Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

Hebbel (Friedrich)

Auteur dramatique allemand (Wesselburen, Holstein, 1813 – Vienne 1863).

Le Théâtre royal de Berlin donne en 1840 sa première tragédie, Judith. Une bourse du roi Christian VIII de Danemark lui permet de séjourner entre 1843 et 1845 à Paris, à Rome et à Naples. Il se fixe en 1846 à Vienne, où le Burgtheater représente en 1848 Marie-Madeleine, puis en 1849 sa tragédie Hérode et Mariamne. Ses pièces divisent la critique sans conquérir le public. De ses tragédies historiques et mythiques seule la trilogie des Nibelungen (1861) obtient un net succès. Son Journal (1885-1886), ses essais théoriques, ses critiques et ses lettres éclairent la conception et la signification d'une œuvre ambitieuse, recherchant la vérité des caractères et du langage. Il met en scène dans toute leur crudité des situations d'une tension dramatique extrême, mais il veut aussi révéler par le biais de la tragédie des vérités philosophiques réunissant certaines idées de C. H. Schubert, de Hegel, de Feuerbach et de Schopenhauer.

Hebel (Johann Peter)

Écrivain allemand (Bâle 1760 – Schwetzingen 1826).

Professeur et homme d'Église, Hebel laisse une œuvre mince, en particulier des poèmes en dialecte (Poèmes alémaniques, 1803) et de courts récits en prose : parus d'abord dans un almanach populaire, ceux-ci ont été réunis en 1811 sous le titre le Coffret aux trésors. Dans une langue dont la simplicité apparente cache une grande recherche, Hebel y conte avec humour des anecdotes et propage une morale pratique imprégnée du protestantisme éclairé de la fin du XVIIIe s. Ce maître de la « petite forme » a été très apprécié par Goethe, Brecht et surtout Kafka.

Hébert (Anne)

Poétesse et romancière québécoise (Sainte-Catherine-de-Fossambault 1916 – Montréal 2000).

Fille du critique Maurice Hébert et cousine de Saint-Denys Garneau, la jeune fille exprime l'angoisse de la solitude dans des poèmes (les Songes en équilibre, 1942) et des nouvelles (le Torrent, 1950), avant de célébrer sa réconciliation avec le monde et la vie (Mystère de la parole, 1960). Le Tombeau des rois (1953) est son recueil essentiel, initiatique. Descendre aux enfers, c'est nommer « ce qui habite la caverne de l'âme ». Dans des formes maigres, rigoureuses, à la Giacometti, l'amour et la mort sont gravés dans la pierre pour que refleurissent les « mains plantées au jardin ». La violence de la nouvelle éponyme du Torrent – « J'étais un enfant dépossédé du monde... » – se retrouve dans Kamouraska (1970), son roman le plus romanesque, réalisé au cinéma par Claude Jutra. Vers 1880, dans une société où se mêlent les traditions de la paysannerie française et les coutumes anglaises, une femme mûre revit la mort de son premier mari à travers l'agonie du second. Un point de départ historique (fait divers de 1839) provoque une plongée dans l'imaginaire et une remontée vers un temps quasi mythique. Un mouvement analogue de retour sur soi, dans la ville du passé, est dessiné par l'actrice vieillissante du Premier Jardin (1980). Les Enfants du sabbat (1975) et Héloïse (1980) sont d'une veine fantastique, souterraine. Les Fous de Bassan (1982), porté au cinéma par le jeune Yves Simoneau, s'inspire d'un mystère policier dans le rude paysage gaspésien. Les derniers récits, à partir de l'Enfant chargé de songes (1992) – qui doit moins à Mauriac qu'à Saint-Denys Garneau –, sont sobres, presque lumineux.

hébraïque (littérature)

La littérature hébraïque remonte, avec des périodes fastueuses ou médiocres, à la plus haute antiquité, sans avoir toujours cependant relevé d'une inspiration religieuse. Déjà dans l'Espagne du Xe au XIVe s. s'était développée une littérature laïque juive. Pendant les années plus sombres des XVIe et XVIIIe s., au contraire, ses thèmes furent presque uniquement théologiques. La précarité de leurs droits, la haine et le mépris de leur entourage avaient, en effet, contraint les Juifs à se replier sur eux-mêmes et à approfondir leurs données culturelles propres. La poésie se cantonnait dans les cadres religieux de la liturgie (Piyyoutim), de l'élégie sacrée (Qinnot), de la prière (Tefillôt). C'est seulement en Hollande et en Italie que prirent naissance, parmi les rescapés d'Espagne, une littérature mondaine et une poésie semi-laïque avec Joseph Penso et Moïse Zacuto.

Renouveau et tradition

C'est en Italie, où vit le kabbaliste et poète Mosheh Hayyim Luzzatto (1707-1746), que prend naissance cette littérature moderne : ses drames historiques (Histoire de Samson) et allégoriques (la Tour de puissance ; Louange aux justes) témoignent d'une fantaisie créatrice, d'une fraîcheur de langage que la poésie hébraïque n'avait plus connues depuis des siècles. Au XVIIIe s., la littérature hébraïque s'ouvre aux mouvements de modernisation et d'émancipation. Englobant toute la vie juive, elle n'est plus le fait d'un pays particulier. Ses forces créatrices se libèrent dans toute l'Europe. En outre, à la différence de la littérature hébraïque ancienne, exclusive et volontiers imperméable aux autres civilisations, elle élargit ses horizons dans une prise de conscience de tous les problèmes de l'époque. Cependant, si elle veut quitter le ghetto, elle n'entend pas abandonner le judaïsme. On désigne le mouvement culturel juif qui prend naissance à l'époque des Lumières et qui se manifeste de la fin du XVIIIe s. à la fin du XIXe s. par le terme Haskala (de la racine hébraïque s-k-l, « agir avec discernement »). Originaire d'Europe occidentale, le mouvement se propagea vers l'est, en Galicie, et s'épanouit en Russie, notamment en Lituanie. C'est la manifestation moderne d'un courant intellectuel d'ouverture au monde extérieur. Soutenu par quelques grands écrivains et penseurs chrétiens, encouragé par les « despotes éclairés » désireux d'assimiler leurs minorités, le mouvement chercha à réaliser un difficile équilibre entre la fidélité au judaïsme et l'intégration à la société européenne.

   Bien que la France eût été la première à accorder aux Juifs l'émancipation politique (1791), le mouvement naquit en Allemagne d'où les Juifs n'avaient jamais subi d'expulsion totale et où s'était maintenu un bon niveau de culture hébraïque. Il se cristallisa autour du philosophe Moses Mendelssohn (1729-1786), auteur des commentaires hébraïques sur le Pentateuque. C'est lui aussi qui, alors même que la plupart de ses œuvres ont été écrites en allemand, fit germer l'amour de l'hébreu en tant que langue, et son nom est le symbole de toute la Haskalah.

   Naphtali Herz Wessely (1725-1805), ami de Mendelssohn et son collaborateur pour les commentaires du Lévitique, eut également une grande influence sur la littérature : outre un traité philologique sur les synonymes hébreux (le Jardin fermé), il écrit une Mosaïde selon le modèle de la Messiade de Klopstock. Il se fait le champion des Lumières dans son message aux Juifs autrichiens (Paroles de paix et de vérité), qui les exhorte à accepter l'édit de Tolérance promulgué par Joseph II.

   Tel était l'esprit du journal Meassef (Mélanges), fondé à Königsberg en 1784 et auquel participèrent d'abord Isaac Abraham Euchel (1758-1804), puis Mendelssohn, Wessely, David Friedländer (1750-1834), Isaac Satanow (1732-1804). Ce groupe d'écrivains entendait faire de l'hébreu une langue apte à véhiculer l'enseignement moderne européen. Mais le progrès de l'assimilation en Allemagne était tel que, lorsqu'après une éclipse Euchel voulut en 1794 faire revivre Meassef, son entreprise fut sans lendemain, la plupart des Juifs allemands n'étant déjà plus à même de comprendre l'hébreu, et Meassef eut pour successeur Sulamith, journal juif en langue allemande édité à Dessau.

   Si la Haskalah allemande donne encore quelques œuvres, le centre de la culture passe en Galicie et dans les provinces italiennes de l'Empire autrichien. En contact étroit avec la philosophie des Lumières allemande, le mouvement se proposait de répandre parmi les Juifs les idées nouvelles, tout en renforçant leur attachement à leur propre culture : il mettait l'accent sur la Bible, la pureté de la langue hébraïque classique, les idéaux de fraternité, la raison. S'adressant à un milieu cultivé, bien intégré dans une société de niveau au moins égal, soutenu par les souverains (Toleranzpatent de Joseph II, 1781), le mouvement dépassa parfois les buts qu'il se proposait, suscitant une vague de conversions au christianisme et d'abandon du judaïsme. Cependant, lorsque les romantiques allemands rejetèrent les idées de fraternité entre les hommes pour se mettre à la recherche de leurs racines nationales, les Juifs, à nouveau exclus, suivirent leur exemple et se mirent à l'étude de leurs propres richesses culturelles ; c'est ainsi qu'apparut, dans les années 1810-1820, la Wissenschaft des Judentums (« science du judaïsme »), d'expression allemande et de tendance laïque.

   D'abord polonaise, la Galicie passa sous l'autorité de la monarchie autrichienne des Habsbourg lors du partage de la Pologne de 1772. Le programme éducatif de Joseph II y fut appliqué dès 1789 et l'influence des maskilim  allemands s'y exerça ; la population juive y était nombreuse, les communautés fortement structurées, la connaissance du judaïsme profonde. Dans ce centre de culture talmudique, les recherches nouvelles s'orientèrent vers la littérature et l'histoire postbibliques; sous l'influence des courants de pensée de l'époque (romantisme, hégélianisme, rationalisme) naquit une école critique et souvent satirique de la tradition. Le mouvement se cristallisa autour du rabbin Salomon Juda Rapoport (« Shir », 1790-1867), du philosophe Nahman Krochmal (1785-1840) dont le Guide des égarés du temps voulait répondre aux perplexités de ses contemporains à la manière du Guide des égarés de Maïmonide et de périodiques : Bikkurey Ha-ittim (« Prémices des temps », 1820-1831) ; Kerem Hemed (« Vigne de délices », 1833-1856) ; He-Halus (« le Pionnier », 1852-1889). La Haskalah galicienne eut aussi son poète, Meir Letteris (1807-1871), et ses auteurs de romans et nouvelles satiriques, qui prirent pour cible le hassidisme et ses déviations : Isaac Erter (1792-1851) et Joseph Perl (1773-1839). Surtout elle relança l'étude du judaïsme sur des bases nouvelles : à la Wissenschaft des Judentums allemande correspond en Galicie la Hokhmat Israël (« Sagesse d'Israël ») d'expression hébraïque.

   En Russie, la Haskalah berlinoise pénétra rapidement grâce à des voyageurs, à des abonnés au Meassef et, après 1820, à l'installation d'émigrés de Galicie. La Volhynie eut le « Mendelssohn russe », Isaac Baer Levinsohn (1788-1860), auteur d'ouvrages d'apologie du judaïsme et de programmes de réforme de l'éducation et de la vie des communautés. Mais c'est la Lituanie qui connut l'école la plus nombreuse et la plus diversifiée, avec Aaron Mordecaï Guenzburg (1795-1846), le traducteur vulgarisateur Kalman Schulmann (1819-1899), Avraham Mapou (1808-1867), le premier véritable romancier hébraïque, et trois poètes majeurs : A. D. Lebensohn (« Adam Ha-Cohen », 1794-1878), son fils M. Y. Lebensohn (« Mikhal », 1828-1852) et Y. L. Gordon (« Yalag », 1830-1892).

   Les maskilim de Lituanie furent des disciples à la fois de la Haskalah berlinoise et du savant rabbin Élie, le gaon de Vilna, qui avait inscrit au programme de la yeshivah de Volojine la grammaire hébraïque et les sciences profanes nécessaires à la compréhension du Talmud. Le mouvement d'ouverture au monde extérieur se développa avec enthousiasme sous le règne relativement libéral d'Alexandre II ; la vague de pogroms et de mesures répressives qui suivit son assassinat provoqua un retour aux valeurs juives et l'amorce du nationalisme qui déboucha bientôt sur la Hibbat Sion (« l'Amour de Sion ») et le sionisme, mouvements à la fois culturels, littéraires et politiques qui s'exprimèrent dans les périodiques Ha-Maggid (fondé en 1856), Ha-Carmel et Ha-Melitz (fondés en 1860).