Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Scève (Maurice)

Poète français (Lyon v. 1500 – id. v. 1560).

Scève publie d'abord, en 1535 la Déplorable Fin de Flanette, roman traduit d'un ouvrage de Juan de Flores, lui-même imité de la Fiammetta de Boccace. Mais c'est à sa victoire dans le concours de blasons de Ferrare, sous l'égide de Marot (1536), que le poète dut sa première notoriété. La même année, à l'occasion de la mort du Dauphin, il publie une élégie et quatre épigrammes latines, deux huitains français et une églogue allégorique, Arion. En 1544, Délie, objet de plus haute vertu, premier des canzoniere français d'inspiration pétrarquiste, constitué de 449 dizains décasyllabiques, lui assure une gloire définitive. Comme chez Pétrarque, une expérience réelle se profile en filigrane dans l'ouvrage : les relations amoureuses qui lièrent le poète à Pernette du Guillet. Mais cet arrière-plan autobiographique s'efface devant l'aventure spirituelle et initiatique : la quête d'une nouvelle vie par-delà la mort à travers laquelle doit passer l'amant. D'origine pétrarquiste, le thème de la « vie dans l'autre » par la mort à soi-même puise une nouvelle vigueur dans la métaphysique de l'amour élaborée par Marsile Ficin. Mais ce que Ficin évoque comme une sereine béatitude est vécu, dans la Délie, comme une douloureuse épreuve. Écartelé entre le désir de revivre et la peur de se perdre, entre l'espoir d'une nouvelle naissance et l'effroi de l'autodestruction, l'amant vit une situation tragique à laquelle il n'est de remède que le consentement à son destin : voué à une contradiction insurmontable, il doit vivre à la fois la vie et la mort, la souffrance et la joie, l'unité et la séparation.

   Si le poète de Délie se résigne à une situation aussi tragique, c'est qu'à ses yeux l'amour est une voie qui, à travers la souffrance, ouvre l'accès à la plus haute réalisation de l'homme. Mais ce qui, plus que tout peut-être, rend singulière l'expérience spirituelle de la Délie, en même temps que son mode d'écriture poétique, c'est l'extrême lucidité avec laquelle le poète entreprend d'enregistrer chacun des moments de cette expérience. Un rigoureux travail d'analyse se charge d'extraire, avec le plus de précision possible, de chaque instant vécu, de chaque expérience quotidienne sa signification éternelle. Poésie de haute ambition spirituelle qui ne se perd jamais dans l'abstraction et conserve le contact avec la réalité concrète. Il est une autre singularité de la Délie : le recueil est entrecoupé de 50 emblèmes (figures inscrites dans un cadre et accompagnées d'une devise) qui le divisent en cycles de dix dizains. Une relation sémantique directe s'observe, dans la plupart des cas, entre la légende de l'emblème et l'un des vers du dizain suivant, entre un emblème et un autre emblème, ou encore entre tel emblème et tel dizain éloigné.

   De 1543 à 1546 environ, Scève semble s'être retiré du monde (dans un monastère peut-être). C'est à cette retraite que fait allusion la Saulsaye, églogue de la vie solitaire (1547). Mais, en 1548, il est l'un des principaux organisateurs des festivités somptueuses qui marquent l'entrée du roi Henri II à Lyon. Il est alors à l'apogée de sa gloire. Il reste cependant, dans les années 1550-1555 marquées par le fulgurant essor de la Pléiade, à l'écart de la nouvelle école, en dépit des hommages flatteurs qu'elle lui prodigue. Il participe en revanche aux activités du cercle humaniste qu'anime Pontus de Tyard. En 1555, il publie trois sonnets, dont l'un dédié à Tyard et l'autre à Louise Labé. Sans doute les années 1555-1560 furent-elles principalement consacrées à la rédaction du Microcosme, achevé en 1559, mais publié seulement en 1562.

   Épopée à la gloire de l'humanité, ce second maître ouvrage de Scève appartient à la lignée des grands poèmes scientifico-philosophiques. Cependant, le Microcosme se rattache à des traditions beaucoup plus anciennes, dont deux, en particulier, occupent une place importante dans la pensée médiévale : la théorie, d'une part, de l'homme-microcosme (à laquelle l'œuvre de Scève doit son titre), élaborée au Moyen Âge et revivifiée, au XVe s., par Charles de Bovelles et les néoplatoniciens italiens, notamment Pic de La Mirandole ; la tradition, d'autre part, qu'on peut dénommer adamique et qui transfigurait Adam en une sorte de héros, éducateur de l'humanité entière. Tel apparaît précisément l'Adam du Microcosme, épopée à la gloire de l'homme considéré à la fois comme Homo faber et Homo sapiens. L'ouvrage comprend ainsi 3 livres : le premier retrace l'histoire de la Création divine et celle du péché originel ; le second évoque, sous la forme d'un rêve fait par Adam, les progrès accomplis par ses descendants dans les domaines des techniques, des sciences et des arts – progrès dont le tableau se poursuit, dans le troisième livre, sous la forme d'un long discours adressé par Adam à Ève. Hymne grandiose à la liberté humaine, le Microcosme est inspiré en profondeur par l'optimisme de la première Renaissance.

Schade (Jens August)

Écrivain danois (Skive, prov. de Viborg, 1903 – Copenhague 1982).

Amoraliste égocentrique dans son premier recueil, le Violon vivant (1926), sa sentimentalité s'exprime dans le Livre du cœur (1930) et sa nature de bohème « moitié clown, moitié mystique » culmine dans le Visage de la terre (1932). Son œuvre en prose mêle rêve et réalité, et comprend l'étrange récit Des êtres se rencontrent et une douce musique s'élève dans leurs cœurs (1944), doctrine de l'amour universel.

Scheerbart (Paul)

Écrivain allemand (Dantzig 1863 – Berlin 1915).

Il allie dans ses romans – rebelles aux classifications – la critique sociale à une imagination fantastique (Ça Promet !, 1898 ; Liwûna et Kaidôh, 1901 ; Lesabéndio, 1913) et un humour absurde, qui en font un précurseur du surréalisme. Poésie avinée (1909) n'est qu'un aspect de son talent poétique qui s'exprime avec autant de fantaisie, de goût pour le non-sens et la dérision dans les poèmes en prose qui ponctuent ses romans. Sous le titre de Bibliothèque théâtrale révolutionnaire, il a également publié de courtes pièces de théâtre, sortes de pochades sur le mode de la parodie et du persiflage.