Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
F

Fitzgerald (Penelope)

Romancière anglaise (Lincoln 1916 – Londres 2000).

D'abord biographe, elle révèle son talent dans ses deux premiers romans : l'Enfant d'or (1977), la Librairie (1978). Avec le troisième, Offshore (1977), elle remporte le Booker Prize. La trahison est le thème commun à presque toutes ses œuvres ; l'humanité se divise en exterminateurs et exterminés. La même intelligence brille dans Voix humaines (1980), qui se déroule durant la Seconde Guerre mondiale, dans les studios de la BBC, et Chez Freddie (1982), situé dans une école d'art dramatique. Les derniers romans, toujours aussi concis, marquent une légère baisse d'inspiration.

Flamenca

Ce roman occitan (vers 1235-1250) de 8 095 vers a probablement été écrit par un clerc du Rouergue attaché à la famille de Roquefeuil. Il est conservé dans un seul manuscrit dont la fin manque. Reprenant le motif du castiagilos (la punition du jaloux), le roman met en scène une héroïne, Flamenca, victime de la jalousie immotivée de son mari. Enfermée par le jaloux, elle parvient à se libérer grâce aux ruses du chevalier Guillaume, qui s'est fait clerc pour pouvoir approcher celle qu'il a aimée « de loin », et elle retrouve la confiance de son mari au moment où elle s'est engagée dans cette liaison. Ce roman très audacieux donne forme narrative à des motifs clés de l'érotique des troubadours comme l'« amour de loin », le motif de la « mal-mariée », l'exaltation de l'adultère, la punition du « jaloux ». Les péripéties qui retardent l'union des amants (ils échangent un mot à l'église chaque dimanche et chaque jour de fête) sont surtout le prétexte à de longs monologues et débats qui développent une très subtile casuistique du sentiment amoureux. La morale de l'histoire est que l'amour doit être source d'épanouissement pour l'homme comme pour la femme et d'harmonie pour la société. Flamenca devient à la fois une femme et une amante comblées. Le mari, guéri de sa folie furieuse, retrouve sa place dans la société courtoise tandis que le pseudo-clerc amant reprend sa carrière de chevalier. Ce chef-d'œuvre très isolé du roman en langue d'oc ouvre la voie à la fois au conte galant et au roman psychologique.

Flammarion (Camille)

Astronome et écrivain français (Montigny-le-Roi, Haute-Marne, 1842 – Juvisy-sur-Orge 1925).

Autodidacte et passionné d'astronomie, il publia de nombreux ouvrages de vulgarisation scientifique (la Pluralité des mondes habités, 1862 ; Astronomie populaire, 1867-1879), mais aussi des romans servant à développer des hypothèses : Uranie (1889), la Fin du monde (1894). Oubliant parfois l'objectivité scientifique, il s'orienta vers l'occultisme (l'Inconnu et les Problèmes psychiques, 1900).

Flaubert (Gustave)

Écrivain français (Rouen 1821 – Croisset 1880).

Maître malgré lui du mouvement réaliste, précurseur inconscient du roman moderne et ancêtre du nouveau roman, artisan du style et fondateur de la littérature « en soi », Flaubert est aujourd'hui l'une des figures mythiques de la littérature.

   Fils d'un chirurgien rouennais, il a connu dès l'enfance l'ennui, celui du collège et de la province. Observateur hilare ou blessé de la médiocrité et de la bêtise bourgeoises (il imagine, en 1837, avec ses camarades de collège, le personnage du « Garçon », esquisse de Homais, et écrira un Dictionnaire des idées reçues, sorte de sottisier publié en 1911), fasciné très tôt par le théâtre, l'Orient, l'Antiquité, il tend à s'exclure du monde et à ne « voir dans les gens qui l'entourent que des livres ». La maladie de nerfs qui l'atteint en 1844 cristallise cette tendance au repli ; il dit « à la vie pratique un irrévocable adieu ». « Le seul moyen de n'être pas malheureux, c'est de t'enfermer dans l'art et de compter pour rien tout le reste », écrit-il à son ami A. Le Poittevin, l'un des destinataires de sa volumineuse Correspondance. Sa véritable vie d'écrivain commence donc, après ses études de droit à Paris, avec la réclusion qu'il s'impose dans sa maison de Croisset qu'il habite avec sa mère et qu'il ne quittera que pour quelques voyages, avec Maxime Du Camp en Bretagne (1847) et en Orient (1849-1851), puis seul en Algérie et en Tunisie (1858), et pour quelques brefs séjours à Paris dans les milieux artistiques et littéraires où il rencontra sa maîtresse, Louise Colet, en 1846, avec laquelle il entretiendra une volumineuse correspondance, témoignage irremplaçable sur sa vie d'écrivain.

Vers le réalisme

Ses premiers travaux étaient marqués par l'autobiographie (et notamment par le souvenir d'un amour de jeunesse pour Élisa Schlésinger, rencontrée à Trouville en 1836) et le lyrisme romantique ; les Mémoires d'un fou (1838), Novembre (1842) et la première version de l'Éducation sentimentale (1845) préparaient l'allégorie flamboyante de la Tentation de saint Antoine, qui sera condamnée sans appel par les amis de Flaubert, Maxime Du Camp et Louis Bouilhet (c'est la troisième version seulement de cette œuvre qui sera publiée en 1874). Flaubert faisait « deux parts dans le monde et en lui » : l'élément « externe », varié, multicolore, spectaculaire, et l'élément « interne », dense et ouvert aux « rayons de l'Esprit » par la « fenêtre de l'intelligence ». Sur le conseil de ses deux censeurs, il fait taire la première au profit de la seconde et fonde l'écriture artisanale. En refusant de « rapetisser l'Art à la satisfaction d'une personne isolée » (lettre à Louise Collet, 14 Août 1846), il pose la littérature en objet, extérieur à son créateur et à son modèle, « terme d'une fabrication, comme une poterie ou un joyau » (R. Barthes, le Degré zéro de l'écriture) et en même temps « signifie » cette fabrication : le labeur de l'écriture (harassant pour Flaubert, qui se compare à un bœuf de labour) se lit au travers de chaque phrase, dont le rythme clos fait un objet fini. Flaubert éprouve dans son « gueuloir » les lourds matériaux que sa phrase « laisse retomber avec le bruit intermittent d'un excavateur » (Proust, « À propos du "style" de Flaubert »). « L'Idée n'existe qu'en vertu de sa forme », pense Flaubert, et cette forme doit approcher une perfection dont il faut fonder les lois (« la prose est née d'hier ») à force de reprises, de minutie et de douleur. En tentant cette « codification grégorienne du langage littéraire » (R. Barthes), il ambitionne un style « qui serait rythmé comme le vers, précis comme le langage des sciences et avec des ondulations, des ronflements, des aigrettes de feu, un style qui vous entrerait dans l'idée comme un coup de stylet ». Le style est « à lui seul une manière absolue de voir les choses » et « les grands sujets font les œuvres médiocres » : Flaubert, en passant du « débraillé » de Saint Antoine au « boutonné » de Madame Bovary (1857) a tenté, en choisissant un sujet terre à terre, d'écrire un « livre sur rien ». Le modèle, pourtant, reste indispensable, et à la croix de l'écriture s'ajoute celle de la documentation. Il s'agit, pour « faire sentir presque matériellement les choses », de s'emplir du sujet et surtout de tout voir. Flaubert dévore le monde des yeux et le restitue en « visuel », en peintre (« Dans mon roman carthaginois, je veux faire quelque chose pourpre »). De là l'abondance des descriptions, la succession des tableaux, le refus des exigences du discours romanesque : la narration ennuie Flaubert ; après avoir englouti le monde (par le regard et la lecture), il veut le régurgiter par le moyen d'un texte automoteur et narcissique « qui se tiendrait de lui-même par la force interne du style comme la Terre sans être soutenue se tient en l'air ».

Madame Bovary (1857). La censure pointilleuse du second Empire s'alarma et fit poursuivre pour immoralité son auteur, qui fut d'ailleurs acquitté. La trame de l'action était cependant bien banale : une jeune fille de province, d'origine paysanne, mais élevée en « demoiselle » au couvent, croit échapper à sa condition en épousant un « officier de santé » médiocre, Charles Bovary. Très vite, elle déchante : son mari est un lourdaud, sans avenir ni imagination, et la platitude de sa vie écrase la romanesque Emma. Elle croit se consoler en trompant son mari, mais ses amants ne sont, eux aussi, que leurres. Couverte de dettes, désespérée, elle se suicide. Charles, qui a découvert par hasard son infortune, meurt de chagrin. L'histoire de ce fait divers n'est qu'apparence ; Madame Bovary est l'« épopée » de la médiocrité et le suicide d'Emma pourrait bien n'être que celui de Flaubert, qui se reconnut un jour en elle. L'épilogue du roman, à travers le destin de deux personnages secondaires, est d'ailleurs emblématique : orpheline, la petite fille de Charles et d'Emma travaille pour gagner sa vie dans une filature de coton ; Homais l'apothicaire, incarnation de toute la bêtise et de la cupidité du siècle, reçoit « la croix d'honneur ».

Salammbô (1862). Salammbô est, selon G. Genette, « l'exemple bien connu d'un récit comme écrasé par la prolifération de son propre décor ». Flaubert, depuis longtemps, « porte l'Antiquité dans ses entrailles » mais l'exotisme (temporel et géographique), que l'on retrouvera dans Hérodias (l'un des Trois Contes, 1877), est un moyen de décrire un univers clinquant et chaotique, où tout doit sonner creux. « L'Orient est un vaste bazar sur fond de néant » (J.-P. Richard) ; la multiplicité de ses images lointaines est l'écho de l'incohérence, du morcellement de la proche réalité de Madame Bovary et surtout de l'Éducation sentimentale (1869). Flaubert y rejette le mouvement narratif au profit de l'immobilité ordonnée des états successifs d'une réalité qui ne tolère qu'un ordre imposé artificiellement, a posteriori. D'où la circularité du temps et de l'espace flaubertiens : Flaubert construit son roman « comme une série de foyers à partir desquels, en avant, en arrière, de tous côtés, il y a un déploiement d'objets et un rayonnement à la fois temporel et spatial » (G. Poulet). L'ordre purement formel qui organise la réalité romanesque flaubertienne supprime l'action au profit de l'impression et gomme les intervalles temporels, les articulations logiques du récit, instituant des « blancs », des « silences », que le raisonnement devra combler.

   De Madame Bovary, confinée dans le médiocre quotidien de la campagne normande, à la flamboyante Salammbô, la différence est moins d'ordre thématique que générique : en dépit des apparences, le récit antique n'est pas un roman. Psychologie sommaire, importance accordée aux êtres collectifs que deviennent Carthage ou les mercenaires, réduplication, en abîme, de la geste des deux peuples par des figures les incarnant, structure, enfin, qui, d'un festin à l'autre, accumule les atrocités sous forme de liste, tout concourt à en faire une épopée. Même l'épisode amoureux échappe au romanesque, ne trouvant son expression que dans l'épique. La guerre constitue, en effet, un substitut à l'amour : les substantifs chargés de décrire le combat, « désir », « étreinte », « pénétration », frappent par leur connotation érotique. Surtout, l'un et l'autre sont vécus sur le mode de l'absence : au fil des quinze chapitres, on se cherche, on s'évite, amants et belligérants. Une seule union, sous la tente, que le texte, pris d'une pudeur subite, se refuse à rapporter, et qu'annonce le récent corps-à-corps des armées à la bataille du Macar – encore cet unique combat repose-t-il sur un piège que tend Hamilcar en simulant la déroute. C'est par une tactique similaire que le suffète anéantira l'armée rebelle, prisonnière du « défilé de la Hache », périssant lentement de faim. En écho, la mort de Mathô, écorché par une foule tenue à distance, permettra de concrétiser, dans la mort, l'impossible union de la déesse Tanit (profanée par le vol de son voile sacré, le zaïmph, comme en la personne de sa prêtresse, Salammbô) et de Moloch (incarné par le solaire Mathô). Mais la conquête a réussi (« Cet homme qui marchait vers elle l'attirait ») et, puisque le héros succombe sans parvenir jusqu'à Salammbô, c'est elle qui le rejoindra.

L'Éducation sentimentale (1869). L'Éducation sentimentale est l'œuvre type de la « méthode » de Flaubert en littérature : c'est la reprise de plusieurs ébauches (Mémoires d'un fou, 1838, et Novembre, 1842) et d'un premier récit avorté (première version de l'Éducation sentimentale, 1843-1845) ; c'est l'épanouissement dans l'écriture d'un des événements fondateurs de son mythe personnel, la rencontre, en 1836, à Trouville, d'Élisa Schlésinger ; c'est, avec le personnage de Marie Arnoux, l'aboutissement d'un idéal féminin qui, de la Maria des Mémoires d'un fou en passant par Emma Bovary, devient un type obsessionnel ; c'est un document sociologique sur 1848 (« Je veux faire l'histoire morale des hommes de ma génération ») ; c'est enfin une somme de la philosophie flaubertienne de la vie : l'échec d'un amour romantique, vécu par un antihéros – Frédéric Moreau – est l'image et le modèle de l'échec d'une jeunesse qui s'est trompée de révolution (un « monde en creux »). L'écriture du roman, en proie à une « asyndète généralisée » (R. Barthes), joue sur la rupture et les « blancs » du texte, que Proust remarqua et qui rendent le morcellement et l'incohérence de la réalité, obligeant le lecteur à reconstituer « la petite monnaie logique » glissée dans les interstices.

Trois contes (1877). La rédaction des Trois Contes (Un cœur simple, la Légende de saint Julien l'Hospitalier, Hérodias) correspond, dans la vie de Flaubert, à une période difficile. L'écrivain doit faire face à des soucis financiers importants et certains événements l'ont fortement ébranlé : la guerre et l'invasion prussienne, la mort de sa mère (1872), les échecs au théâtre. Bouvard et Pécuchet n'avance pas : c'est une tâche harassante.

   Un cœur simple, aux dires mêmes de Flaubert, est « le récit d'une vie obscure, celle d'une pauvre fille de campagne, dévote mais mystique, dévouée sans exaltation et tendre comme du pain frais. Elle aime successivement un homme, les enfants de sa maîtresse, un neveu, un vieillard qu'elle soigne, puis son perroquet ; quand le perroquet est mort, elle le fait empailler, et en mourant à son tour elle confond le perroquet avec le Saint-Esprit ». Les deux aspects du personnage central, Félicité, sont révélés dans le titre : cœur, elle est un personnage d'amour et de bonté, une figure de sainte ; simple, elle n'échappe à la vraie bêtise (la prétentieuse, l'obsession de Flaubert) que grâce à son humilité. D'où un récit à la fois tendre et ironique, où Flaubert tente d'appliquer à l'univers et au style de Madame Bovary le conseil de George Sand : puiser l'inspiration dans son passé, ouvrir son cœur. Cependant, l'impassibilité traditionnelle de la narration flaubertienne n'est pas réellement altérée et Un cœur simple ne contient que peu d'infractions au « parti pris d'impartialité » (R. Debray-Genette) de l'écrivain.

   Pour écrire la Légende de saint Julien l'Hospitalier, Flaubert s'est inspiré de textes du XIIIe s. (la Légende dorée de Jacques de Voragine, le Speculum historiale de Vincent de Beauvais) et d'un vitrail de la cathédrale de Rouen, représentant la vie du saint : Julien, un jeune seigneur, se fait un jour prédire qu'il assassinera ses parents. Épouvanté, il s'enfuit du château paternel, mais son destin s'accomplit et il devient parricide. Pour expier, il finit sa vie comme passeur et reçoit chez lui les voyageurs, jusqu'à sa rédemption.

   Hérodias illustre un thème biblique : les derniers jours de saint Jean-Baptiste, racontés dans l'Évangile et représentés sur un tympan de la cathédrale de Rouen. Délaissant la personnalité du saint, Flaubert s'est servi de ses souvenirs orientaux, de sa documentation historique et de l'expérience de Salammbô pour décrire une société en décadence, univers de querelles et d'affrontements ; affrontements psychologiques, mais aussi politiques, raciaux et religieux. Les malédictions de Iaokanann (saint Jean) ponctuent un récit centré sur des épisodes païens : le banquet « antique », la danse de Salomé, la décollation de Jean. Pour Flaubert, le monde malade d'Hérode est plus fascinant, dans sa réalité, que le monde parlé du prophète.

Bouvard et Pécuchet (1881). C'est à une logique d'accumulation, d'empilement qu'aboutit Flaubert avec l'œuvre inachevée de Bouvard et Pécuchet : plus encore que le monde intérieur ou l'histoire, la connaissance est morcelée et contradictoire ; l'histoire des deux copistes autodidactes symbolise la difficulté d'une entreprise démiurgique : embrasser la réalité tout entière (savoir et sensations), saisir l'histoire – bruit, fureur et bêtise – du point de vue d'une « blague supérieure, c'est-à-dire comme le bon Dieu les voit », et l'emprisonner dans une langue fabriquée à sa mesure. La rédaction de ce roman « philosophique », pendant de la Tentation de saint Antoine, a presque exclusivement occupé les dix dernières années de la vie de Flaubert, dépassant de loin en labeur et en souffrances la pourtant difficile gestation des romans dits « de la maturité ». Cette œuvre concrétisait un vieux projet, déjà partiellement réalisé dans le Dictionnaire des idées reçues : une « espèce d'encyclopédie critique genre farce », évoquant tout à la fois les théories philosophiques, scientifiques, littéraires et techniques, à travers le prisme étroit de deux esprits naïfs et médiocres, ceux de deux gratte-papier parisiens retirés à la campagne.

   Réinventer le monde à partir des livres, c'est aussi le travail de Flaubert (« leur bêtise est mienne et j'en crève », écrit-il de ses deux personnages) : 1 500 ouvrages consultés, « un dossier de notes de huit pouces d'épaisseur ». La rage de la documentation n'aboutit plus, comme pour Salammbô, à un extraordinaire décor. Flaubert inventorie, répertorie et remplace la progression romanesque par l'accumulation et la juxtaposition des idées comme des épisodes : au fil des livres et des expériences, Bouvard et Pécuchet « échouent avec une monotonie d'insectes sans mémoire » (J.-P. Richard), mais une « faculté pitoyable » s'est développée dans leur esprit, « celle de voir la bêtise et de ne plus la tolérer ». Foudroyés par cette révélation, les « deux bonshommes » se laisseront aller à la mélancolie, sans saisir ce salut résigné que Proust leur offrira dans les Plaisirs et les Jours (« Mondanité et Mélomanie ») : la transsubstantiation des « idées reçues » en « opinions chics », devenir, avant la lettre, des Swann ou des Verdurin. Le plan envisagé par Flaubert prévoyait le retour final des « deux cloportes » à leur activité première : la copie. Celle-ci, clef de voûte de l'œuvre (jusque dans les épisodes « politiques » : 1848 n'est que la copie de 1789 et 1830), en est à la fois le sujet et la matière. Matière difficile à circonscrire puisque la copie ne connaît ni échec ni limites. Une fois la trame narrative abandonnée et le roman dépassé, Flaubert débouche sur une impossibilité ; Bouvard et Pécuchet est peut-être une œuvre inachevée parce qu'elle correspond à un travail infini.

   Car, alors que Lautréamont liquide le romantisme en faisant des Chants de Maldoror un « collage » de tous ses lieux communs et de tous ses tics littéraires, en « bricolant » son écriture à partir de celle des autres, Flaubert se fabrique une écriture originale à partir de fragments de réel détournés de leur nécessité fonctionnelle au profit d'une existence purement esthétique : la vie prend le fameux rythme ternaire de la phrase, qui vise non le vrai mais le Beau. La réalité n'aura été qu'un « tremplin ».