Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Aksakov (Sergueï Timofeïevitch)

Écrivain russe (Oufa 1791 – Moscou 1859).

C'est quelques années avant sa mort que, malade, presque aveugle, ce critique théâtral, ami de Gogol, et qui avait mené une carrière administrative sans surprises, commence sa vie d'écrivain. Ce sont d'abord les Mémoires d'un chasseur (1852) et les Mémoires d'un pêcheur (1847), remarqués pour leur sens de l'observation et leur peinture réaliste de la nature, qui lui valent notamment une critique enthousiaste de Tourgueniev. Mais c'est surtout avec sa « trilogie » semi-autobiographique qu'Aksakov innove. Il invente en effet un dispositif narratif complexe, qui lui vaut un grand succès populaire et la reconnaissance de la critique de l'époque, mais dont l'originalité sera ensuite oubliée – aujourd'hui encore, Aksakov n'a pas trouvé sa place parmi les grands écrivains réalistes du XIXe siècle. La Chronique familiale (1856) évoque, sur le mode quasi mythique, une Russie patriarcale et bucolique, mais aussi archaïque et brutale – Sergueï Mikhaïlovitch Bagrov, grand-père du narrateur, veille à ce que ses paysans ne meurent pas de faim mais les châtie durement, oblige sa femme et ses filles à lui baiser les mains et, quand il est en colère, les roue de coups. La famille Bagrov, dont les patronymes sont très proches de ceux de la famille Aksakov, reparaîtra dans les Années d'enfance du petit-fils Bagrov (1857), sur le même mode de la fiction autobiographique, alternant épisodes cocasses et dramatiques et racontant la petite enfance du narrateur. Les Souvenirs, publiés presque simultanément, se présentent, eux, explicitement, comme ceux de l'auteur – il s'agit bien cette fois de la famille Aksakov –, et remplissent très exactement le « trou » chronologique laissé par les volumes précédents (l'adolescence et la jeunesse du narrateur), créant ainsi un brouillage des voix narratives. Si les trois volumes font place au même amour vibrant de la nature, pourtant peu hospitalière, à une évocation exaltée de la vie à la campagne, ils sont aussi envahis par l'angoisse de la mort et de la disparition. Plus encore que dans la trilogie de Tolstoï (Enfance, Adolescence, Jeunesse) à laquelle l'œuvre d'Aksakov fut souvent comparée, le « paradis perdu » de l'enfance, dominé par la figure d'une mère exigeante et adorée, y est traversé d'ombres. Dans les Souvenirs, en particulier, le narrateur évoque des expériences quasi proustiennes de mémoire involontaire, d'une violence et d'une fréquence qui le mènent jusqu'à un état semi-onirique, un « épanchement du songe dans la vie réelle », selon l'expression de Nerval dans Aurélia. Nabokov, seul des grands écrivains russes contemporains à rendre hommage à Aksakov, se livre dans Ada à un éblouissant pastiche de ce qui, après Aksakov, deviendra presque un genre, la « chronique familiale » d'une Russie en train de disparaître. Deux des fils d'Aksakov, Konstantine Sergueïevitch (1817-1860) et Ivan Sergueïevitch (1823-1886), figurent parmi les théoriciens les plus connus du slavophilisme.

Akuraters (Jānis)

Écrivain letton (Jaunzemji 1876 – Riga 1937).

Nationaliste fervent, influencé par la révolution de 1905, il composa des poèmes révolutionnaires (Des cris de guerre sur les lèvres). Dans sa poésie, la réalité de la vie se mêle au rêve et à l'utopie. Dans le récit l'Été d'un pauvre garçon (1908) et le roman Peters Danga (1921), les caractères des personnages sont décrits tout en nuances et un certain romantisme transparaît à travers les descriptions de la nature et de la vie à la campagne. Jānis Akuraters laissa aussi des comédies, féeriques (Tout ça n'est rien, 1920) ou satiriques (les Militants, 1924). Il est également connu pour ses nombreux articles défendant l'idée d'un État letton et le droit à l'autodétermination des peuples.

Akutagawa Ryunosuke

Écrivain japonais (Tokyo 1892 – id. 1927).

Grande figure de la littérature japonaise moderne, qui marqua vivement ses contemporains comme les générations à venir, il manifesta des signes précoces d'intelligence dès son plus jeune âge. Par suite du délire mental de sa mère, peu après sa naissance, son père, Niibara Toshizo, le confia à son oncle maternel, Akutagawa Michiaki, qui l'adopta officiellement en 1904. Au sein de cette nouvelle famille profondément attachée aux arts traditionnels, il acquit sur la culture du Japon et de la Chine ancienne des connaissances exceptionnellement vastes. Pendant sa propédeutique, il fut également familier des auteurs occidentaux tels que Maupassant, Anatole France, Ibsen, Baudelaire et Strindberg. Un court récit, le Nez, remarqué par Natsume Soseki, le fait connaître en 1916, alors qu'il est encore étudiant en littérature anglaise à l'Université impériale de Tokyo. Le recueil Histoires qui sont maintenant du passé, dont il tire la Porte Rasho (Rashomon, 1915), apparaît comme le modèle de ses huit premières années de création au cours desquelles il produit essentiellement de brefs récits « historiques », univers clos débouchant sur l'étrange, voire le fantastique : Gruau d'ignames (1916) ; les Portes de l'enfer (1918) ; Lande morte (1918), avec le personnage de Basho ; et Dans le fourré (1922), dont Kurosawa Akira fit un film primé à Venise en 1951, sous le nom de Rashomon. À partir de 1918, année de son mariage, suivi par le contrat de publication avec le journal Osaka Mainichi Shinbun, dont il devient collaborateur exclusif, les années fertiles de production littéraire se suivent.  Il s'inspire aussi de récits chrétiens japonais du XVIIe s. dans une série de romans, comme le Diable et le Tabac (1916), le Martyr (1918), la Vie de saint Christophe (1919). Il poursuit ses réflexions sur le christianisme dans les Sourires des dieux (1922), et enfin son œuvre posthume l'Homme de l'Occident (1927). À partir de les Mandarines (1919) et l'Autome (1920), il abandonne progressivement le recours au passé : sans cesser d'écrire de pures fictions comme le Truck (1922), récit destiné aux enfants, ou les Kappa (1927), il puise de plus en plus dans sa vie personnelle. Malade, atteint de neurasthénie qui s'aggrave depuis 1922, il écrit Extraits du carnet de notes de Yasukichi (1923), les aphorismes regroupés sous le titre Paroles d'un nain (1923-1925), À mi-chemin de la vie de Shinsuke Daidoji (1925), où il évoque son enfance, Villa Genkaku (1927), où plane l'ombre de la mort, et Engrenage (1927), poignants paysages psychologiques extrêmement lucides d'un abandon sans salut. Son style s'épure dans Bord de mer (1925) et Mirage (1927), et plus parfaitement encore dans la Vie d'un idiot (1927), œuvre posthume autobiographique en forme d'une lettre testament. Il se donna la mort le 24 juillet 1927.

   Son nom a été donné à un prix littéraire fondé en 1934 (avec le prix Naoki Sanjugo) par Kikuchi Kan, en hommage aux deux écrivains disparus (Akutagawa en 1927, Naoki en 1934). Il est décerné deux fois par an à de jeunes romanciers par un jury essentiellement composé d'écrivains. Considéré comme l'une des récompenses les plus significatives, il a couronné, entre autres, Ishikawa Jun (1936), Yoshiyuki Junnosuke (1954), Endo Shusaku (1955), Oe Kenzaburo (1958), Inoue Yasushi (1959), Murakami Ryu (1976).