Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

Hughes (James Langston)

Écrivain américain (Joplin, Missouri, 1902 – New York 1967).

Issu d'une famille noire assez aisée, il abandonna ses études pour voyager en Afrique, en Europe, puis revint à Harlem. Influencé par Whitman, Lindsay, Sandburg, Dunbar, il mêle dans ses poèmes (Blues de la lassitude, 1926 ; De beaux habits pour le Juif, 1927 ; Aller simple, 1949 ; Montage d'un rêve différé, 1951) rêve exotique et quotidien amer : les rythmes disloqués inspirés du jazz soulignent le sentiment de frustration pathétique du peuple de Harlem. Ses pièces (Mulâtre, 1936 ; le Fils prodigue, 1964), ses romans (Non sans rire, 1930) et ses récits (Coutumes de Blancs, 1934) jouent constamment sur la dualité de l'apprentissage du monde par l'homme noir, tantôt livré à la nécessité d'une éducation formelle, tiraillé entre éducation abstraite et expérience du réel. Avec Simple, figure récurrente dans les contributions journalistiques (Simple dit ce qu'il pense, 1950 ; les Meilleures Pensées de Simple, 1961 ; l'Oncle Sam de Simple, 1965), il trouve un personnage emblématique de la condition et des revendications des Noirs américains.

Hugo (Victor Marie)

Écrivain, homme politique et dessinateur français (Besançon 1802 – Paris 1885).

Figure de proue du romantisme, exilé sous le second Empire, il vécut assez longtemps pour voir triompher la République, qui lui vota des funérailles nationales. Celles-ci ne firent pas tomber tout à fait une haine à la mesure de sa popularité et dont on trouve encore aujourd'hui des traces, même si son génie est de plus en plus largement reconnu.

Avant l'exil

Ballotté avec son frère Eugène, au hasard des garnisons d'un père officier de l'armée napoléonienne et de la mésentente de ses parents, Victor Hugo conservera de son enfance le souvenir de l'Espagne et du jardin des Feuillantines à Paris, avant la claustration d'une pension. Leur aîné, Abel, les pilote dans les cercles littéraires du milieu ultra. Après la mort de sa mère, il peut épouser une amie d'enfance, Adèle Foucher ; ils auront deux fils et deux filles. Eugène est interné en 1823 et leur père meurt en 1828. Politiquement, Hugo évolue vers le libéralisme. À la liaison de sa femme avec Sainte-Beuve succède, à partir de 1833, la sienne avec Juliette Drouet, actrice naguère entretenue, qu'il n'abandonnera jamais, qui devient sa première lectrice et la compagne de tous ses voyages. En 1837, Hugo devient l'intime de l'héritier du trône et se rallie au régime de Louis-Philippe. En 1841, il force les portes de l'Académie française, qui lui donne accès, en 1845, à la Chambre des pairs. En 1843, la noyade tragique de sa fille aînée Léopoldine, jeune mariée, avait scellé la fin d'une période ; une nouvelle liaison, nouée la même année avec la femme du peintre Biard, conduit au scandale public du constat d'adultère (1845). Hugo s'enferme, travaille aux Misérables, s'applique à sa tâche de parlementaire et ne publie plus rien. Mais c'est l'époque des « choses vues ».

Les œuvres poétiques de 1822 à 1840

L'influence des idées du milieu ultra est sensible dans les Odes et Ballades, qui trouvent de 1822 à 1828 leur composition définitive. L'actualité du conflit gréco-turc nourrit les Orientales (1829), qui enracinent dans l'Espagne des enfances l'ambiguïté de l'opposition entre islam et chrétienté. Le volume s'ouvre par une vaste méditation sur Sodome et Babel, et s'achève par la figure d'un Napoléon oriental. Les Feuilles d'automne (fin 1831) reviennent au lyrisme. Mais, s'ouvrant sur un célèbre autoportrait (« Ce siècle avait deux ans » et l'« écho sonore »), elles s'achèvent par la « corde d'airain » de l'indignation. La « Pente de la rêverie » et « Pan » disent l'ambition philosophique, naturaliste. Trois autres recueils lyriques (les Chants du crépuscule, 1835 ; les Voix intérieures, 1837 ; les Rayons et les Ombres, 1840) élargissent ce dialogue du doute et de la fonction du poète.

Les romans

Après Bug-Jargal (publié en 1820, complété en 1826), bref récit militaire et colonial de la révolte des Noirs à Saint-Domingue en 1791, et Han d'Islande (1823), roman frénétique, ironique et sentimental, le Dernier Jour d'un condamné, « autobiographie » des dernières heures d'un homme avant son exécution, affronte diverses monstruosités : la cellule, le ferrement des forçats, le rêve, l'argot. La critique des formes institutionnelles s'aiguise, coexistant avec une satire du jeu politique. De là Hugo datera son « socialisme ».

   Notre-Dame de Paris (1831, édition complète fin 1832), roman de la fin de Louis XI (1482) où se fait le basculement du Moyen Âge dans la Renaissance, d'abord conçu selon W. Scott, est interrompu et bouleversé par la Révolution. Dans le contexte de la réflexion politique de Lamennais et de la lutte de Benjamin Constant pour la liberté de la presse, il se remanie de façon décisive en une dramaturgie symbolique, caustique et visionnaire. Reims et Paris s'y opposent comme royauté et peuple, la gueuserie grimaçante brouille tous les systèmes d'autorité. La Bastille y prophétise le 14 juillet 1789. Un capitaine Phœbus s'introduit dans l'intrigue, dont il aggrave le pessimisme psychologique, politique et sexuel. La méditation sur la mort de l'architecture et l'essor de l'imprimé devient centrale. La digression s'installe comme principe du roman moderne, architecture du vide où le sonneur monstrueux et sourd fait figure de peuple à venir, face à la ruine de la cléricature (C. Frollo) et aux triomphes provisoires de la raison d'État militaire (Phœbus), littéraire (Gringoire) ou sociale (la cour des Miracles). Mais Quasimodo, monstre musicien, et Esmeralda, sorcière de la danse, témoignent en leur martyre de l'irréductibilité du peuple, barbare artiste de l'espérance.

   Plaidoyer contre la peine de mort et surtout le système pénitentiaire et la misère du peuple, Claude Gueux, récit publié en revue (1834), inspiré de l'authentique procès (mars 1832, date de la préface en prose du Dernier Jour d'un condamné) et de l'exécution (juin, date de l'émeute des futurs Misérables) du nommé Gueux, gauchit les données de fait pour rejoindre le texte antérieur qui lui sert de conclusion (substitution des questions sociales aux questions politiques, urgence de l'éducation populaire).

Le théâtre, de 1827 à 1843

L'entrée de Hugo dans l'âge d'homme, en 1827, est marquée par Cromwell, drame énorme, qui, autour des questions du pouvoir et du génie, disloque les partis et les clans, la folie et la voyance, et laisse poindre comme impossible mais inévitable la souveraineté du peuple, des « ouvriers », par-delà les Restaurations provisoires et les incertitudes de la puissance bourgeoise. La Préface expose la nécessité et la pertinence du drame comme genre de la modernité.

   Marion de Lorme, drame écrit en 1829, oppose à Richelieu, cardinal-bourreau, la raison du fou, l'amour de la courtisane, l'honneur de la féodalité caduque. L'interdiction de la pièce par la censure mène à Hernani, créé à la Comédie-Française le 25 février 1830 et à sa « bataille ». L'inspiration cornélienne (la clémence de don Carlos devenu Charles Quint en une descente au tombeau de Charlemagne) exprime à la fois le rêve d'Empire pacificateur et son irrémédiable échec : l'« honneur castillan » y joue le rôle du Commandeur dans Dom Juan. La revendication provocante de liberté littéraire, la guerre aux conventions usées, l'affirmation flamboyante des vertus juvéniles débordent l'espace mondain du Théâtre-Français. Le drame s'est donné les libertés nécessaires dans la structure (ouverture de l'espace et du temps) et dans le mode d'expression (union du mot propre et de l'alexandrin, rempart contre la vulgarité bourgeoise). La vigueur provocante du style, l'audace des situations, l'amour impossible, l'obsession de la mort, la dénonciation d'un pouvoir sclérosé et d'une fidélité mortelle au passé ravirent une jeunesse qui y voyait l'étendard de la liberté dans l'art, mais provoquèrent le scandale. La bataille d'Hernani, idéologique et artistique, signa la nouveauté radicale du drame de Hugo.

   Après la révolution de Juillet, la préface de Marion de Lorme (1831) appelle le public à se faire peuple. Cette volonté héroïque d'action sur les masses n'enlève rien au pessimisme tragique et critique de ces années 1830. En juin et juillet 1832, Hugo écrit Le roi s'amuse en vers et Lucrèce Borgia en prose, « bilogie » du Père et de la Mère, pour les publics bien différents de la Comédie-Française et de la Porte-Saint-Martin. Le succès populaire de Lucrèce n'efface ni le scandale ni l'interdiction du Roi, ni l'échec du procès qui s'ensuivit. Toute l'opinion qui a droit de parole et d'écriture se dresse contre l'audace matérielle, historique, politique, morale de ces drames où l'inceste, le grotesque, les abus de pouvoir et les orgies de la Renaissance contrarient les certitudes et les appétits de la bourgeoisie triomphante comme les vertus de l'aristocratie caduque ou des libéraux en réserve. Dans Marie Tudor (sans doute par ruse violente contre la tradition des Marie Stuart), Angelo, tyran de Padoue (1835), ou au nouveau Théâtre de la Renaissance avec Ruy Blas (1838), la présence insistante des marginaux, l'originalité souveraine et désinvolte de la synthèse historique et dramaturgique, au moment où décline le théâtre d'idées et d'art au profit du drame bourgeois, suscitent une réprobation quasi unanime, même si l'extrême vigilance de Hugo comme metteur en scène et défenseur de ses intérêts lui rapporte de substantielles compensations.

   Drame en 5 actes et en vers sur la décadence de l'Espagne, Ruy Blas suggère que, pas plus au XIXe siècle qu'à la fin du XVIIe, la relève du pouvoir d'État n'est possible par un héros sorti du peuple, qui retomberait valet de ses maîtres. Cette leçon politique, bien étrange au lendemain du ralliement du poète au régime, s'accompagne significativement d'un double approfondissement poétique : l'admirable chant d'amour entre le ministre-valet et la reine, et l'extraordinaire faconde de César de Bazan qui infuse dans la tragédie des prestiges du grotesque, rire et mort à la fois, autour du thème, lancinant depuis la récente disparition d'Eugène Hugo, de la fraternité funeste. Lointain produit du Cid et de Gil Blas, ce drame héroïque, sommet d'une carrière de dix ans, installe au cœur du poète, dans la mouvance de Rousseau, le romanesque de la misère.

   En 1839, le drame des Jumeaux, où Hugo rencontre, deux ans après la mort sinistre de son frère Eugène chez les fous, la dialectique impossible de la gémellité et du caïnisme, et qui porte à l'extrême la liberté d'éclatement du grotesque, n'est pas achevé. La trilogie des Burgraves (1843) est mal accueillie.