Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Goffette (Guy)

Poète français (Belgique, 1947).

Son recueil Solo d'ombres (1983), écrit en vers courts, définit des directions : l'appel brûlant des lointains, l'amour aussi nécessaire qu'impossible (« Aimer, infinitif amer »). Éloge pour une cuisine de province (1988) requalifie le quotidien campagnard en ouvrant la pièce sur l'imaginaire. En droite ligne des « reconnaissances » de J. Réda, Gofette pratique des « dilectures », hommages sensibles aux voix poétiques qui ont compté. Ainsi dans la Vie promise (1991), qui multiplie les pièces de treize vers, et dans le Pêcheur d'eau (1994). Approche du sort d'un homme jeté dans le temps, exercice d'admiration, Verlaine d'ardoise et de pluie (1995) est la biographie poétique d'une figure chère, dont les échos traversent les vers de Goffette. Elle, par bonheur, et toujours nue (1998) interroge l'art de Bonnard et sa fascination pour le féminin. Le lyrisme et la justesse (musicale et humaine) sont les caps de cet immense connaisseur de poésie qui a entrepris la traduction de l'intégrale des poèmes d'Auden, mais qui est également romancier (Un été autour du cou, 2001).

Goffin (Robert)

Écrivain belge de langue française (Ohain 1898 – Overijse 1984).

Après des débuts symbolistes, la rencontre du dadaïsme européen et la découverte du jazz l'orientent vers une modernité poétique qui choisit le sport, le cirque, le music-hall, la politique, la prostitution, le cinéma comme thèmes d'inspiration (Jazz-band, 1922 ; Couleur d'absence, 1936 ; Sang bleu, 1939 ; le Temps sans rives, 1958 ; Faits divers, 1969). Il écrivit aussi des romans autobiographiques.

Goga (Octavian)

Écrivain et homme politique roumain (Rasinari 1881 – Ciucea 1938).

Journaliste et poète à vocation prophétique, il se dresse dans ses poèmes contre l'oppression subie par les Roumains de Transylvanie (Poésies, 1905). Il chante le village et ses traditions (la Terre nous appelle, 1909 ; Chansons sans pays, 1916), ainsi que l'intolérable sentiment d'exil ressenti dans la ville (À l'ombre des murs, 1913).

Gogol (Nikolaï Vassilievitch)

Écrivain russe (Sorotchintsy, gouvern. de Poltava, 1809 – Moscou 1852).

Gogol fut un homme déchiré entre idéal et réel, qui n'a cessé de fuir et de se fuir. Élève médiocre, malgré ses ambitions, il sort de l'école avec de piètres résultats, quitte son Ukraine natale pour Saint-Pétersbourg, où il publie, à ses frais, un poème romantique (Hans Küchelgarten, 1829) qui tombe dans une plate indifférence. Face à l'échec, il voyage en Europe, grâce à des subsides envoyés au fils chéri par sa mère, à l'intention de laquelle il a inventé, lui qui n'a pour les femmes que timidité (la thèse de l'homosexualité est retenue par la plupart des biographes actuels), une histoire de femme fatale. De retour à Saint-Pétersbourg, il tente de devenir acteur mais échoue et trouve un emploi de petit fonctionnaire, qu'il exerce jusqu'en 1833, et qui conditionne son dégoût pour l'univers bureaucratique. Il fréquente les milieux littéraires, rencontre Pouchkine et publie ses Veillées près du hameau de Dikanka (1831-1832, traduit aussi par Veillées d'Ukraine), qui lui apportent la gloire. Ces huit récits fantastiques, inspirés du folklore ukrainien et des romantiques allemands, centrés autour d'une anecdote burlesque, ont le diable pour figure centrale : capable d'inspirer le meurtre d'un enfant dans la Veillée de Saint-Jean, cruellement justicier dans Une terrible vengeance, il est, plus qu'une image poétique, l'incarnation réelle du mal, que Gogol s'attachera à traquer dans toute son œuvre.

   En 1834, il est nommé professeur d'histoire, travaille à une Histoire de l'Ukraine qui n'aboutira pas mais fournit le matériel et l'inspiration pour Tarass Boulba. Cette nouvelle paraît en 1835 dans le recueil Mirgorod. Écrite sur le mode épique, préparant en cela les Âmes mortes, elle est consacrée à la vie des cosaques au XVIe siècle et doit beaucoup au genre du roman historique. La même année paraît un autre recueil, Arabesques (1835), où figurent la première version du Portrait, la Perspective Nevski et le Journal d'un fou, trois des Nouvelles de Saint-Pétersbourg.

   Gogol abandonne son poste de professeur pour se consacrer entièrement à l'écriture. Il collabore au Contemporain de Pouchkine, où il publie le Nez (1836). Il travaille à des pièces de théâtre : le Revizor (1836), dont le sujet a été suggéré par Pouchkine, est monté en avril 1836, après bien des démêlés avec la censure. La pièce provoque l'enthousiasme des libéraux, qui y voient une critique du régime, et l'indignation des conservateurs. Gogol, effrayé par ces réactions, s'estime incompris du public (« Mais de qui riez-vous ? C'est de vous-même que vous riez ! ») et fuit à l'étranger : c'est le début d'une longue période d'exil volontaire, à Rome essentiellement, entrecoupée de brefs retours en Russie. Il reprend le manuscrit des Âmes mortes, commencé en 1835, là aussi sur une idée de Pouchkine. Ce « poème » doit, dans l'esprit de son auteur, « racheter » le malentendu du Revizor : de plus en plus, Gogol se pense – et il ne se fait pas défaut de le proclamer – investi d'un rôle messianique, sentiment que viennent encore renforcer des crises de mysticisme. En 1842, il termine le Mariage, le Manteau et publie ses Œuvres complètes. Mais surtout paraissent les Aventures de Tchitchikov ou les Âmes mortes, selon le titre imposé par la censure. Peuplé de caricatures monstrueuses, ce livre, qui devait être l'Iliade russe, épouvanta l'auteur lui-même : persuadé d'avoir trahi sa « mission », il rêve de donner à cette première partie une suite édifiante. Après l'enfer, le paradis. Tout en rédigeant des brouillons successifs, qu'il brûle, il publie en 1847 des Passages choisis de ma correspondance avec mes amis où, se présentant comme l'apologiste de la vertu et de l'ordre établi, il cherche à se justifier. Le livre est mal accueilli, on crie au tartufe. Pourtant Gogol se croit sincère ; il multiplie jeûnes, prières, lectures saintes, entreprend un pèlerinage à Jérusalem. De retour en Russie (1848), il rencontre le P. Matvei Konstantinovski, qui devient son directeur de conscience et aggrave son état. Dans le silence d'une nuit de février 1852, il jette au feu la deuxième partie des Âmes mortes et regarde en pleurant se consumer son œuvre. À ce suicide littéraire il ne survivra pas : dix jours plus tard, affaibli par les jeûnes et torturé par ses médecins, il s'éteint.
Les Nouvelles de Saint-Pétersbourg (Peterburgskie Povesti). Ce titre n'a pas été donné par Gogol. On désigne ainsi des récits parus pour la première fois ensemble dans le tome III des Œuvres complètes de 1842 et que rapproche une unité géographique et sociologique : ils se déroulent à Saint-Pétersbourg et prennent comme héros des « petites gens ». La critique progressiste, qui a fait le succès de ces nouvelles, y vit la dénonciation d'une société reposant sur l'argent et le tchin, le rang. Au bas de l'échelle, Poprichtchine du Journal d'un fou, Akaki Akakievitch du Manteau en sont les victimes : le premier tombe amoureux de la fille de son directeur et, ne pouvant prétendre à l'épouser, il se prend pour le roi d'Espagne et finit à l'asile ; le second, qui se voit dépouillé d'un manteau neuf, acheté au prix d'incroyables privations, se transforme après sa mort en fantôme vengeur dont la victime est le supérieur hiérarchique qui lui a refusé son aide. Les Nouvelles recourent en effet au fantastique pour dire la décomposition du réel, jusqu'à l'absurde parfois, comme dans le Nez. Ce récit bouffon décrit les aventures du major Kovalev et celles de son nez, qui mène une vie indépendante de son propriétaire ; ce dernier ne peut avoir aucune prise sur lui, l'appendice se révélant d'un rang supérieur à celui du major. Personne ne semble surpris par l'aventure : une fois admis le postulat de départ, l'histoire se déroule selon les lois de la logique, les éléments fantastiques se fondant dans la description de la vie quotidienne. C'est que la capitale russe est pour Gogol le lieu par excellence de la fantasmagorie, à commencer par son artère principale : « Tout n'est que tromperie, tout n'est que rêve, tout n'est pas ce qu'il vous semble sur la perspective Nevski . » Dans la nouvelle qui porte ce titre (la Perspective Nevski), le peintre Piskarev découvre que la jeune femme en laquelle s'incarnait son idéal n'est qu'une prostituée ; il en meurt, alors que son ami officier sort psychologiquement indemne d'une sordide aventure. La médiocrité triomphe dans cette ville froide, où le génie n'a pas sa place. C'est la leçon du Portrait : un jeune peintre prometteur échange au cours d'un pacte fantastique son talent contre le succès ; renonçant à son idéal de beauté, il finit par sombrer dans la folie. Dans la deuxième partie de la nouvelle, qui ne figure qu'à partir de l'édition de 1842, il apparaît que le tentateur n'est nul autre que le diable, dissimulé sous l'apparence d'un vieil usurier. On voit ainsi ressurgir l'idée maîtresse de l'œuvre de Gogol : l'esprit malin agit insidieusement ; c'est sa trace que l'on retrouve dans toutes les manifestations de la poslost' – terme approximativement rendu par « vulgarité », mais qui combine les notions de mesquinerie, de médiocrité, de grossièreté – dont est tissée l'existence humaine.
Le Revizor (1836). Ici, Gogol se penche sur la province, mais le même esprit est à l'œuvre. La pièce s'articule sur un quiproquo : dans une petite ville, Khlestakov, jeune fonctionnaire prétentieux, se laisse prendre pour le « revizor », l'inspecteur général que l'on attend. Il rançonne le petit nombre de fonctionnaires corrompus et rusés qui gravitent autour de lui, séduit la femme et la fille de son hôte, et prend congé, emporté par sa troïka, quand arrive le vrai inspecteur. Nulle figure positive dans ce drame, chacun des personnages porte en lui sa propre satire. Gogol a renouvelé la comédie en y insufflant son « réalisme » : reflet de la société, certes, mais telle qu'elle apparaît à l'auteur, sous un jour fantastique, monstrueux, comme symbole de la domination du mal sur la terre.
Les Âmes mortes (1842). C'est dans ce « poème » (poema, comme l'indique le sous-titre), pense-t-il, puisque sa pièce n'a pas été entendue, qu'il se fera comprendre, qu'il pourra « révéler au lecteur l'homme russe tout entier ». Le titre choisi est bien sûr chargé d'une signification symbolique, mais il fait référence aussi à l'intrigue : Tchitchikov, petit propriétaire terrien, achète à bas prix des paysans décédés, des « âmes mortes », afin d'obtenir des terres et un prêt d'argent. Plus cabotin qu'escroc, il est une nouvelle incarnation de la poslost, dont l'idéal se limite à un rêve de confort matériel. Et pourtant, c'est le rire qui naît de cette galerie de portraits impitoyables, où défilent des personnages aussi médiocres qu'insignifiants, rongés par leurs vices et leur sottise. La critique progressiste y salua une satire objective de la société russe et un réquisitoire contre le servage. Il fallut plusieurs générations pour découvrir, dans ce mélange de réalisme sordide et de symbolisme puissant, une force de destruction et de négation du monde, dont le rire était l'instrument diabolique. « Qu'elle est triste, notre Russie ! », se serait exclamé Pouchkine à la lecture de la première partie.