Mélanésiens, eux, offraient le spectacle de hordes mal dirigées, sans chef distinct, et leurs fêtes firent l'effet d'horribles mascarades. Ainsi se fit un classement, encore sensible aujourd'hui dans la littérature européenne. La description de la nature accompagna, comme un décor adéquat, ces deux faces de l'humanité telles que le mythe les présentait ; tantôt idyllique, tantôt farouche et pleine d'embûches.

   Mais, paradoxalement, ce fut l'intérêt que suscita la Polynésie qui lui fit un tort souvent irréparable, au moins en ce qui concerne sa littérature. Alors que les zones laissées à l'écart purent préserver leur patrimoine, les superbes textes polynésiens furent expurgés, arrangés, traduits et adaptés – et les originaux perdus. Les préromantiques puis les romantiques utilisèrent les thèmes et les images dans la veine que leur inspirait leur culture, sans jamais se soucier de l'authenticité de leurs interprétations. Il y a relativement peu de temps que les efforts sérieux des spécialistes mettent au jour les textes encore préservés ou tentent de retrouver la forme originelle des œuvres avant les manipulations artistiques qu'elles subirent. Ces travaux demandent évidemment, outre la parfaite maîtrise de la langue, une connaissance approfondie de la culture. Les Polynésiens eux-mêmes commencent à y participer.

   Il est donc difficile de donner des littératures océaniennes une idée complète ou exacte. Dans le cas où cette littérature est encore vivante et représentative d'un groupe humain, elle n'est pas bien connue ; dans le cas où elle n'a plus de fonction, soit elle a disparu avant d'être recueillie, soit elle a été distordue par les anciens collecteurs épris d'exotisme, ou privée de son esthétique propre par des traductions « littéraires ».

   Alors que l'extraordinaire diversité de types humains ouvrait aux spéculations scientifiques et parascientifiques des voies d'exploration toutes abandonnées aujourd'hui, la connaissance des langues des insulaires allait conduire à l'établissement de la preuve d'une origine commune. Pressentie dès le XVIIe s., l'unité linguistique va devenir au XIXe le sujet d'études sérieuses. Les vocabulaires rapportés par les navigateurs, puis les traductions bibliques faites par les missionnaires pour convertir les Océaniens allaient permettre aux comparatistes européens de reconnaître, en un premier temps, l'existence d'une unité linguistique entre les langues parlées en Malaisie et en Polynésie (le « malayo-polynésien »), puis, d'étendre cette parenté aux langues parlées en Mélanésie. Actuellement, on définit une vaste famille linguistique qui s'étend de Madagascar (qu'elle englobe) à Taiwan, à l'île de Pâques et couvre toute la zone océanienne : la famille des langues austronésiennes est constituée par un ensemble de plus de 6 000 langues distinctes, et d'un nombre très élevé de dialectes. Selon le degré d'apparentement des langues (et selon le degré de connaissance que l'on en a), celles-ci sont regroupées dans des sous-familles. De même que les rapprochements faits entre les langues parlées en Europe et certaines langues dont ne restent que les témoignages écrits avaient conduit les linguistes à affirmer l'existence d'une langue commune, « l'indo-européen », langue-mère dont les divers dialectes avaient évolué au cours des millénaires dans les langues connues, les comparaisons faites sur les langues océaniennes permettent de postuler un état ancien des langues austronésiennes, le « proto-austronésien », dont l'origine est encore discutée aujourd'hui (Inde, Chine du Sud, Indonésie, pour ne retenir que les hypothèses les plus sérieuses). À cette unité linguistique ancienne correspond évidemment une origine culturelle commune. Les langues se sont diversifiées à partir d'un ancêtre commun, les cultures en ont fait autant. Cependant, les unes comme les autres conservent des traits caractéristiques qui les différencient des autres langues et cultures du monde.