Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Tolstoï (Lev [en français Léon] Nikolaïevitch, comte) (suite)

L'idéal religieux (1877-1910)

En effet, au moment où il termine Anna Karénine, Tolstoï traverse une crise morale qui aboutira à une Confession (1879-80, publiée en 1884) où il renie son passé d'écrivain, au nom d'un idéal évangélique qui seul, dit-il, pouvait donner un sens à sa vie. Quelle est ma foi ? (1882-1884) formule une éthique reposant sur la « non-résistance au méchant ». Découvrant à Moscou, où sa famille s'est installée pour que les aînés puissent y poursuivre leurs études, la profondeur de la misère urbaine, il tire de sa nouvelle conception du monde des conséquences sociales, exposées dans Que devons-nous donc faire ? (1882-1886) et l'Esclavage de notre temps (1899-1900) : la société se répartit en deux catégories dont la première, celle des oisifs, exploite la seconde. L'art n'échappe pas à cette condamnation radicale : Shakespeare, Pouchkine, Baudelaire, Manet, Beethoven ou Wagner ont été engendrés pour le plaisir de quelques-uns, au prix de l'exploitation du peuple. L'œuvre d'art ne se justifie que lorsqu'elle favorise le progrès moral. Ces théories, développées principalement dans Qu'est ce que l'art ? (1897-1898), expliquent la veine didactique des œuvres de cette période.

La Mort d'Ivan Ilitch (1884-1886). C'est l'évidence irréductible de la mort qui avait conduit Tolstoï, en proie au sentiment de l'absurdité, à se tourner vers la foi. En racontant les derniers jours d'Ivan Ilitch, homme ordinaire dont l'existence banale est bouleversée par l'annonce de sa mort prochaine, il voulait rendre sensible la notion chrétienne de « salut » : hanté par cette perspective qui le terrorise, effrayé par l'indifférence de ses proches (seul un jeune paysan lui révèle une manière humaine de mourir), Ivan Ilitch cesse finalement de lutter et c'est alors que la lumière l'envahit et que la peur l'abandonne. On retient surtout de ce récit l'impitoyable réalisme de la description très laconique des états d'âme du mourant ainsi que des réactions de son entourage.

La Sonate à Kreutzer (1887-1889, publiée en 1891). L'hypocrisie sociale ne défigure pas que la mort, elle masque aussi la véritable nature de l'union conjugale. Pozdnychev s'aperçoit que le lien qui l'unit à son épouse, Lise, repose sur la seule sensualité ; leur union se dégrade et la jeune femme s'éprend d'un violoniste, avec lequel elle joue la Sonate à Kreutzer, incarnation artistique de la « bestialité » charnelle. La jalousie pénètre lentement Pozdnychev qui, subitement revenu d'un voyage, surprend sa femme dînant avec le violoniste et la poignarde. Le Diable (1889-1890) revient sur cette condamnation de l'amour physique, qui est aussi au centre d'un drame écrit à la même période, la Puissance des ténèbres (1886), modèle de l'esthétique naturaliste, au titre emblématique.

Résurrection (1889-1899). Le dernier grand roman de Tolstoï, inachevé, n'a pas la force des deux précédents, il est entièrement tourné vers une démonstration, qu'annonce clairement son titre. Le prince Nekhlioudov séduit une paysanne orpheline, Katioucha. Membre d'un jury de tribunal, il la retrouve, prostituée et injustement accusée d'un meurtre ; pris de remords, il se propose de l'épouser et part avec elle pour la Sibérie après avoir distribué ses terres aux hommes qui les cultivent. Le trait est souvent grossi, le personnage de Nekhlioudov monolithique, mais le réquisitoire contre les institutions, qu'il s'agisse de la justice ou de l'Église (Tolstoï fut excommunié par le Saint-Synode en 1901), porte loin : l'art est mis, ici, au service de ses idées.

Hadji Mourat (1896-1904). Dans ce récit, au contraire, la portée idéologique est comme emportée par la force artistique du réalisme tolstoïen : souhaitant démontrer la barbarie du régime autocratique, l'auteur revient à ses souvenirs de jeunesse pour donner une figure de rebelle caucasien impressionnante de force, de noblesse et de vérité, mais aussi de poésie. Dépassé en quelque sorte par son propre génie, il refusa de publier ce récit, dont la lecture lui semblait offrir un plaisir beaucoup trop gratuit, sans doute parce que c'est ce sentiment qu'il avait éprouvé en l'écrivant.

La mort de Tolstoï

Pendant cette période, Tolstoï tente d'adapter sa conduite à ses idées : pour s'opposer à l'organisation sociale qui produit des maîtres et des esclaves, il refuse de se faire servir et participe aux travaux des paysans, dont il adopte le costume. Des jeunes gens férus d'égalité suivent son exemple, l'écrivain se sent engagé envers eux et le fossé avec sa famille se creuse. Dans la nuit du 27 au 28 octobre 1910, il fait secrètement atteler une voiture et part pour la gare en laissant une lettre d'adieu à sa femme. Il prend froid au cours du voyage et est contraint de descendre à la gare d'Astapovo. C'est là, dans l'isba du chef de station, que la mort le délivre, la nuit du 6 au 7 novembre, sous le regard de ses adeptes, accourus de toute la Russie.

Toman (Antonín Bernašek, dit Karel)

Poète tchèque (Kokovice, près de Slaný, 1877 – Prague 1946).

Après une jeunesse de révolte et de voyages (Contes du sang, 1898 ; Torse de la vie, 1902 ; Pèlerinage mélancolique, 1906 ; Cadran solaire, 1913), il devint le chantre méditatif de sa terre natale (Vers de famille et autres vers, 1918 ; Voix du silence, 1923 ; l'Almanach séculaire, 1926).

Tomasi di Lampedusa (Giuseppe)

Écrivain italien (Palerme 1896 – Rome 1957).

Aristocrate sicilien, antifasciste, il accomplit toute sa vie plusieurs voyages en Angleterre, en France et en Lettonie. Son unique roman le Guépard (1958), composé en 1955-1956 et publié au lendemain de sa mort par G. Bassani, puis mis en scène par L. Visconti (1963), a obtenu un énorme succès populaire, tout en divisant la critique par son mélange de réalisme et d'esthétisme. Renouvelant le genre du roman historique, Lampedusa narre à la fois la fin d'une grande famille sicilienne et celle d'une classe sociale à l'époque du Risorgimento. On lui doit aussi un recueil de nouvelles (le Professeur et la Sirène, 1961) et des essais consacrés à Stendhal et à la littérature française de la Renaissance.