Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

Huston (Nancy)

Écrivain français d'origine canadienne (Calgary, Canada, 1953).

Ses romans transcrivent sans l'exorciser le tragique de l'existence humaine dans de sombres histoires tant immémoriales qu'actuelles (Instruments des ténèbres, 1996, prix Goncourt des lycéens et prix du Livre Inter), où la lumière émane d'une écriture empreinte d'une gravité tempérée d'humour. Elle conjugue un souci extrême de lisibilité avec des constructions romanesques toujours savantes et jubilatoires : les Variations Goldberg (1981) réunissent trente narrateurs ; dans Dolce Agonia (2001), le narrateur est Dieu. Elle a travaillé avec Barthes, publié de nombreux essais, et accorde une grande place au travail de la langue : elle écrit parfois dans son anglais maternel puis le traduit (Cantiques des plaines, 1993).

Hutten (Ulrich von)

Écrivain allemand (château de Steckelberg, près de Fulda, 1488 – Ufenau, sur le lac de Zurich, 1523).

Personnage haut en couleur de l'humanisme allemand, le chevalier Hutten eut une jeunesse agitée comme étudiant errant et comme soldat de fortune. Jusqu'en 1520, il écrit la plupart de ses œuvres en latin ; en 1517, il est sacré « poeta laureatus » par Maximilien Ier. Dans ses poèmes, ses épigrammes, ses libelles (Lettres des hommes obscurs, 1517) et ses dialogues à la manière de Lucien (Aula, 1518 ; Febris, 1519 ; Arminius, 1529), il aborde volontiers des sujets d'actualité et des causes politiques : il exalte la nation allemande, combat les prétentions de la papauté, fustige la corruption du clergé et l'arbitraire des princes. Il prend fait et cause pour la Réforme à partir de 1519, mais, entraîné par son tempérament belliqueux dans les entreprises guerrières de Franz von Sickingen, il est désavoué par Luther et doit fuir l'Allemagne. Rongé par la maladie, il trouva refuge auprès de Zwingli à Zurich et mourut en exil.

Huxley (Aldous)

Écrivain anglais (Godalming, Surrey, 1894 – Hollywood 1963).

Pratiquement aveugle, il doit interrompre ses études de médecine. L'imagisme le tente (la Défaite de la jeunesse, 1918 ; Leda, 1920), mais ses poèmes souffrent de transparence. Ses premiers romans, Jaune de Crome (1921), Contrepoint (1928), Musique nocturne (1931), dépeignent une intelligentsia britannique troublée par le premier conflit mondial. Dans le Meilleur des mondes (1932), dont l'action se situe en l'an 2500, un État dont la devise est « Communauté, Identité, Stabilité » assure la reproduction sélective de ses citoyens dans des éprouvettes. Les valeurs et les désirs sont remplacés par des pilules, les sentiments sont indécents et seuls les derniers « sauvages » ont lu Shakespeare. Cette contre-utopie brillante et prophétique, signale, derrière la montée de la barbarie, le danger d'une civilisation technicienne parfaitement huilée dont le pouvoir sera psychobiologique. À la Seconde Guerre mondiale Huxley répond par une étude sur le pouvoir (l'Éminence grise, 1941) et sur la possession (les Diables de Loudun, 1952). Il plonge ensuite dans le tourbillon dont naîtra la sous-culture hippie (Île, 1962 ; The Politics of Ecology, 1963 ; Moksha, 1976).

Huygens (Constantijn)

Poète et diplomate hollandais (La Haye 1596 – id. 1687).

Le père du fameux physicien et astronome Christiaan Huygens fut lui-même un véritable « homo universalis » dans l'esprit de l'humanisme de la Renaissance : architecte, musicien, auteur d'une farce (Trijntje Cornelis, 1657), c'est aussi un poète d'abord influencé par Donne. Ses épigrammes néolatines et ses poèmes en néerlandais (Bluets, 1658) sont rassemblés dans Otiorum libri sex (1625). Il a laissé une abondante correspondance qu'il échangea, entre autres, avec Corneille (sur l'analyse du rythme et les règles du vers français).

Huysmans (Charles Marie Georges, dit Joris-Karl)

Écrivain français (Paris 1848 – id. 1907).

Néerlandais par son père (dessinateur lithographe et peintre miniaturiste) et Parisien de Vaugirard par sa mère, Huysmans devait rester marqué par ses origines, dont il conserva les empreintes, consciemment ou non, à travers ses avatars – il serait difficile de déterminer s'ils furent successifs ou simultanés. Si sa carrière de fonctionnaire au ministère de l'Intérieur se déroula sans éclat, il n'en fut pas de même du personnage apparemment contradictoire et mouvant qu'il incarna en littérature.

   Des premières lignes presque inconnues qu'il consacrait en 1867 à une théâtreuse sans avenir (que l'on retrouvera peut-être en 1876 dans Marthe, histoire d'une fille) à son dernier livre (les Foules de Lourdes, 1906), de son premier essai poétique (le Drageoir à épices, 1874) à son étrange À rebours (1884), bible du décadentisme, de ses coquetteries poussées avec Satan dans Là-bas (1891) à sa recherche spirituelle de Là-haut, longtemps inédit, et d'En route (1895), de son engagement naturaliste des Sœurs Vatard (1879) ou d'En ménage (1881) à son expérience mystique affirmée de la Cathédrale (1898), de Sainte Lydwine de Schiedam (1901) ou de l'Oblat (1903), il parvint à être toujours le même et toujours différent. Une note manuscrite de l'éditeur Hetzel, auquel il avait confié – sans succès – le Drageoir à épices, fournit, dans son incompréhension féroce, une clef à ce qui demeure encore pour beaucoup le « mystère Huysmans » : « Le dictionnaire donne moins de mots voyants que de mots simples – la langue est plus pauvre qui ne cherche que les tons criards – le chant est plus riche, plus varié que le hurlement. Vous essayez de hurler – au bout de dix pages vous retombez dans vos mêmes cris, et vous êtes monotone pour avoir trop cherché à ne pas l'être. » Il faut retenir de cet éreintement une sorte de ligne directrice qui réapparaîtra dans la totalité de l'œuvre et qui constitue un début d'explication, à savoir la fascination que les mots exercent sur Huysmans, qui n'est écrivain que dans la mesure où il se veut artiste, essentiellement sensible aux couleurs et aux sons.

   En fait, dès ses premiers essais littéraires, Huysmans est conduit par une curiosité universelle dont il entend bien ne rien exclure, d'où la multiplicité de ses expériences et le réseau complexe de ses relations personnelles, mais aussi l'aspect décousu, pour ne pas dire incohérent, de la plupart de ses livres. Il a amassé des documents, fidèle en cela à la méthode naturaliste, mais il ne s'est guère soucié de les organiser et il arrive que les chapitres soient, à la limite, interchangeables. Il est même malaisé de déterminer au premier coup d'œil si tel passage appartient à la Cathédrale ou à l'Oblat, par exemple, tant sont brouillés les morceaux du puzzle. Seuls les premiers ouvrages, jusqu'à À rebours exclusivement, peuvent s'appeler romans. Pas d'intrigue, pas de personnages – en dehors du narrateur –, à peine un lien ténu entre les chapitres, qui ne sont parfois que des regroupements de notations à l'état brut.

   Il voulait surprendre et il y parvint au point d'avoir longtemps détourné les lecteurs, alors qu'il apparaît depuis quelques années comme un des écrivains majeurs du XIXe siècle. Son sort, qui est celui de tous les artistes vraiment originaux, est d'avoir été partout un marginal. Pour les naturalistes, en publiant À rebours, il trahissait, et Zola s'attrista de perdre un de ses meilleurs disciples (« il me reprocha le livre, rapporte Huysmans dans la préface de 1903, disant que je portais un coup terrible au naturalisme, que je faisais dévier l'école, que je brûlais d'ailleurs mes vaisseaux avec un pareil roman »). La défense de l'école de Médan, sept ans plus tard, dans Là-bas, ne dut pas paraître très convaincante, et la conversion au catholicisme acheva la séparation d'avec les premiers compagnons de route. Les catholiques, de leur côté, regardaient d'un œil méfiant ce néophyte dont le style à lui seul, insolemment décapant et d'un anticonformisme suspect, dérangeait les routines.

   Aujourd'hui encore, la ligne de partage demeure, et les titres longtemps à l'index, non de l'Église officielle, mais des « bonnes consciences », du Drageoir à À rebours, sont les seuls à retenir l'attention et à être réédités. Les interdits, d'où qu'ils viennent, ont en commun leur absurdité, et on a trop oublié une constante lisible dans toute l'œuvre : l'intérêt passionné pour l'art, profane et religieux, et l'horreur du laid, le laid et le beau de Huysmans ne correspondant pas toujours aux canons reconnus. Dans ce domaine encore, il fut un découvreur : Gustave Moreau, Félicien Rops, Odilon Redon, Raffaëlli, entre autres, lui sont redevables d'une bonne part de leur notoriété et il a contribué à sauver de l'oubli des peintres comme Roll. Ses jugements sur les « officiels » étaient si cruels que, au moment de publier l'Art moderne (1883), il dut envoyer à son éditeur une liste des artistes éreintés où figurent, par ordre alphabétique, avec la mention « beaucoup », Bastien-Lepage, Bonnat, Bouguereau, Cabanel, etc. En 1893, Roger Marx admira « le double don de la divination et de l'expression, qui fait des écrits esthétiques de J.-K. Huysmans des pages définitives et de leur auteur en ce temps, non point un juge parmi les juges, mais une personnalité unique : le critique de l'art moderne ». Peut-être y a-t-il quelque outrance : il n'en reste pas moins vrai que Huysmans fait autorité dans la critique artistique, au même titre que Baudelaire, et qu'il fut, avec Zola, un introducteur de l'impressionnisme alors tant raillé. Aucune forme d'art ne lui fut étrangère, mais la peinture fut pour lui, plus que toute autre, source de joie et aliment de la pensée. La Salomé de G. Moreau avait fasciné Des Esseintes et la Crucifixion de Grünewald, décrite dans Là-bas, n'est pas étrangère aux méditations mystiques de Huysmans, mais c'est à une copie du Moine de Zurbarán, exécutée par son père, qu'il resta le plus fidèle : il l'avait eue sous les yeux toute son enfance, le héros de Sac au dos (que Huysmans avait donné aux Soirées de Médan en 1880) la cite dans son récit du retour au foyer, elle l'accompagna dans ses divers logis parisiens et dans cette « Maison Notre-Dame » qu'il avait fait construire à Ligugé dans l'espoir de fonder une colonie d'artistes chrétiens ; c'est devant elle que, le 12 mai 1907, il mourra d'un cancer de la gorge, revêtu de la robe de bure à laquelle il avait droit en sa qualité d'oblat de Saint-Benoît.

À rebours (1884). Le titre programmatique introduit à un tableau des modes intellectuelles et artistiques fin de siècle, qui peut être considéré à la fois comme la bible de la « Décadence » et le livre saint du surréalisme. Le héros, Des Esseintes, aristocrate reclus dans sa thébaïde de Fontenay, pratique une ascèse du raffinement à travers la recherche des objets et des sensations rares (symphonies de parfums et de saveurs, reconstitution de la vie sur le mode du rêve) : l'admiration qu'il professe pour Mallarmé révéla le poète au public.

En rade (1887). L'expérience d'À rebours est ici vécue à deux, dans l'atmosphère hallucinante du vieux château de Lourps : les désagréments quotidiens d'une demeure délabrée prennent, pour Jacques Marles et sa femme Louise, en quête de quiétude champêtre, des allures de persécution. La névrose de Louise, soulignée en contrepoint par celle d'un chat agonisant, s'aggrave, tandis que Jacques est obsédé par des rêves dont l'absurdité, inquiétante et constructive à la fois, annonce le surréalisme.

Là-bas (1891). Une démystification du surnaturel qui débouche sur une messe noire : un historien qui étudie Gilles de Rais, le compagnon de Jeanne d'Arc prototype de Barbe-Bleue, s'initie à l'adultère avec l'épouse hystérique d'un écrivain catholique et au satanisme avec un chanoine excommunié qui régale d'hosties ses souris blanches. Le naturalisme se heurte à l'univers de la magie noire.

En route (1895). Le narrateur, qui, sous le nom de Durtal, apparaît déjà dans Là-bas, retrace les étapes de sa conversion, préparée de longue date et qui s'accomplit à la Trappe de Notre-Dame-de-l'Atre (dans la réalité, Igny : Huysmans a laissé un journal intime sur ce séjour). L'art supplée souvent les hésitations métaphysiques et, quand la foi toute neuve vient à vaciller et que les obsessions charnelles sont trop pressantes, la beauté des chants liturgiques apporte au néophyte son réconfort. L'œuvre forme avec la Cathédrale et l'Oblat une trilogie.