Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

Lamartine (Alphonse de) (suite)

Les « travaux forcés littéraires »

Il reste à la Chambre jusqu'au coup d'État de 1851, mais sa carrière politique est terminée. Il est criblé de dettes et, pendant les vingt ans qui lui restent à vivre, il se contraindra aux « travaux forcés littéraires » : Histoire de la révolution de 48, les Confidences, Raphaël, édition des Œuvres choisies de M. de Lamartine, où paraissent les Commentaires et les Troisièmes Méditations (1849). Il fait jouer Toussaint Louverture au théâtre de la Porte-Saint-Martin et part une seconde fois en Orient, où le Sultan lui a offert un domaine et une pension. Après les Nouvelles Confidences, Geneviève, histoire d'une servante, le Tailleur de pierre de Saint-Point, récit villageois, l'Histoire de la Restauration (1851), il donne les Visions (1853), fragments d'un grand poème épique, des essais historiques (Histoire des Constituants, 1854 ; Histoire de la Turquie, 1854-1855 ; Histoire de la Russie, 1855) et surtout le Cours familier de littérature (1856-1869), où figurent encore quelques belles pièces (la Vigne et la Maison, 15e entretien, 1857 ; révélation du poète Mistral, 40e entretien, 1859). Entre 1860 et 1866, il publie ses Œuvres complètes en 41 volumes, mais il doit vendre Milly. Mme de Lamartine meurt en 1863 et le poète reste seul avec sa nièce et fille adoptive, Valentine de Cessiat, à qui bien des œuvres de sa mélancolique vieillesse sont dédiées. En 1867, le Corps législatif lui vote, à titre de récompense nationale, une pension de 25 000 francs. Après sa mort paraîtront, outre les Mémoires inédits (1870) et le Manuscrit de ma mère (1871), des Poésies inédites (1873) et six volumes de Correspondance (1873-1875).

   Lamartine a réinventé la poésie, par une formidable opération de réduction : du langage poétique à la poésie lyrique, et du lyrisme au domaine le plus intime du moi. En dehors de toute esthétique (Lamartine n'évoque presque jamais la recherche du Beau) et de toute rhétorique convenue, il fait de l'acte poétique une « méditation », la poésie n'étant pas un ornement mais une des deux facultés humaines (« la prose et la poésie se sont partagé la langue comme elles se sont partagé la création »). S'il participe de la figure du poète-mage, Lamartine annonce ainsi la poésie qui « doit être faite par tous », comme « langue par excellence » dévoilant la vie intérieure. Le poème n'est que la trace d'un geste qui est la poésie. À l'origine de la modernité poétique française, Lamartine a placé un « miroir magique », qui emprisonne les images et fige les sonorités en échos, « le Lac » – site inaugural que Rimbaud voudra abolir en s'abîmant dans ses profondeurs.

Les Méditations poétiques. Le recueil de 1820, que suivront, en 1823, les Nouvelles Méditations et, en 1849, les Troisièmes Méditations, réunit des pièces disparates (pièces de circonstance, méditations calmes, jaillissement du désespoir de la passion, exercice religieux...) et de formes variées : longueur inégale (de 24 vers pour le Chrétien mourant à 286 pour l'Homme), strophes et mètres divers aussi bien d'un poème à l'autre qu'à l'intérieur d'une même pièce. Interrogations et exclamations, nombreuses, y reflètent la fébrilité de l'inspiration. D'abondantes figures et allusions mythologiques témoignent d'un goût pour le « beau style » classique. Souvent, la description initiale d'un paysage en accord avec l'état d'âme du poète se poursuit par une effusion lyrique. Mais le travail d'écriture a constamment visé à gommer l'anecdote personnelle pour donner aux poèmes une valeur universelle. Trois thèmes essentiels reflètent les déchirements et les contradictions de l'âme lamartinienne et font l'unité du recueil : la nature, l'amour, l'interrogation sur la destinée humaine et la foi. La nature, ressentie tour à tour comme un refuge (le Vallon), un recours (le Lac), une confidente, une source d'apaisement (l'Automne), le lieu privilégié de la communion avec Dieu (la Prière), est habitée par l'image de l'aimée, figure mythique nommée Elvire en laquelle il transfigure les femmes qui l'ont ému (Graziella, puis Julie Charles). Oscillant entre un sensualisme ardent et une sublimation évanescente, la rêverie d'amour est épicurienne dans le Lac, désespérée dans l'Isolement ou dans l'Homme ; elle s'associe à l'amour de Dieu dans l'Immortalité, se spiritualise dans Souvenir et s'épanouit d'autant mieux que la mort ou l'absence permettent une transfiguration de l'objet aimé. Ces oscillations de l'amour reflètent le déchirement qu'ouvre en lui l'interrogation sur le sens de la destinée humaine : Lamartine est assailli par l'absurdité de la condition humaine (l'Homme) et par la souffrance qui semble être le lot de l'artiste (la Gloire) ; il cherche impatiemment à en percer le mystère, inquiet du temps qui passe et qui broie tout (le Lac, le Désespoir) ; l'accablement, la lassitude de vivre s'abattent souvent sur lui (le Vallon) ; ce Dieu, qu'il ne va pas jusqu'à renier, lui semble cruellement muet et il se laisse aller parfois au blasphème. Cependant, ses élans reviennent toujours à Dieu. Sa foi hésite entre un déisme que le catholicisme n'a point effacé (l'Homme), des élévations néoplatoniciennes ou néopythagoriciennes (le Vallon) ou encore un mysticisme dont la sensualité diffuse (la Prière) nous intéresse plus que ses efforts bien-pensants (Ode, X). En somme, dans les Méditations, Lamartine désire la foi plus qu'il ne la détient.

Les Harmonies poétiques et religieuses (1830). Ce recueil poétique rassemble une cinquantaine de pièces réparties en 4 livres. Quatre étapes principales rythment l'élaboration de cette œuvre : de février 1826 à février 1827, Lamartine exhale l'élan vers Dieu que suscitent en lui la beauté et la sérénité des paysages toscans par des chants dont il a voulu faire de véritables « Psaumes modernes ». Après un an d'interruption, le poète, sur le point de quitter Florence (1828) et ses églises dont « les voûtes chantent d'elles-mêmes », revient à ses « Harmonies sacrées » et élabore le long chant qui, plus tard fragmenté, donnera les quatre « Grandes Harmonies ». Mais dès son retour en France, assailli par des soucis matériels, Lamartine perd la sérénité dont il avait joui en Italie : ses nouveaux poèmes témoignent de cet état d'âme troublé mais aussi de l'influence de Lamennais et de Manzoni (août 1828-28 juin 1829). Enfin, à la suite d'un voyage à Paris, où il a repris contact avec les cercles littéraires (Mme Récamier, Chateaubriand, Hugo), sa poésie achève d'évoluer vers des formes plus souples et des réalités plus simples. Octobre 1829 clôt cette période d'inspiration fervente : en proie, malgré son élection à l'Académie française, à une crise morale due à l'approche de la quarantaine, au pressentiment d'une révolution imminente et à la mort de sa mère, il écrit Job, poème de l'inquiétude, du regret et du doute, qui sera finalement intitulé Novissima Verba ou Mon âme est triste jusqu'à la mort. Lamartine destinait ses vers à « un petit nombre » : « des âmes méditatives » et « des cœurs brisés par la douleur ». Or ils suscitèrent à leur publication une louange quasi unanime : entre deux révolutions, le siècle n'était pas encore tout acquis à l'idée de progrès et Dieu n'était pas encore tout à fait mort.

Jocelyn (1836). « Poème-journal » en 8 000 vers, c'est l'un des deux seuls « fragments » (avec la Chute d'un ange, 1838) de la monumentale épopée, les Visions, que Lamartine rêvait d'écrire depuis 1821. Ce Paul et Virginie alpestre fut un foudroyant succès populaire. Le personnage qui donne son nom à ce roman rimé est inspiré de l'abbé Dumont, maître à Milly du jeune Lamartine dont il reçoit jusqu'à sa mort (1832) la bienveillante affection. Cette idylle, nourrie des fantômes de sa propre jeunesse et dont Lamartine voulait faire une « épopée de l'homme intérieur », contient de beaux vers isolés, exprimant les tumultueuses ferveurs du poète (« Tous au lieu d'un seul être et cet être dans tous ») comme la poésie familière de la nature (« Au murmure du lac flottant à petit pli »). Cependant, cet épisode du grand œuvre fondé sur l'idée du sacrifice et qui se veut l'apothéose de la résignation semble aujourd'hui quelque peu désuet.

La Chute d'un ange (1838). Conçu initialement comme fragment d'une épopée humanitaire dont Jocelyn devait être l'ultime épisode, il conte en 10 000 vers les aventures amoureuses et tragiques de l'ange Cédar et de la mortelle Daïdha : le verset de la Genèse (VI, 2), amplifié par l'apport des philosophies orientales, devient le support d'une poésie gnomique qui transpose la veine épique en catéchisme.

L'Histoire des Girondins (1847). Cette évocation en 8 volumes de la « grande révolution », qui connut un succès foudroyant, comporte cinq sections, subdivisées en plusieurs chapitres, dont les quatre premières sont respectivement consacrées à Mirabeau, à Robespierre, à Mme Roland et à Vergniaud ; la dernière évoque le Jugement et le supplice des Girondins. Au-delà de l'opération de librairie imposée par ses dettes criardes, Lamartine, adepte du suffrage universel, voulait que sa voix portât au-delà de l'enceinte du Parlement et proposait aux masses l'exemple qu'étaient les Girondins – ces révolutionnaires modérés – pourvu qu'on évitât leurs erreurs. Il concevait cette Histoire comme source d'un enseignement moral « ad usum populi » et se faisait un devoir de l'écrire « pour que la prochaine révolution soit pure des excès de la première ». En réalité, l'Histoire vaut plutôt par ses qualités lyriques (larges évocations de paysages parfaitement inutiles à l'action, portraits animés, voire émouvants, élans romancés de la narration) et la beauté de sa prose (alternance de périodes oratoires qui honorent le rythme ternaire et de formules bien frappées). Les révolutionnaires idéaux qu'il met en scène ne sont au fond que trois projections de l'image que Lamartine a de lui-même : il fut ce Mirabeau, aristocrate venu à la révolution ; il est ce Vergniaud, orateur parlementaire ; il espère être, en religion, ce Robespierre réformateur. Dans sa vision apologétique et romantique, Lamartine sacrifie au culte du héros : l'histoire est l'œuvre de génies solitaires. Ses bonnes intentions ne masquent pas son paternalisme innocent, que résume cette formule satisfaite inspirée par le succès : « C'est surtout le peuple qui m'aime et m'achète », assentiment que ne confirma pas le mouvement populaire de juin 1848.

Graziella. Ce récit publié isolément en 1852 constitue à l'origine un épisode romanesque des Confidences. Lamartine y transpose un amour de jeunesse qu'il aurait conçu pour une jeune et pauvre Napolitaine au cours de son premier voyage en Italie, en 1811, et chez qui il aurait éveillé la passion en lui lisant Paul et Virginie. L'aventure, rêvée ou réelle, évoquée plusieurs fois par Lamartine, semble avoir été déterminante en ce sens qu'elle se cristallisera progressivement dans le souvenir du poète comme l'image même de l'amour pur ou plutôt du rêve d'amour qui caractérise l'affectivité lamartinienne.