Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
P

Perse, en lat. Aulus Persius Flaccus

Poète latin (Volterra 34 – Rome 62).

Appartenant à une famille équestre d'origine étrusque, il reçut l'enseignement du philosophe stoïcien Annaeus Cornutus et fut l'ami de Paetus Thrasea (l'un des chefs de l'opposition à l'empire) et de Lucain. De sa brève carrière littéraire interrompue par une mort prématurée, il ne reste que six Satires, composées entre 52 et 62 apr. J.-C. et publiées après la mort du poète. La première traite des ridicules des gens de lettres, les cinq suivantes abordent des questions philosophiques : définition de la véritable piété, critique de la paresse, de la présomption des nobles, de l'avarice, hommage à l'enseignement du stoïcien Cornutus. Inspirées des diatribes cyniques et annonçant l'œuvre de Juvénal, elles jouirent, malgré leur style abrupt et leur hermétisme, d'une grande faveur auprès du public romain.

Perutz (Leo)

Écrivain autrichien (Prague 1884 – Bad Ischl 1957).

Maître du fantastique moderne, dans ses romans d'énigme, il met en scène une fatalité qui se vérifie à mesure même que les héros prétendent la déjouer, avec un obscur sentiment de culpabilité (la Troisième Balle, 1916 ; le Tour du cadran, 1918 ; le Marquis de Bolibar, 1920 ; le Maître du Jugement dernier, 1923 ; le Cavalier suédois, 1934). Son dernier roman, la Nuit sous le pont de pierre. Un roman du vieux Prague, 1953, témoigne de son enracinement dans la tradition pragoise et habsbourgeoise.

Peshitta

Nom donné à partir du xe s. à la version syriaque de la Bible. L'Ancien Testament se constitua par étapes, dès le IIe s. : les livres les plus anciennement établis furent le Pentateuque, les Prophètes et les Psaumes, et les derniers, les Chroniques, Esdras-Néhémie et Esther. La traduction se fit à partir de l'hébreu, sous l'influence, pense-t-on, des targums araméens, et révisée selon les Septante. Pour le Nouveau Testament, bien qu'il existât une ancienne version de la Peshitta, celle-ci ne devint officielle qu'après la réforme de Rabboula, au Ve s. Les épîtres de Pierre et de Jean et l'Apocalypse n'entrèrent dans le canon qu'au VIe ou VIIe s.

Pessanha (Camilo)

Poète portugais (Coïmbre 1867 – Macao 1926).

Introducteur du symbolisme au Portugal, il vécut longtemps à Macao et laissa de nombreuses études et traductions sur la littérature et la civilisation chinoises (Chine, 1944). La musicalité et la suggestivité de ses vers font penser à Verlaine. Dans son art rigoureux, les grands sentiments cèdent le pas à une sorte de désistement, d'acceptation lucide. Ainsi, le choix des mots, où s'associent le rythme fluide et l'image fugace, exprime la décomposition de sentiments qui s'écoulent comme le temps sous l'œil contemplatif du poète. Clepsydre (1920) réunit ses poèmes, qui ont exercé une profonde influence sur la génération d'Orpheu, particulièrement sur Fernando Pessoa.

Pessoa (Fernando António Nogueira)

Poète portugais (Lisbonne 1888 – id. 1935).

Si sa figure domine de très haut la poésie portugaise moderne, il passa toute sa vie sous le masque, ne publiant sous son nom qu'un mince recueil (Mensagem, 1934) et se dissimulant sous 43 pseudonymes, dont les principaux (ses « hétéronymes ») sont Alberto Caeiro, Álvaro de Campos et Ricardo Reis, qui personnalisent différentes formes de sentir et auxquels il attribua une biographie, un portrait physique et un style différents, chacun correspondant à un cycle d'attitudes quasiment expérimentales. Ayant vécu en Afrique du Sud (son père mourut en 1893 et il partit pour Durban en 1896 avec sa mère remariée ; il ne reviendra à Lisbonne, après un bref séjour en 1901-1902, qu'en 1905), il fréquenta l'université du Cap ; il y acquit une parfaite connaissance de la langue anglaise. La lecture des philosophes allemands, surtout Schopenhauer et Nietzsche, et des symbolistes français laissera aussi des traces dans son œuvre. Il n'a pas 16 ans lorsqu'il compose Marino, œuvre dramatique en anglais, d'inspiration shakespearienne. À Lisbonne, il mènera une existence obscure, travaillant comme correspondant commercial pour plusieurs sociétés. La plus grande partie de son œuvre reste inédite à sa mort : on évalue à 40 000 feuillets l'ensemble des manuscrits non publiés. C'est la revue A Águia qui le révèle avec une série d'articles sur la nouvelle poésie portugaise (1912), où il adhère au saudosismo « nostalgisme ») : son amour pour la patrie le conduit à chercher une « autre » patrie, une patrie mythique qui a déjà existé avec les découvertes maritimes mais sur laquelle un destin maléfique s'est abattu. Telle une princesse endormie, cette patrie attend le sauveur qui la réveillera. Pessoa s'éloignera par la suite de ce courant pour introduire le modernisme au Portugal, avec Mário de Sá Carneiro, Almada Negreiros et d'autres. Dans la revue A Renascença, il publiera Pausis (1914), qui donnera origine au paulismo, première étape du « sensationnisme » (sensationnisme à une dimension). La deuxième étape sera l' « intersectionnisme » (sensationnisme à deux dimensions) ; l'influence du symbolisme français est dépassée et Pessoa se proposa d'exprimer l'intersection de deux plans : celui des « sensations apparemment venues de l'extérieur » avec celui des « sensations apparemment venues de l'intérieur ». L'effet de superposition recherché et la désarticulation même de l'évidence de la perception sont illustrés dans les poèmes de Pluie oblique. La revue Orpheu, surgie à Lisbonne en 1915 et dont Fernando Pessoa est l'un des directeurs, décide de rompre avec les formes d'expression du passé et se montre anticonformiste jusqu'au scandale. En 1917, la revue Portugal Futurista publie des poèmes de Fernando Pessoa et l'Ultimatum, manifeste futuriste d'Álvaro de Campos. C'est en 1918 qu'apparaissent Antinous (en anglais) et Trente-Cinq Sonnets, marqués d'inquiétude métaphysique. 1921 est l'année des English Poems, I, II, III. Après la mort de Pessoa paraîtront ses Obras Completas (I. Poesias de Fernando Pessoa, 1942 ; II. Poesias de Álvaro de Campos, 1944 ; III. Poemas de Alberto Caeiro, 1946 ; IV. Odes de Ricardo Reis, 1946 ; V. Mensagem, 1945 ; VI. Poemas Dramáticos, 1952 ; VII et VIII. Poesias Inéditas, 1955-1956 ; le Livre de l'intranquillité, de Bernardo Soarès, 1982). Ses articles et ses essais furent réunis dans Páginas de Doutrina Estética (1946). Fernando Pessoa qualifiait d'hétéronymes ses voix poétiques majeures que sont Alberto Caeiro, Álvaro de Campos et Ricardo Reis, définissant ses rapports avec eux comme un drame à plusieurs personnages à l'intérieur d'une unique personne, un drama em gente. Fernando Pessoa lui-même se distingue de ses hétéronymes en ce qu'il pense ses émotions avec une lucidité implacable, élabore la matière poétique jusqu'à une transparence cristalline. Il représente une méditation introvertie, saisissant le moi aux prises avec la conscience. Sa poésie est traversée par la dialectique du conscient et de l'inconscient, de la sincérité et de la feinte. C'est la diversité de son œuvre qui en fait la grandeur, et sa dispersion même témoigne de la crise de son temps : ce que résument Fictions de l'interlude, ensemble de monologues poétiques signés par les trois principaux hétéronymes et qui mettent l'accent sur la nature dramatique des rapports qu'ils entretiennent entre eux.

Alberto Caeiro

C'est l'un des trois principaux personnages dans lesquels Fernando Pessoa s'est dédoublé. D'après les précisions de Pessoa lui-même, il ne s'agit pas d'un pseudonyme mais d'un « hétéronyme », une création véritable tout à fait indépendante de son auteur, douée de sentiments particuliers et même d'un style propre. Il a été considéré comme un maître non seulement par Pessoa, mais aussi par les deux autres hétéronymes majeurs : Ricardo Reis et Álvaro de Campos. Il énonce dans ses poèmes des préceptes qui permettent de vivre sans angoisse, comme une plante, et de mourir sans panique, naturellement, comme le jour se meurt. Caeiro apparaît, en effet, comme une sorte de « grande mère » (Álvaro de Campos l'appelle dans un de ses poèmes : « présence humaine de la terre maternelle »), le giron où Pessoa et ses « autres » se cachent pour échapper à la mort en apprenant, par un certain mimétisme avec les bêtes et les plantes, à entrer pour toujours dans le cycle de la sève. Caeiro est tout le contraire de Pessoa, qui l'a justement créé pour qu'il lui apprenne à prendre le réel tel qu'il est, une présence qui finit en elle-même et ne renvoie à aucune absence. C'est pourquoi il privilégie le sens de la vue (il veut apprendre à ses disciples « la sagesse de voir » au détriment de la pensée). En écrivant sa biographie, Pessoa l'a conçue comme celle d'un autodidacte vivant à la campagne, une sorte de « guérisseur » avec lequel il voulait apprendre « la santé d'exister des arbres et des plantes ». Les poèmes-monologues de Caeiro ont été réunis après la mort de Pessoa dans un seul volume intitulé simplement Poèmes.