Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
M

Marini (Giovanni Ambrogio)

Écrivain italien (Gênes v. 1594 – Venise v. 1650).

Son roman le Calloandre (1640-1641) rebaptisé le Calloandre fidèle dans les éditions de 1652 et 1726, fut l'un des plus grands succès du roman baroque européen.

marinisme

Mouvement poétique italien fondé sur l'imitation de Giambattista Marino (1569-1625). Désignant, avec des connotations purement négatives, notamment au XIXe s., l'ensemble de la poésie italienne du XVIIe s., voire toute écriture baroque, il finit ainsi par devenir synonyme de « seicentismo » et de « concettismo ». Dans une perspective plus critique, le terme a récemment subi une nouvelle extension à travers la tentative de forger une définition sociologique du marinisme, liée au « public » et au « succès » de la carrière de Marino et de sa poétique de la « merveille ». L'art de Marino, en effet, a marqué aussi bien l'écriture de ses admirateurs les plus proches, comme Girolamo Preti ou Claudio Achillini, que celle du plus farouche de ses adversaires, Tommaso Stigliani. Si l'on excepte Tommaso Campanella, que son génie visionnaire place au-dessus des genres, et le courant pétrarquisant, qu'illustre notamment Gabriello Chiabrera, toute la production poétique italienne de l'époque baroque peut être ainsi qualifiée de mariniste. Au-delà de leurs différences propres et de la variété de leurs conditions, il est également possible de réunir ces poètes, moins par ce qu'ils doivent à Marino que par ce qui les en distingue : une originalité thématique, un goût exacerbé du bizarre dans ses manifestations les plus quotidiennes, la passion de l'actualité (machines, architectures et catastrophes naturelles) et d'infinies variations sur le thème de la beauté paradoxale (« la belle édentée », « la belle boiteuse » et autres « belles pouilleuses »).

Marinkovic (Ranko)

Écrivain croate (Komiža, île de Vis, 1913 – Zagreb 2001).

Conteur (Prose, 1948 ; les Mains, 1953), dramaturge (Gloria, 1955) ou romancier (le Cyclope, 1966), il met au service de ses analyses une ironie toute méditerranéenne.

Marino (Giambattista) , connu en France sous le nom de Chevalier Marin

Écrivain italien (Naples 1569 – id. 1625).

C'est à Paris, sous la protection de Catherine de Médicis, qu'il publia ses principales œuvres : le troisième recueil poétique de la Lyre (1616), les Discours Sacrés (1618), sermons laïques « sur la peinture, la musique et le ciel » destinés à la lecture, la Galerie (1620), somptueux musée mi-imaginaire mi-privé, les idylles de la Musette (1620) et un poème en 20 chants, Adonis (1623), son chef-d'œuvre. « La fin du poète, écrit Marino, est la merveille », autrement dit son but est d'émerveiller. Le précepte est sans doute moins poétique que stratégique, bref, rhétorique. Se situant idéalement à l'apogée de la poésie occidentale, Marino se propose plutôt de convaincre son public qu'il est le plus grand poète de tous les temps. Ainsi, il se vante d'avoir écrit, avec Adonis, un poème plus long que le Roland furieux et la Jérusalem délivrée réunis. À travers une structure complexe, le poème évoque les artifices par lesquels Vénus tente de séduire le nonchalant Adonis. À peine celui-ci se laisse-t-il aimer, que, victime de la vengeance de Mars, il est éventré par un sanglier. Vénus distrait sa douleur par la mise en scène de somptueuses funérailles et métamorphose en fleur (l'anémone) le cœur de son amant. Chef-d'œuvre de sensualité et de virtuosité lyriques, le poème atteste également le sensualisme philosophique de Marino et son adhésion à la révolution copernicienne. L'érotisme d'Adonis, essentiellement culturel au demeurant, occupe les huit premiers chants, mobilisant un savoir encyclopédique. La stratégie amoureuse de Vénus culmine ainsi dans un spectacle, où l'harmonie des sphères célestes est évoquée à travers le faste de la plus ingénieuse scénographie baroque. Vénus une fois parvenue à ses fins, le poème s'égare pendant plusieurs chants dans un labyrinthe d'aventures proprement romanesques, où l'horrible, voire le répugnant, côtoie le merveilleux. Le décor retrouvera son luxe et sa fixité à l'occasion du concours de beauté, destiné à élire le roi de Chypre, qui voit triompher Adonis. Les vers consacrés à l'agonie d'Adonis sont parmi les plus sensuels de tout le poème. Leur musicalité atteste la profonde influence du Tasse sur Marino, qui a multiplié les pastiches et les citations les plus disparates. Par la multiplicité de ses thèmes et de ses styles, Adonis (dont la bigarrure et le mélange audacieux des allusions profanes et sacrées provoquèrent une violente querelle littéraire) a influencé à son tour toute la poésie baroque italienne (identifiée au marinisme) et, par le biais de sa publication à Paris, la poésie précieuse.

Marivaux (Pierre Carlet de Chamblain de)

Écrivain français (Paris 1688 – id. 1763).

L'homme Marivaux reste dans l'ombre ; on ne le découvre que derrière l'auteur. Il était fils d'un directeur de la Monnaie de Riom et fit, jusqu'en 1713, des études de droit à Paris. Il fut ruiné par la banqueroute de Law et se maria en 1717. De 1713 à 1716, il publie successivement les Aventures de... ou les Effets surprenants de la sympathie, la Voiture embourbée et l'Illiade travestie. Il écrit encore le Télémaque travesti, qui ne sera édité qu'en 1736. Dès 1717, il collabore au Mercure. Ses débuts comme auteur dramatique datent de 1720 avec, la même année, l'Amour et la Vérité et Arlequin poli par l'amour aux Italiens, Annibal, une tragédie au Théâtre-Français. En 1721, il commence à publier un périodique, le Spectateur français (1721-1724) et poursuit sa carrière dramatique avec un succès assez régulier : la Surprise de l'amour (1722), la Double Inconstance (1723), le Prince travesti (1724), la Fausse Suivante (1724), la Seconde Surprise de l'amour (1727). Marivaux fréquente les salons, surtout celui de Mme de Tencin. En 1725, le Théâtre-Italien crée sa première pièce « sociale », l'Île des esclaves, qui sera suivie de l'Île de la raison (1727), la Nouvelle Colonie (1729) et la Dispute (1744). Les œuvres publiées ou représentées à partir de 1730 témoignent toutes (à travers même certains échecs) du génie et de la maturité de leur auteur : le Jeu de l'amour et du hasard (1730), les Serments indiscrets (1732), la Mère confidente (1735), les Fausses Confidences (1737), le Legs (1736), l'Épreuve (1740) ; les deux grands romans la Vie de Marianne (1731-1741) et le Paysan parvenu (1734), datent de cette décennie féconde. Portées par ces succès sont éditées deux œuvres de jeunesse (Télémaque travesti, 1736, Pharsamon ou les Nouvelles Folies romanesques, 1737). Marivaux est élu à l'Académie en 1742. Mais le succès n'est pas la fortune, il meurt pauvre en 1763. Son succès ne fut jamais indiscuté ; dès le XVIIIe s. on lui reprocha le réalisme de ses romans et la préciosité de langage. Le terme de marivaudage a résumé cette critique : forgé par les contemporains de Marivaux, il signifiait préciosité, afféterie et désignait notamment les dissertations des personnages à propos de leurs sentiments. C'est encore pour Sainte-Beuve un « badinage à froid », une « espièglerie compassée et prolongée » et une sorte de « pédantisme sémillant et joli ». À la fin du XIXe s., avec la réévaluation de l'œuvre de Marivaux, le marivaudage devient synonyme d'une élégance et d'un raffinement dans la conversation et dans l'amour, perdus à tout jamais par une société bourgeoise. L'usage du mot correspond en fait à une nostalgie d'un monde que l'on croit superficiel et gai, et perpétue une réelle méconnaissance de l'œuvre de Marivaux.

   L'œuvre de Marivaux s'élabore dans l'espace de liberté ouvert par les Modernes. Il destine ses pièces bien plus qu'au Théâtre-Français aux comédiens italiens, en train de rompre avec les types convenus de la commedia dell'arte et regroupés autour d'interprètes exceptionnels comme Thomassin (le nouvel Arlequin), les Riccoboni et Silvia. Quant au roman, nulle contrainte académique ne pesait alors sur lui et l'auteur de la Vie de Marianne put parcourir plusieurs voies différentes, du burlesque et du picaresque à la façon des romans bourgeois du XVIIe s. (Pharsamon) au réalisme des grandes œuvres, en passant par l'observation des mœurs et des caractères, comme en témoignent les grands romans et les périodiques. En empruntant au Spectator de Steele et d'Addison (1711-1712) pour ses journaux, Marivaux donne à la littérature morale le rythme et la légèreté d'une feuille périodique qui montre le regard d'un sujet singulier sur les mœurs et les cœurs.

   L'amour vient aux personnages de Marivaux avec la même rapidité qu'à ceux de Racine. Ils sont saisis dans l'instant, surpris par un regard qui devient – après coup – le premier. Églé et Azor (la Dispute), Marianne et Valville (la Vie de Marianne), Dorante et Silvia (le Jeu de l'amour et du hasard) sont bouleversés dès leur première rencontre par la « surprise de l'amour ». Mais rien n'est plus difficile aux amoureux que de saisir ou de retenir la vérité de ce trouble de leur nature sensible. L'instant se perd, se cache dans les forêts du langage ; l'amour est victime des pièges et des leurres ; le cœur ne se satisfait pas de la présence même de l'autre. Pour conduire l'autre à l'aveu délicieux, tous les mensonges sont bons, aucune cruauté n'est de trop. Intrigues subtiles et cruels stratagèmes dictent les étapes de cette guerre amoureuse. La reconnaissance amoureuse ne vient se fonder sur la sensibilité naturelle des individus qu'au prix d'un autre déni, celui de son fondement social.

La Surprise de l'amour, comédie représentée au Théâtre-Italien en 1722. Elle fut suivie de la Seconde Surprise de l'amour, jouée au Théâtre-Français en 1727. Les deux pièces présentent une intrigue assez analogue. Une marquise veuve et un chevalier délaissé, tous deux inconsolables, sont amenés à une amitié que la jalousie transforme en amour déclaré. Dans la seconde Surprise, Marivaux a placé des personnages d'un comique savoureux comme Hortensius, homme de lettres et parasite, un « neveu de Rameau » pédant.

La Double Inconstance, comédie en 3 actes (1723). Silvia et son amant Arlequin sont enlevés sur l'ordre du Prince qui va essayer de les séparer avec sa complice Flaminia. Le premier amour de ces rustiques protagonistes résiste fort bien à la violence sourde du Prince, à l'attrait de l'argent et du pouvoir, mais se détruit dans le second dispositif du piège : celui de la séduction. Arlequin et Flaminia, Silvia et le Prince sont libres à défaut d'être égaux, libres de s'aimer, d'inventer à cet amour second une antériorité (le Prince s'était déjà fait reconnaître par Silvia, Flaminia prétend retrouver chez Arlequin le visage d'un premier amour disparu).

Le Jeu de l'amour et du hasard, comédie en 3 actes et en prose (1730). Silvia et Dorante sont à la recherche de l'amour authentique, celui qui permet aux êtres de se « reconnaître » par-delà toute convention sociale : ils prennent tous deux le costume et la condition de leurs valets et se rencontrent pourtant. La pièce inscrit le désir dans un espace « naturel » qui pourtant s'avoue comme fiction idéologique. Silvia ne « voit clair dans son cœur » que lorsque enfin elle est sûre de l'identité de son amant ; il ne peut y avoir de reconnaissance en dehors de l'espace social pour des êtres de langage, il n'y a pas de désir qui ne passe par la parole.

Le Paysan parvenu ou les Mémoires de M..., roman inachevé (1735-1736). Le récit retrace la carrière parisienne, sociale et amoureuse de Jacob, un jeune paysan champenois. Ce roman-Mémoires dépeint la vie parisienne au début du règne de Louis XV : nobles de province, grandes dames et magistrats y côtoient chirurgiens, entremetteuses et domestiques. L'énonciation à la première personne permet à l'auteur de se dissimuler derrière le personnage et de se passer de jugement moral à la faveur de la sincérité de Jacob. Ce « gros brunet », devenu M. de La Vallée, ne se trompe pas plus dans ses calculs que dans ses amours : c'est avec un enthousiasme gourmand qu'il épouse sa riche et fraîche quinquagénaire. Ce paradoxe de la sincérité met définitivement hors d'atteinte toute vérité qui ne soit littéraire.

Les Fausses Confidences, comédie en 3 actes en prose (1737). Un jeune homme sans fortune, Dorante, s'éprend d'Araminte, riche veuve d'un financier ; grâce aux manœuvres de son valet Dubois, il réussit à l'épouser, triomphant d'un rival noble. Marivaux campe ses personnages en dessinant minutieusement leurs contours sociaux (le procureur, la mère ambitieuse et fascinée par la noblesse). Les mensonges et les « fausses confidences », calculés par l'omniprésent Dubois, mettent au jour la vérité : le libre jeu du sentiment. Mais, et cela tient au pouvoir dénégateur de l'idéologie, le triomphe de l'amour fait oublier celui de l'intérêt ; Dorante est plus ambigu que le Jacob du Paysan parvenu : dimension non négligeable dans l'évolution de la comédie vers un théâtre plus sérieux et plus sentimental.

La Vie de Marianne ou les Aventures de Madame la Comtesse de..., roman inachevé (1731-1741). Marianne, héroïne et narratrice de ces Mémoires fictifs, est de naissance inconnue mais probablement noble. Orpheline et pauvre, elle a besoin de tout son courage et de toute son intelligence pour vivre honnêtement dans la société parisienne. Fiancée au fils de sa protectrice et amie, un jeune aristocrate, elle en est abandonnée. Étrangère et sans aucune place « naturelle » dans la société d'ordres du XVIIIe s., elle regarde la noblesse, les gens de pouvoir ou les petites gens avec une lucidité et un pessimisme croissants. Ce regard sans concession, mais non sans indulgence, rejoint celui de l'auteur qui sait allier la veine réaliste et picaresque à la tradition du roman galant et, jouant sur la diversité des voix, des points de vue et des récits, fait de la Vie de Marianne, un « art de la variation » admirable.

La Dispute, comédie en un acte et en prose (1744). Trois enfants de chaque sexe ont été élevés séparément, sans autre contact avec le monde extérieur qu'avec leurs parents nourriciers ; leurs premières rencontres détermineront quel sexe fut à l'origine de l'infidélité. La scène, mise en abyme dans le regard du Prince, organisateur de l'expérience et dramaturge, s'avoue comme espace de l'utopie, espace illusoire de l'origine.