Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Gaspar (Lorand)

Poète français (Tirgu-Mures, Roumanie, 1925).

Traducteur de l'allemand (Rilke), de l'anglais et du hongrois (Pilinzki), il choisit pourtant le français comme langue d'expression. Ce nomadisme se poursuit avec le découverte du Proche-Orient, « le Grand Midi », où Gaspar, médecin des hôpitaux, rencontre le désert (le Quatrième État de la matière, 1966 ; Sol absolu, 1972), coup de foudre et point de départ d'une réflexion métaphysique sur les pierres, la géologie, la matière et sa vie, l'aube (Carnets de Jérusalem, 1997). La Méditerranée, chargée de toute sa mémoire, de ses voix (Cavafy, Seféris), est un autre lieu central, décisif pour la méditation. En 1978, Approche de la parole questionne le rapport intime de « communion profonde » qui lie, sous l'égide de Spinoza, le corps de l'homme au monde. C'est sous le signe de l'unité (celle aussi du poète et du chirurgien) du passage, que cette parole ouverte, humaniste, se déploie. Le monde est immanence et présence : il n'autorise pas la nostalgie, mais nous réclame. Des proses (Approche de la parole, 1978 ; Feuilles d'observation, 1986), des photographies complètent une démarche authentiquement personnelle.

Gass (William Howard)

Écrivain américain (Fargo, Dakota du Nord, 1924).

Ses romans (la Chance d'Omensetter, 1966 ; la Femme solitaire de Willie Master, 1968), ses récits (Au cœur du cœur de ce pays, 1968), ses essais (Fictions et les figures de la fiction, 1970 ; Vague à l'âme, 1976 ; Où le mot séjourne, 1985) reprennent de manière parodique les grands thèmes américains, renvoient à la vie quotidienne du Middle West et présentent une problématique de l'écriture, inséparable d'une symbolique philosophique et psychanalytique.

Gassendi (Pierre Gassend, dit)

Astronome, physicien, philosophe et écrivain français (Champtercier, près de Digne, 1592 – Paris 1655).

Protégé dès sa jeunesse par Peiresc, Gassendi, chanoine de Digne, y enseigne la philosophie ainsi qu'à Aix. En 1645, à Paris, il fréquente le cercle des frères Dupuy et obtient la chaire de mathématiques du Collège royal (1645-1648). Condamnant l'aristotélisme abâtardi de l'Université (Exercitationes paradoxicae adversus Aristoteleos, 1624), il s'élève également contre l'idéalisme provisoire de Descartes (Disquisitio metaphysica, 1644) et, reprenant la théorie atomiste de l'Antiquité, il lui oppose une sorte d'épicurisme chrétien et de sensualisme atomiste (Philosophiae Epicuri syntagma, 1649). Il fréquente le groupe libertin de la Tétrade (Diodati, La Mothe Le Vayer, Naudé) et les salons de son temps. La Fontaine, Saint-Évremond lui emprunteront certains aspects de son épicurisme, mais on peut dire, plus largement, que cette somme latine d'érudition philosophique influença de manière décisive et diverse la littérature du XVIIe siècle, au point qu'on parle désormais, comme le montrent les études les plus récentes, d'un gassendisme épicurien. Cet héritage exerça un rôle nodal, même s'il fut diffus et complexe, dans l'histoire des idées et de l'esthétique du XVIIe et du XVIIIe siècle.

Gatti (Armand)

Auteur dramatique et cinéaste français (Monaco 1924).

Ancien résistant et reporter, révolutionnaire au théâtre comme en politique, il est un dramaturge de la « parole errante », lyrique et baroque. Son théâtre joue à la fois du mythe et de la critique de l'histoire présente (V comme Viêt-nam, 1967 ; Chant public devant deux chaises électriques, 1968 ; la Passion du général Franco 1968) dans une esthétique du montage, du jeu des temps et des frontières entre réel et imaginaire. Depuis 1968, il mène des créations collectives avec diverses communautés d'émigrés ou de délinquants (Rosa collective, 1968 ; la Tribu des Carcana, 1974 ; le Lion, la Cage et ses ailes, 1978). En 1989, il donne les Combats du jour et de la nuit à la maison d'arrêt de Fleury-Mérogis, autour du thème de la Révolution française. Dernier titre : la Parole errante (1999).

Gatto (Alfonso)

Poète italien (Salerne 1909 – Orbetello 1976).

Subissant d'abord l'influence des surréalistes et des hermétiques italiens (Île, 1932 ; Mort dans les villages, 1937), sa poésie se développe ensuite autour de thèmes sociaux (le Patron à la neige, 1949 ; la Force des yeux, 1954 ; l'Histoire des victimes, 1966 ; Poésies d'amour, 1973).

gauchesque (littérature)

Cette littérature qui est l'expression littéraire par excellence de l'Argentine du XIXe et du début du XXe siècle a pour cadre et pour thème les plaines de La Plata et leurs gauchos. Son but est d'exalter le gaucho, ses vertus et son indépendance, et de peindre ses mœurs, en utilisant sa propre langue. Ce personnage, d'ailleurs au centre, dès 1773, du Lazarillo voyageant aux quatre vents de Concolorcorvo, est un modèle d'adaptation au milieu naturel et fait partie d'une véritable ethnie, dont l'âge d'or correspond à la période pastorale de l'Argentine et s'achève avec l'avènement de la grande agriculture. Il s'agit à l'origine d'une poésie en octosyllabes, à forme traditionnelle, pour laquelle on peut distinguer deux étapes : une production spontanée et orale, le plus souvent accompagnée de musique ; le passage à la forme écrite, où le lyrisme demeure, mais à travers un contenu épique. La seconde étape (1820-1875) est dominée par les figures de Bartolomé Hidalgo, de Hilario Ascásubi, d'Estanislao del Campo, célèbre pour son Fausto créole, de Rafael Obligado et, surtout, de José Hernández, créateur du Martín Fierro (1872), véritable poème national de l'Argentine. Le roman gauchesque trouve un précédent dans le Facundo de Sarmiento. Ses successeurs proposent une idéalisation du personnage : E. Gutiérrez (Juan Moreira, 1879-1880), B. Lynch, A. Gerchunoff et, surtout, R. Güiraldes, grâce à qui le roman gauchesque aura son chef-d'œuvre, Don Segundo Sombra (1926).

Gaulle (Charles de)

Général, homme politique et écrivain français (Lille 1890 – Colombey-les-Deux-Églises 1970).

« Une certaine idée de la France » est une certaine idée du style. L'homme de la « nature », de la « force » des choses, a usé de mots. Dans les registres les plus variés, d'une pièce en vers de jeunesse (Une mauvaise rencontre, 1906) aux essais tactiques – qui analysent les qualités du chef et du soldat (Vers l'armée de métier, 1934) ou les rapports du politique et du militaire (le Fil de l'épée, 1932 ; la France et son armée, 1938) –, aux Discours et Messages (1940-1969) et aux Mémoires de guerre de l'Appel (1954) à l'Espoir (1970). Commentateur de l'action des autres, de Gaulle est, à l'égard de la sienne, à la fois homme de discours (pour hisser au niveau de l'Histoire les Français) et homme d'écriture (en mémorialiste, il éclaire le dossier sur lequel l'Histoire le jugera). À la fois « signifiant et signifié de l'Histoire », il a une éloquence à deux voix (J. Lacouture) : la « basse » de l'homme de guerre, la « voix de tête » du politique. L'éloquence donne à l'œuvre sa tonalité de littérature « parlée » (même si les discours sont écrits et appris « par cœur » et si l'orateur toujours assis donne pour l'histoire moderne la version télévisée du buste antique). On a creusé la thématique du général, repéré ses mots clés, le système d'équivalence de Gaulle/France ; on a cherché ses sources historiques et littéraires (Barrès, Maurras, Péguy, Claudel, Nietzsche) ; on a vu dans son style un mélange de Tacite et de Céline, sensible dans son élocution noble avec des étranglements faubouriens. Lui-même discret dans ses citations (Chateaubriand, Hugo, Verlaine), il a fait de Malraux son ministre, a salué Mauriac, Samain. Malraux l'a dit « souvent littéraire dans l'ironie ». Il n'est ni Saint-Simon ni Guizot : à travers des points de mire (César dans la Guerre des Gaules, Clausewitz), il parle non d'une vie mais d'un destin. Le temps des mémorialistes s'incarne dans l'« espace » de la France, sa véritable appartenance. Marginal par rapport à l'idéologie de l'armée et de sa classe, de Gaulle s'est enraciné dans une France « du fond des âges » qui ne serait pas encombrée des Français divisés et versatiles (mais s'ils ne l'étaient, à quoi bon des héros ?). Il pense son action sous l'aspect de l'histoire et non, comme Chateaubriand, sous celui de l'éternité, qui est aussi celui de l'art. Les bilans de l'histoire de la littérature viennent pour de Gaulle de politiques ratés (Tacite, Retz, Chateaubriand) ou de ceux (saint Augustin, Bossuet) qui placent ses « vanités » à la lumière du Jugement Dernier. À lire de Gaulle, on lit plutôt un journal de marche, un livre de bord que des Mémoires. Il situe le moi dans l'histoire à travers les histoires du moi (Lettres, notes et carnets publiés en 1980) et l'imbrication des temps (Chateaubriand et les Mémoires d'outre-tombe). D'où le déséquilibre sensible dans le style néoclassique, à qui il manque le tremblement des doutes humains et de l'arbitraire du destin. Limpide, son éloquence pratique l'économie classique, le néologisme (« quarteron », « Volapük »), la formule (« je vous ai compris »).