Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Barons (Krišjānis)

Écrivain letton (Strutele 1835 – Riga 1923).

Il fut un des membres les plus éminents du mouvement « Jeune-Letton ». En 1878, il reprit le travail de collecte de chants populaires (Dainas) entrepris par le folkloriste Fricis Brīvzemnieks pour le poursuivre jusqu'à la fin de sa vie. Il publia ainsi en 6 tomes un vaste recueil de Chants populaires lettons (1894-1915), importante contribution à la culture du pays. Il fut également l'auteur de récits et de poèmes exprimant les aspirations progressistes de son époque. Son appartement de Riga, où il œuvra à la mise en forme de son recueil de chants populaires, a été transformé en musée.

baroque

Le baroque désigne moins un mouvement ou une époque, historiquement et géographiquement situés, qu'une manière que la modernité, depuis la fin du XIXe s., a de définir certaines formes esthétiques passées qui trouvent dans sa sensibilité une résonance particulière. Le mot s'applique aussi bien à la sculpture hellénistique qu'au délire psychédélique, à la musique qu'à la littérature et au cinéma. À l'origine, il désigne, en joaillerie, une perle irrégulière ou une pierre mal taillée ; pour Saint-Simon, une entreprise incongrue ; pour l'Encyclopédie méthodique (1788), « une nuance du bizarre ». Jusqu'à Wölfflin (Principes fondamentaux de l'histoire de l'art, 1915), qui en fait un concept d'esthétique générale (opposant l'art classique linéaire et fermé à l'art baroque pictural et ouvert), le baroque se définit négativement, et particulièrement en littérature : il est ce qui n'est pas classique ; il est l'obscur, l'exubérant, le décadent.

   Théorisé en Espagne par Balthasar Gracián et illustré par la luxuriance de Góngora, le baroque anime, en Italie, les subtilités de Marino et l'ironie populaire de Tassoni, en Allemagne le pathétique d'Andreas Gryphius et l'humour picaresque de Grimmelshausen, en Angleterre les délicatesses de l'euphuisme. Il inspire en France l'hermétisme de Maurice Scève, les raffinements macabres de Jean de Sponde, la mythologie sensuelle de Théophile de Viau et de Saint-Amant, les violences visionnaires d'Agrippa d'Aubigné. Dans cette perspective, il est lié au jeu idéologique de la Réforme et de la Contre-Réforme et domine de la fin du XVIe au milieu du XVIIe dans les pays de civilisation catholique ainsi que dans les groupes et classes extérieurs à la bourgeoisie (aristocratie, clergé, paysannerie). Le baroque triomphe dans les poèmes cosmogoniques et métaphysiques, les tragi-comédies, les pastorales, dans la composition des Essais de Montaigne, les premiers poèmes de Malherbe.

   Art du reflet et de l'apparence (à travers les thèmes favoris de l'eau, du miroir, du masque, à partir desquels J. Rousset a proposé de reconnaître l'esthétique baroque), fondé sur un système d'antithèses, d'analogies et de symétries, le baroque est un art fortement structuré où les métaphores et les périphrases jouent le même rôle que les volutes et les spirales dans l'organisation des volumes architecturaux, tout en assurant par les ruptures de style la présence constante de l'imagination et de la surprise. Prônant la validité morale et artistique de l'artifice contre le naturel, le baroque, par cette valorisation du paraître et ce phénomène d'ostentation généralisée, fait de l'expression littéraire à la fois la représentation des apparences et la médiation permettant d'aller au-delà de ces dernières. Robert Garnier et Rotrou jouent ainsi des ambiguïtés du rôle et du masque : l'acteur va à la rencontre de lui-même à travers le drame d'un autre qu'il a d'abord cru incarner pour le jeu d'un moment. Qu'il s'agisse de l'acteur ou du héros, le baroque ne connaît que des êtres de métamorphose. Et le vertige du déguisement n'est que celui de la vérité : le théâtre espagnol du Siècle d'or atteste que, si la vie est un songe, le mirage est encore miroir, imago mundi. Le baroque finit ainsi par assimiler l'ostentation à une propédeutique de la perception et l'ornement à l'effacement même du masque (comme en témoignent les débats sur l'éloquence sacrée et les Dicerie sacre de Marino au début du XVIIe s.). Jouant sur l'évidence et l'autonomie du signe, la liberté du geste, l'aptitude à inventer la totalité d'une rhétorique, le baroque est ainsi la « littérature au superlatif », la littérature qui se saisit d'elle-même.

Barrada (Mohammed)

Critique et romancier marocain (Rabat 1938).

Universitaire et critique littéraire renommé, il est l'auteur de plusieurs récits largement autobiographiques sur son enfance (le Jeu de l'oubli, 1987) et sa vie d'étudiant dans l'Égypte nassérienne (Tel un unique été, 1999).

Barral (Carlos)

Écrivain et éditeur espagnol (Barcelone 1928 – id. 1989).

Ses poèmes témoignent d'une vive préoccupation pour les problèmes de l'Espagne de son temps (Usures et Figurations, 1970). Éditeur depuis 1950, il a joué un rôle décisif pour la diffusion de la culture mondiale dans son pays. Ses Mémoires (les Années de pénitence, 1975 ; les Années sans excuse, 1978) décrivent le passionnant itinéraire d'une conscience exigeante toujours en quête d'elle-même.

Barrès (Maurice)

Écrivain et homme politique (Charmes, Vosges, 1862 – Neuilly-sur-Seine, 1923).

Après des années difficiles dans un collège religieux, Barrès entre à l'internat du lycée de Nancy, où il passe le baccalauréat. À 20 ans, il est à Paris pour suivre des cours de droit mais il fréquente surtout les milieux littéraires. Bien qu'il soit nourri du rationalisme de Renan et de Taine, il pose au dandy, que séduit le « nihilisme contemporain ». Ces contradictions sont en partie dépassées dans la trilogie du Culte du moi : Sous l'œil des Barbares (1888), Un homme libre (1889), le Jardin de Bérénice (1891). Écrits sous l'influence de P. Bourget et de Stendhal, ces livres sont le récit d'expériences tentées pour développer la conscience personnelle : l'égotiste élabore une méthode originale, faite d'un mélange de spontanéité sensible et de jugement intellectuel, « afin de sentir le plus possible en analysant le plus possible ». Ses méditations intérieures, enveloppées de mélancolie, Barrès les présente avec un raffinement d'esthète mais assez lucidement pour nous prévenir que sa préciosité reste « railleuse d'elle-même ». « Soyons ardents et sceptiques » est un conseil qu'il suivra toute sa vie.

   Cependant, il a très jeune l'ambition de faire carrière en politique. Après un premier échec, il est élu député boulangiste à Nancy, en 1889. Puis, comme candidat nationaliste, il échoue cinq fois de suite. En 1906, c'est la gloire : il est élu à l'Académie et député à Paris ! La politique ne sera jamais pour lui un divertissement – comme il l'a laissé croire – mais une activité à laquelle il s'est consacré avec passion : la plupart de ses œuvres sont autant d'interventions directes dans l'actualité politique.

   Son engagement est fondé sur une doctrine très cohérente qui apparaît d'abord dans la trilogie du Roman de l'énergie nationale : les Déracinés (1897), l'Appel au soldat (1900), Leurs figures (1902). Seul le premier est un vrai roman ; ensuite, bien qu'on retrouve les mêmes personnages, le récit se transforme en pamphlet. Les déracinés sont ces lycéens de Nancy que Bouteiller, leur professeur de philosophie, « ivre de kantisme », a poussés à continuer leurs études à Paris. Les mieux armés socialement supportent d'être arrachés à leur sol et à leur milieu social mais, pour les boursiers, l'échec est total : l'un deux, devenu criminel, finit guillotiné. La démonstration est donc sans nuance ! Mais Barrès réussit, par une mise en scène impressionnante, à hausser le débat d'idées, quand il évoque Napoléon, « ce carrefour d'énergie » ou V. Hugo, « la plus haute magistrature nationale ». À partir de 1898, il est parmi les plus violents antidreyfusards. Il pratique un antisémitisme effréné et lance des attaques ignobles contre ses adversaires. Pour lui, il n'existe pas de vérité en soi, seulement des vérités relatives et donc, à propos de Dreyfus, la raison d'État l'emporte sur toute autre considération. Suivant Taine, et surtout Le Bon et J. Soury, il affirme que l'individu, la nation sont strictement déterminés par l'appartenance à une race, à une histoire : « Nous repassons tous dans les pas et la pensée de nos prédécesseurs. » Le culte de la terre et des morts (1899) succède au culte du moi. Bien qu'il n'ait pas la foi, Barrès a été un défenseur ardent de l'Église contre la laïcisation de l'État, mais il reste républicain. À partir de 1914, il a soutenu à fond la politique de l'Union sacrée par des articles quotidiens qui sont aujourd'hui illisibles.

   La Colline inspirée (1913) est un véritable roman poétique, celui d'un prêtre qui, sur la colline de Sion, un de ces « lieux où souffle l'esprit », rétablit un vieux culte abandonné. Mais son égarement mystique le fait condamner par l'Église. Sauvé par le dévouement d'un autre prêtre, il peut revenir au sacerdoce. À travers ce drame, c'est l'opposition entre l'esprit de liberté, d'inspiration, et « la règle, l'autorité, le lien » que Barrès voudrait dépasser. La fascination qu'il a toujours eue pour l'Orient se retrouve dans le Jardin sur l'Oronte (1922) : l'amour d'un chevalier chrétien pour une sarrasine, dans la Syrie des croisés, est racontée comme une violente histoire de volupté et de mort. Ce récit lyrique d'une passion hors des normes a surtout scandalisé ses amis politiques... Dans ses Cahiers – des notes prises de 1896 à 1923, – il est d'une grande sincérité avec lui-même. Il n'affecte pas son émotion pour évoquer sa mère ou son fils ; il sait dire la grandeur de Jaurès ou de Clemenceau qu'il a tant combattus. Mais il reste contraint, limité par le déterminisme qu'il s'est inventé : il ne fait pas d'effort pour connaître les écrivains plus jeunes. Au contraire, ses rêveries, soutenues par une prose admirable, ont encore de longues résonances.