Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

Semenko (Mikhaïlo Vasylovytch)

Poète ukrainien (Kibintsy 1892 – arrêté en 1937).

Étudiant en psychiatrie, il s'intéressa précocément aux recherches formelles et aux motifs urbains du cubo-futurisme : Prélude, Audace, Querofuturisme (1913-1914). Après la Révolution (Camarade Soleil, 1919 ; Poème de révolte, 1920). Il est en Ukraine l'animateur de groupes apparentés au LEF-Aspanfut (1922-1924), Kommunkult (1924), Nouvelle Génération (1927-1931), dont il partage les options extrémistes : rejet de l'art comme tel, du patrimoine, factographie, expérimentations d'esprit constructiviste.

Sémonide de Samos
ou Sémonide d'Amorgos

Poète grec (VIIe s. av. J.-C.).

Créateur de la satire morale et philosophique, il se rendit célèbre par des iambes satiriques, dont il ne subsiste que des fragments, parmi lesquels un de 24 vers sur la condition misérable de l'homme, et un autre, de 118 vers, dit Monologue du misogyne, qui, suivant une tradition hésiodique, rattache une dizaine de types féminins à une généalogie animale mythique (femme-truie, jument, guenon, abeille, etc.)...

Semper (Johannes)

Écrivain estonien (Pahuvere 1892 – Tallinn 1970).

Membre des groupes Siuru (1917-1920) et Tarapita (1920-1922), il épousa les courants qui incarnèrent en Estonie, à différentes époques, la modernité littéraire : néoromantisme (recueil de poèmes, Pierrot, 1917), expressionnisme, psychologie des profondeurs (roman, Jalousie, 1934), réalisme social (roman, Pierre sur pierre, 1939), puis socialiste. Dans son essai l'Esprit français (1934), il compara l'esprit français à l'esprit estonien. Il traduisit de nombreux auteurs francophones (Hugo, Daudet, Zola, Stendhal, Verhaeren).

Semprun (Jorge)

Écrivain espagnol d'expression castillane et française (Madrid 1923).

Né dans une famille engagée politiquement (son grand-père fut ministre d'Alphonse XIII, et son oncle, ministre de la IIe République), il perd sa mère en 1932. Exilé en France dès 1936, il fait ses études à Paris (lycée Henri-IV). En 1942, il milite au parti communiste espagnol. Arrêté par la Gestapo, il est déporté en 1943 à Buchenwald. De retour à Paris, après avoir été traducteur pour l'Unesco, il s'engage dans la résistance contre Franco avec le parti communiste espagnol, sous le pseudonyme de Federico Sanchez. Plusieurs missions le rameneront clandestinement à Madrid, la ville de son enfance. Exclu en 1964 du P.C.E., il se consacre alors à l'écriture (après avoir publié le Grand Voyage, 1963), alternant romans (la Deuxième Mort de Ramón Mercader, 1969 ; Autobiographie de Federico Sánchez, 1978 ; l'Algarabie, 1981 ; la Montagne blanche, 1986) et scenarii (dont celui de Z, 1968, et de l'Aveu, 1969, de Costa-Gavras). De sa rencontre avec Montand, il tire Montand, la vie continue (1983). En 1988, il est nommé ministre de la Culture du gouvernement espagnol (jusqu'en 1991). Il tire de son expérience des camps une œuvre autobiographique (Quel beau dimanche ?, 1980 ; l'Écriture ou la vie, 1994) qui pose la question du témoignage : « Un doute me vient sur la possibilité de raconter (...) ; seul l'artifice d'un récit maîtrisé parviendra à transmettre partiellement la vérité du témoignage (...). Mais peut-on tout entendre, tout imaginer ? » À la suite de Primo Levi, il s'engage dans une réflexion sur les rapports entre l'homme et l'Histoire (Se taire est impossible, avec Elie Wiesel, et Mal et Modernité, 1995) qui participe de cet effort de la mémoire que poursuivent Adieu, vive clarté (1998) et le Mort qu'il me faut (2001).

Sena (Jorge De)

Écrivain portugais (Lisbonne 1919 – Santa Barbara, Californie, 1978).

Sa quête de l'ineffable et sa volonté de penser l'expérience humaine sont véhiculées par une poésie dont la virtuosité côtoie l'expression la plus crue (Persécution, 1942 ; Métamorphoses, 1963 ; Exorcismes, 1972), tandis que son théâtre (l'Indésiré, 1951) et ses contes (Signes de feu, 1979) sont marqués par la dureté et le sarcasme. Il est également l'auteur d'essais : le Règne de la Bêtise I (1961) et II (1978).

Sénac (Jean)

Écrivain algérien d'expression française (Beni Saf 1926 – Alger 1973).

Militant, il choisit, l'indépendance venue, la nationalité algérienne. Poète de la révolution (Matinale de mon peuple, 1961 ; Citoyens de beauté, 1967 ; les Désordres, 1972) et du « corps total », il fut assassiné dans des conditions obscures. Son œuvre a été publiée en grande partie à titre posthume : A-corpoème, 1981 ; Dérisions et Vertiges, 1983 ; Ébauche du père : pour en finir avec l'enfance (roman), 1989 ; le Mythe du sperme-Méditerranée, 1984 ; Pour une Terre possible..., 1999. Il a joué un rôle très important avec son émission radiophonique Poésie sur tous les fronts et l'Anthologie de la nouvelle poésie algérienne (1971) pour l'émergence d'une vigoureuse poésie contestataire algérienne contre la censure de l'époque du président Boumediene.

Sénac de Meilhan (Gabriel)

Écrivain français (Paris 1736 – Vienne 1803).

Il fait une carrière de haut fonctionnaire. Émigré en 1791, il séjourna à Aix-la-Chapelle, en Russie, puis à Vienne, où il mourut. Il publia les Mémoires (apocryphes) d'Anne de Gonzague, princesse Palatine (1786), et combattit les théories économiques de Neker dans ses Considérations sur le luxe et les richesses (1787). Sa réflexion sur la Révolution ne cesse de mûrir depuis Considérations sur l'esprit et les mœurs (1787), Des principes et des causes de la Révolution en France (1790), à Du gouvernement, des mœurs et des conditions en France, avant la Révolution (1795). L'Émigré (1797), roman par lettres à la manière de la Nouvelle Héloïse, prend la couleur sombre de Chateaubriand et de Mme de Staël. Ignoré des milieux de l'émigration dont il dresse un tableau pathétique, il ne fut partiellement réédité que sous la IIIe République.

Senancour (Étienne Pivert de)

Écrivain français (Paris 1770 – Saint-Cloud 1846).

Ce solitaire, qui a fait d'immenses lectures, commença son œuvre littéraire par quelques essais, puis il publia en 1795 un bref récit : Aldomen ou le Bonheur dans l'obscurité, qui sortit à Paris. Retiré à Senlis, il écrivit les Rêveries sur la nature primitive de l'homme (1799-1833), qui parurent dans l'indifférence, tout comme Oberman (1804, préfacé en 1833 par Sainte-Beuve). Confidence d'un jeune homme de 20 ans qui évoque au long d'une centaine de lettres neuf ans de sa vie, le roman offre la méditation d'une âme en proie au « désordre de l'ennui ». S'il rejette la passion, Oberman revendique cette « inquiétude » qui l'anime et appelle de ses vœux des « illusions sans bornes », échos d'une « harmonie perdue » dont il retrouve les signes dispersés dans ses paysages d'élection (forêt de Fontainebleau, mais surtout les Alpes, où il s'est installé). Il en capte l'aura en des pages où, plus que le sublime, il exalte des « beautés plus vagues et plus étendues encore » et dont l'élément spécifique est le son – ainsi le fracas des torrents, dans lequel il perçoit les « accents d'une langue primitive ». Ce roman d'initiation raconte une quête et évoque de brusques illuminations. Les ascensions solitaires qui rendent l'homme à sa « forme altérable mais indestructible » y apparaissent comme une épreuve privilégiée. Si Oberman fut adopté par la génération de 1830, qui en fit l'un de ses bréviaires (2 rééditions, 1833 et 1840 ; Liszt appellera la Vallée d'Oberman une célèbre pièce pour piano), Senancour, au moment de sa parution, subsista grâce à quelques travaux de librairie et à son activité de précepteur. En 1805 parut De l'amour, dans lequel il prenait parti pour le divorce. Son activité fut désormais celle d'un publiciste et d'un vulgarisateur. « Découvert » par Sainte-Beuve, porté par la vague romantique de 1830, il connut soudain le succès – à 60 ans. Les années 1830-1833 virent la réédition de ses œuvres et la publication d'un roman : Isabelle (1833). Ce rêveur hypersensible, doué d'un sentiment exalté de l'existence, mais aussi d'une intelligence lucide et désenchantée, resta déchiré entre la nature et la raison, l'aspiration à la plénitude et l'accablement de l'éternel recommencement, la hantise de l'abîme et le désir d'un refuge. Son rêve d'un monde d'harmonie retrouvée, dont il perçoit la trace dans de fugitives sensations, s'exprime dans une prose ample et nuancée.