Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
H

Hochwälder (Fritz)

Auteur dramatique autrichien (Vienne 1911 – Zurich 1986).

Fils d'artisan, il apprit le métier de tapissier, mais émigra en Suisse en 1938. À l'écart des modes, il a connu un succès international avec des drames de facture classique, le plus souvent sur des sujets historiques, dans lesquels il traite de problèmes toujours d'actualité (les rapports entre le pouvoir et la justice, entre la raison d'État et l'exigence morale) : Sur la terre comme au ciel (1947), Donadieu (1953), l'Accusateur public (1954), le Retour du chef (1965).

Hocquard (Emmanuel)

Poète français (Cannes 1940).

Codirecteur des éditions Orange Export Ltd de 1969 à 1986, il s'inspire des poètes de l'école objectiviste américaine, qu'il traduit. Opérant un travail de déconstruction, il transcrit le réel en fragments éclatés et fait un grand usage des blancs, dans la page et dans la grammaire. Se définissant lui-même comme un « élégiaque inverse », il conjugue une préoccupation autobiographique avec une écriture nettoyée de tout pathos, entre poésie (Élégies, 1990), récit (Une journée dans le détroit, 1980) et roman (Un privé à Tanger, 1987). En 2001, il publie le recueil Ma haie.

Hodgson (William Hope)

Écrivain britannique (Blackmore End, Essex, 1877 – Ypres 1918).

Fils de pasteur, il quitta très jeune sa famille et navigua pendant huit ans. Envoyé sur le front comme officier d'artillerie en 1914, il fut tué à la fin de la guerre. La mer est au cœur de ses romans et de ses poèmes posthumes : lieu de la peur, elle abrite des formes de vie monstrueuses et indicibles, d'insondables mystères devant lesquels chavire la raison des hommes. On doit aussi à Hodgson des textes fantastiques et surtout un énorme roman de science-fiction (le Pays de la nuit, 1912).

Hodrova (Daniela)

Romancière tchèque (Prague 1946).

Elle est l'auteur d'une trilogie, Cité dolente, comprenant le Royaume d'Olsany (écrit à la fin des années 1970, mais publié seulement en 1991), les Chrysalides (1991) et Théta (1992), dans laquelle s'imbriquent passé et présent, destins personnels et histoire collective. Elle a écrit aussi Une journée de Perun (1994) et les Enfants perdus (1997).

Hoeg (Peter)

Écrivain danois (Copenhague 1957).

Le roman policier Smilla ou l'amour de la neige, paru au début des années 1990, connut un succès retentissant. L'héroïne, partagée entre la culture européenne et la culture eskimo, porte un regard critique sur la civilisation occidentale à travers son exigence de vérité. Les Enfants de la dernière chance (1993) reprend ce même point de vue favorable aux êtres en marge du social. Avec la Femme et le singe (1996), l'action se situe encore aux confins de la normalité : l'enfant, la femme, l'animal, sont là pour rappeler les exigences humaines.

Hoel (Sigurd)

Écrivain norvégien (Nord-Odal 1890 – Oslo 1960).

Rédacteur de la revue Mot Dag, il s'imposa comme romancier avec Pécheurs au soleil d'été (1927), portrait humoristique d'un groupe de jeunes gens modernes, moins libérés des préjugés qu'ils ne le pensent. Dans Un jour d'octobre (1931), il développe une psychologie subtile et un art du récit qui deviendront caractéristiques de son œuvre. Quinze Jours avant les nuits de gel (1935) se conçoit comme un retour en arrière, un examen de conscience pour expliquer la faillite d'une vie. Dans son roman le plus célèbre, Rencontre près de la borne (1947), il se livre à une réflexion sur la guerre et la collaboration : « Qu'avons-nous fait, nous qui sommes apparemment sans tache, pour que ces autres aient été atteints d'un désespoir tel qu'ils soient devenus des nazis ? » L'Acier de nos pères (1941), écrit pendant la guerre alors que Hoel était réfugié en Suède, revient sur la question de la faute, de la trahison au sein d'une société. Hoel a été un des personnages les plus influents de la vie littéraire norvégienne : il a fait connaître à toute la Scandinavie la littérature la plus moderne, et notamment Hemingway, Kafka, encore méconnus.

Hoffmann (Ernst Theodor Amadeus)

Écrivain allemand (Königsberg 1776 – Berlin 1822).

Juriste au service de l'État prussien, il réussit à concilier une vie de bohème et une carrière qui l'amena en 1814 à la cour d'appel de Berlin. Privé pendant huit ans de sa charge par les défaites de la Prusse, il mène de 1806 à 1814 une existence précaire, tour à tour professeur de chant, chef d'orchestre, compositeur et directeur de théâtre. Il rédige des critiques musicales, compose le premier opéra romantique (Ondine, 1814) sur un livret de La Motte-Fouqué, publie des nouvelles et un roman (les Élixirs du diable, 1815-1816). Le succès de ses premiers recueils de contes fantastiques (Fantaisies à la manière de Callot, 1814-1815 ; Nocturnes, 1816-1817) l'amène à se consacrer à la littérature. À Berlin, il devient le centre d'un cercle où se retrouvent l'acteur Ludwig Devrient, les écrivains Hitzig, Contessa, Fouqué et Chamisso : leurs joyeuses réunions inspirent les Contes des frères Sérapion (1819-1821). Mais il ne peut achever que les deux premières parties d'un second roman, le Chat Murr (1820-1821), où s'entremêlent l'autobiographie d'un chat philistin et des fragments d'une biographie du chef d'orchestre Kreisler, symboles ironiques de l'antagonisme entre le conformisme douillet de l'individu moyen et la passion exigeante de l'artiste : la mort soustrait Hoffmann aux poursuites d'un ministre de l'Intérieur résolu à punir ses initiatives en faveur des patriotes accusés de « démagogie » et les allusions satiriques de son dernier conte, Meister Floh.

Le choix du fantastique

Si l'amour malheureux d'Hoffmann pour Julia Mark, son élève de chant, transparaît à travers les héroïnes de ses contes (jeunes filles vues tantôt comme des poupées froides, tantôt comme des automates, tantôt comme des magiciennes et cependant seules capables d'effacer l'ennui de la vie), c'est la médiocrité matérielle, la fadeur des obligations du juriste et du fonctionnaire qui mettent en perspective sa vocation littéraire : l'homme obscur fréquente acteurs et écrivains, mais poursuit, ignoré, sa création. Il y a là, pour Hoffmann, moins duplicité ou dualité que la certitude, contre le masque obligé du quotidien, d'un destin plus secret, qu'il peut lire dans sa propre vie et dans l'existence de chacun. Le choix de la caricature (ses dessins lui vaudront d'être muté en 1802, à titre de sanction, de Posen à Plozk), qui ne se sépare pas de l'intention fantastique, est justement liée à la morale de l'artiste, qui découvre une autre ambiguïté ou une autre tentation : confondre l'œuvre et le désir de bonheur. Le titre même de ses premiers contes, Fantaisies à la manière de Callot, atteste ce choix de la lucidité dans l'épreuve de la comédie sociale et de la dualité personnelle, et la volonté de construire l'œuvre sur une reprise explicite de ces données. D'où la double nécessité du réalisme et de l'irrationnel, qui fait du récit une manière de fable et des personnages des figures emblématiques. Rigoureusement déterminée, la vision surnaturelle ne vaut pas par elle-même ; elle est le simple revers de la réalité : comme la réalité, pour montrer sa propre grimace et sa mécanique, doit aller jusqu'au surnaturel. Le pouvoir de l'écrivain, son approche de l'étrange et de la déréalisation ne résultent pas du choix arbitraire d'un ailleurs, mais de son effort constant pour se situer à ce point où est donnée à voir, sans qu'aucune cécité ni aucune fuite soit possible, l'articulation du réel et de son revers. Aussi le fantastique d'Hoffmann peut-il être tenu pour une variante du réalisme et un des premiers exemples du « réalisme critique ».

L'écriture en question

Ce fantastique est aussi une définition du statut de l'écriture. Aussi importants que soient les thèmes de la folie et du mal, de l'illusion et de la misère de la lucidité, ils relèvent d'une méditation esthétique qui place l'expression de la vie du côté de la littérature, alors qu'ils semblent d'abord traduire une épreuve existentielle et directe. Par une duplicité, qui juxtapose « normalité créatrice » et étrangeté effective, le récit se donne tour à tour pour l'illustration de quelque type d'histoire fixé et pour la narration naïve d'une aventure, suivant un jeu d'ambiguïtés qui commande jusqu'à un ensemble romanesque complet (les Élixirs du diable). Le fantastique est à la fois la fantasmagorie qui s'inscrit comme le reflet du projet littéraire et le fantasme qui commande l'écriture. La création narrative porte le sceau de la réciprocité délibérément établie entre le réel et l'imaginaire, entre la vie et l'écriture. La vérité est à la fois celle de l'événement et celle de la logique de la création. Cette équation posée entre la lettre et le quotidien, cette permutation constante du lieu de la causalité (le quotidien peut être donné pour l'image de la lettre ou inversement) sont les moyens privilégiés d'assurer l'« inquiétante étrangeté » dont parle Freud : la narration prête, en elle-même, une double et contradictoire position de réalité aux faits rapportés. Ainsi l'utilisation du surnaturel n'est-elle pas affaire de croyance : c'est user de la croyance caduque comme lettre pour actualiser un état, un rapport avec le réel encore existant, qui, la croyance rompue, reste privé d'expression. L'expression fantastique, devenue indépendante de la superstition, paraît inséparable de toute énonciation. Le fantastique est une manière de qualifier le monde, lorsque s'impose le constat de la continuité du réel et de l'imaginaire, et que toute nomination est échange de la subjectivité et de l'objectivité : le réel ne peut être hors du langage, mais le langage est aussi un artifice du sujet.

   Le fantastique n'est alors rien d'autre que l'art du grotesque lié à celui de la fiction. Hoffmann renouvelle par là la tradition du conte fantastique à la Herder, attestée aussi par Goethe et dont Novalis a fait la théorie. Il choisit de dire l'artifice du langage, qui inclut les symboles des croyances caduques et que manifeste l'homme qui use du langage. Le fantastique est ainsi toujours proche de la mystification et même du comique – « comique absolu », comme l'a noté Baudelaire (De l'essence du rire, 1855). Ce comique est celui du trouble que fait naître tout discours et auquel la culture prête les emblèmes de l'étrange et de l'horreur au moyen des thèmes usuels du surnaturel (doubles, automates, enterrés vivants, magnétisme, fantômes, revenants). L'horreur et l'étrange ne sont pas dans ces emblèmes, mais dans l'homme qui leur prête crédit : la nouvelle l'Homme au sable n'est pas inquiétante à cause de la poupée Olimpia qui peut danser, jouer du piano, dire quelques mots, mais par le personnage de Nathanaël qui la croit vivante. Le fantastique est dans le constat d'un défaut de maîtrise du caractère symbolique. Ce défaut réside d'abord dans la réduction de l'humanité à une manière de mécanique ou de caricature d'elle-même (les portraits des philistins dessinent la vacuité et l'inexpressif du moule social) ; il est encore chez les fous et les artistes malheureux, qui sont captifs de leur subjectivité ; il y a enfin l'esquisse de la maîtrise, celle qu'atteste l'écriture apte à composer les ambiguïtés du fantastique, celle que dit la volonté humaine capable de défaire l'illusion de la mécanique et celle d'une omnipotence de la subjectivité. On peut, sur ces bases, proposer une typologie des récits d'Hoffmann. D'abord, les récits de la défaite et du primat de la mécanique : les Élixirs du diable en sont une bonne illustration – le thème satanique marque la dépossession, en même temps que le thème du double atteste que toute identité renvoie à une identité antérieure et se trouve prise dans une tautologie symbolique qui fait du sujet la réitération d'un modèle. Ensuite, les récits de la lutte de l'art et de la vie, récits qui expriment la tentative de maîtriser la symbolicité : c'est le thème du Chat Murr. Enfin, les récits de la maîtrise de la symbolicité, c'est-à-dire des signes du rêve et du fantastique, illustrés par le Vase d'or et la Princesse Brambilla.

   Cette typologie enseigne que l'œuvre d'Hoffmann porte une manière de fable : celle du pouvoir de l'écrivain sur les signes de l'homme, de sa société et de ses croyances ; ce pouvoir doit rédimer la misère même de l'écrivain de façon symbolique : la maîtrise des signes de l'homme est simultanément maîtrise de la situation existentielle et artistique de l'écrivain Hoffmann. C'est dire que le fantastique, en tant qu'il est reprise d'un langage reçu, mais privé de pertinence certaine, devient discours de l'artiste et de son épreuve créatrice. La notion d'objectivité est en elle-même paradoxale : la vérité du quotidien est dite par un sujet qui peut dire en même temps sa vérité. Toute parole est recherche du monde et aussi infraction à sa présence. Croire ou ne pas croire qu'Olimpia, la poupée, est un quasi-être vivant, ce n'est pas jouer sur l'illusion, ni sur quelque métamorphose de l'inanimé dans l'animé, mais sur l'indissociable de la vérité et d'une vérité qui appartient à quelqu'un.

   Suivant Hoffmann lui-même (« le poète, l'écrivain dont l'imagination transporte les images de la vie courante dans le monde romantique de ses visions, et qui les reproduit ensuite dans tout l'éclat qui en rejaillit sur elles, comme sous une admirable parure d'emprunt, n'est-il pas en droit de se réclamer de ce grand artiste et de dire qu'il a voulu travailler à la manière de Callot ? »), le fantastique ne peut donc être un mensonge ; il est la parure du quotidien et le moyen, par là, d'exprimer la vérité de ce quotidien. C'est dire que le jeu de distance et de déformation qu'introduit le fantastique est une accommodation sur l'objet et la preuve du pouvoir symbolique de l'écrivain.

    

Contes fantastiques. Sous ce titre générique, on réunit traditionnellement les Fantaisies à la manière de Callot, les Contes nocturnes, les Contes des frères Sérapion, et l'ensemble des récits qui comprennent, entre autres, le Majorat, le Chat Murr, l'Ennemi de la musique. Outre les rapports qui peuvent être établis entre ces contes et une problématique de la création littéraire, Hoffmann y affirme les droits du rêve sans les séparer de l'affirmation du poids du réel et en inscrivant, à l'intérieur même de la personnalité, cette dualité qui trouve sa parfaite expression dans le thème du double. L'œuvre reprend la tradition des Märchen en marquant que ces récits, à la fois merveilleux et légendaires, n'appartiennent plus au seul mode de l'oralité, mais à la vie quotidienne et même citadine. Dire l'ailleurs et dire le diable, fût-ce sous une forme conventionnelle, c'est inévitablement dire l'actualité inquiétante du lecteur, qui doit reconnaître la folie et le désordre psychique. Le fantastique naît de l'alliance de cette tradition littéraire, de ces références religieuses usuelles, des notations pathologiques, et du rappel constant de l'excentricité qui définit le moi et qui n'est réductible à aucun des discours reçus. À ce point, il y a un rapport exact entre fantastique et entreprise littéraire : si aucun discours n'a le pouvoir d'attester, la littérature tout entière relève du fantastique. C'est pourquoi, sous le mythe du rêve et de l'ailleurs, subsiste, chez Hoffmann, le mythe du livre, cet objet capable de recueillir toutes les traces d'une activité qui ne cesse d'avouer à la fois son improbabilité et sa réalité.

Les Élixirs du diable (1815-1816), roman inspiré par le Moine de Lewis. Frère Médard, après avoir goûté certain « élixir du diable », est irrésistiblement poussé au mal et jeté dans une série d'aventures où hasard et préméditation, remords et concupiscence, rêve et réalité se confondent inextricablement ; il est poursuivi par un « double » qui tantôt le ramène au mal, tantôt le châtie, tantôt expie à sa place. Après des années d'errance, Médard revient au couvent, fait pénitence, sans parvenir à la paix avec lui-même. L'intrigue se perd dans un dédale de rebondissements, et de coïncidences sur le modèle du roman populaire qui marquent aussi le désir d'explorer la face inquiétante de l'esprit humain : le cauchemar de frère Médard fourmille d'images où la psychanalyse et le surréalisme ont reconnu des pressentiments de leurs découvertes.