Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

Laferrière (Dany)

Écrivain haïtien (Port-au-Prince 1953).

Journaliste de presse et de radio, il quitte Haïti en 1976 après l'assassinat de son meilleur ami par la milice. À Montréal, il écrit Comment faire l'amour avec un nègre sans se fatiguer (1985), le premier d'une série de dix romans formant sa grande « autobiographie américaine », qui se termine par le Cri des oiseaux fous (2000).

Lafferty (Raphaël Aloysius)

Écrivain américain (Neola, Iowa, 1914 – Broken Arrow, Oklahoma, 2002).

C'est à plus de 50 ans qu'il commença à écrire des textes de science-fiction qui le désignent comme l'un des plus joyeux tenants de la « new wave ». Derrière un humour rageur et une solide érudition mise au service du démon de l'extravagance, il procède au doublage de la réalité officielle au moyen de jeux carnavalesques pour démontrer l'impossibilité de prendre le réel au sérieux. Ses récits sont truffés de digressions (les Quatrièmes Demeures, 1969), jusqu'à devenir, dans l'Autobiographie d'une machine Ktistèque (1971), une suite informelle d'échappées sur la philosophie, la métaphysique, les mythologies ainsi que sur la littérature, d'Homère à Conan Doyle. Chants de l'espace (1968) est d'ailleurs une transposition dans l'espace et l'avenir de l'Odyssée. Pour décentrer le monde et fonder la légitimité de l'humanité non sur ses dérisoires capacités technologiques mais sur sa puissance d'illusion et d'invention, il expérimente une écriture « grotesque » mêlant les plans d'énonciation, les allitérations et les paronomases, les accumulations rabelaisiennes, les coq-à-l'âne et les tirades lyriques (Horns on their Heads, 1976 ; Archipelago, 1979).

Lafont (Robert)

Écrivain français d'expression française et occitane (Nîmes 1923).

Universitaire, spécialiste de linguistique, il a été, après 1952, le chef de file de l'occitanisme politique de gauche. Son œuvre est considérable et d'une grande diversité. Poète (Paroles au vieux silence, 1945 ; Dire, 1957 ; l'Heure, 1963 ; Air libre, 1974), il a placé la parole occitane dans une modernité militante. Romancier, il s'inscrit dans un présent qui rompt avec la tradition de la littérature d'oc par un refus du lyrisme et du pittoresque et par une inspiration délibérément existentialiste et littéraire : la Vie de Jean Larsignac (1951), les Chemins de la sève (1965), l'Icône dans l'Île (1971), l'Enclos (1992). Son œuvre théâtrale (la Louve, 1959 ; les Ventres noirs, 1967 ; Théâtre clos, 1969 ; les Grelots, 1977) se prête aux grandes fresques et aux mises en scène spectaculaires. Il est aussi l'auteur d'une Nouvelle Histoire de la littérature occitane (1970), d'études littéraires (son Mistral ou l'illusion paru en 1954 provoqua bien des polémiques), de nouvelles, d'ouvrages de linguistique et a fondé plusieurs revues. Par sa création littéraire aux multiples facettes et son action militante, R. Lafont a profondément influencé plusieurs générations d'occitanistes.

Laforet (Carmen)

Romancière espagnole (Barcelone 1921 – Madrid 2004).

Fine analyse des bouleversements intimes et des conflits de générations nés de la guerre civile, Nada (1944) est un des premiers romans marquant le renouveau du genre en Espagne. La Femme nouvelle (1955) est l'histoire d'une conversion. L'Insolation (1963), premier volume de la trilogie Trois Pas hors du temps, et la Fillette et autres récits (1970) évoquent l'inadéquation entre un individu et son entourage et la rupture qui en résulte.

Laforgue (Jules)

Écrivain français (Montevideo 1860 – Paris 1887).

Sa brève existence pourrait être placée sous le signe du déracinement : quittant son Montevideo natal, il passe à Tarbes une adolescence sombre et solitaire, puis gagne Paris pour cultiver la pauvreté en même temps que des rêves de gloire littéraire. Là, il devient secrétaire d'un riche collectionneur, Charles Éphrussi, et, en 1881, il sera lecteur de l'impératrice Augusta. Commence alors l'exil allemand, triste et doré, qui le mène de villégiature en villégiature et approfondit un ennui (« Je m'ennuie, natal ! ») que ne parviennent à dissiper ni son amitié pour le pianiste Théodore Isaye, ni les soirées au concert, ni les visites des musées (il acquit un goût sûr en peinture). Il quitte Berlin avec une jeune Anglaise, qu'il épouse à Londres, avant de revenir goûter, malgré l'aide de ses amis, à la misère parisienne. Il meurt quelques mois après son retour, phtisique, suivi de peu dans la tombe par sa femme.

   Cette vie errante impose sa marque à une œuvre désinvolte, aérienne, grinçante, qui s'est voulue résolument moderne. Laforgue fréquente tout d'abord les Hydropathes, se lie d'amitié avec Gustave Kahn, qui l'aidera pour ses publications, voue une admiration fervente au jeune Paul Bourget ; on trouvera donc trace en lui d'un certain goût du grotesque, de réflexions sur la prosodie et d'un culte du nouveau mal du siècle. En six ans, son parcours est immense et exemplaire des nouvelles tendances de l'époque : des nombreuses influences qu'il subit, la première, celle de Baudelaire, lui fait définir un spleen acéré qui constitue une note fondamentale de sa poésie ; à Verlaine il empruntera quelque goût pour l'impair et, surtout, un travail assidu sur la métrique ; grâce aux Poètes maudits, il découvre Rimbaud et pressent immédiatement son importance. Mais c'est Mallarmé qu'il admire le plus et on le verra cultiver l'ellipse et raffiner sa syntaxe. Ces veines sont étayées par un substrat philosophique qui ira en s'atténuant : une crise religieuse aboutit à la tentation du néant et à un bouddhisme affirmé ; à l'hégélianisme s'ajoute la découverte de l'inconscient (par la Philosophie de l'inconscient de Hartmann), qui accentue le pessimisme nourri de la lecture de Schopenhauer et motive sa conception de l'art qui « est tout, du droit divin de l'Inconscience ». Si le syncrétisme de toutes ces tendances n'a pas eu vraiment le temps de s'opérer et si des lambeaux de théorie entachent la limpidité des premiers écrits (le Sanglot de la terre, composé en 1880), l'ironie, la pirouette, le sourire cynique, bref, tout un art de la distance ou de la pose – suprême sincérité ? – empêchent l'œuvre de venir grossir le lot des poésies à thèse ou des plagiats. L'emphase outrée des interrogations métaphysiques, l'humour qui bafoue la passion et défait le discours amoureux ou le corps féminin, tout concourt à la désacralisation des mythes ; et en particulier la parodie qui s'attaque pêle-mêle aux textes célèbres, aux rites ou aux personnages illustres (surtout dans la prose). Laforgue travaille aussi à souligner la dérision de tout symbole, et il est bien plus décadent en ce sens que symboliste. Il fonde une entreprise impossible : raillant le quotidien, il ne peut prôner aucun idéal et, loin d'élaborer une poésie pure, utilise à foison ce qu'il nomme des « naturalismes ». C'est ainsi que se créent des dissonances, que la lune, les cygnes, la blancheur – récurrents dans les deux recueils publiés du vivant du poète (et à compte d'auteur), les Complaintes (1885) et l'Imitation de Notre-Dame la lune (1886) –, ou les fines adolescentes de ses nouvelles en prose, les Moralités légendaires (1887), tous ces éléments, qui devraient renvoyer à un univers de transparence, se trouvent corrodés par la moquerie ; tout se corrompt, la lune en vieille goguenarde et les vierges en saintes nitouches. Seul est vrai Pierrot parce qu'il est fardé et qu'il sautille entre ciel et terre sans que l'un ou l'autre puisse le revendiquer comme sa créature. L'alexandrin, mètre trop serein, ne peut plus satisfaire : il faut au poète moderne une diversification sans cesse accrue des vers, des strophes, jusqu'à cet aboutissement des Derniers Vers (1890), qui inaugurent le vers libre. L'insatisfaction à utiliser les mots affadis par l'usage – préoccupation toute mallarméenne – débouche non sur le raffinement du vocabulaire symboliste, mais sur la formation, souvent sardonique, d'un lexique personnel qui procède avant tout du jeu de mots (« voluptiales, violupté, éternullité ») et qui montre bien, parce qu'il accompagne l'emploi alterné de la préciosité et du prosaïsme, que cette poésie est celle d'une discordance essentielle, d'un écartèlement souriant : « Ma chair, ô Sœur, a bien mal à son âme. »

Les Complaintes [1885]. Le recueil, longue succession de complaintes au titre parfois redondant (« Complainte du pauvre corps humain », « Complainte du pauvre jeune homme », « Complainte des complaintes »...), est dédié à Paul Bourget, pour l'heure le jeune maître d'un nouveau « mal du siècle ». Laforgue exaspère dans ses premières poésies, souvent remaniées, cette lassitude exacerbée qui fonde la « décadence ». Ce qui tient lieu de philosophie à cette œuvre (il n'y en aura plus guère par la suite), c'est un culte ambivalent de l'inconscient, un inconscient curateur, protecteur (« la grande nounou ») ou persécuteur, meurtrier et usurpateur de l'idéal. Comment les étoiles, le Soleil pourraient-ils désormais, dans le ciel qui est le lieu d'une métaphysique vaguement nihiliste, scintiller, bruire et sonner autrement que faux ? L'amour comme toute espérance en est désenchanté, et toute voix désarticulée. Car si déjà apparaissent les thèmes tristes et clinquants du Pierrot, de la Lune et de « l'automne monotone », l'essentiel repose dans cette musique désaccordée qui évoque les pianos, les orgues de Barbarie, dans ce rythme haché, saccadé, aux mille exclamations qui brisent le chant, sans jamais parvenir à l'éteindre. Musicalité du sanglot, du sarcasme, de l'invective, des ruptures de ton, ces poèmes-ritournelles résonnent bien, selon le vers du poète, à la façon de « complaintes des nerfs incompris ou brisés ».

L'Imitation de Notre Dame La Lune [1886]. Écrits au début de 1885 à Berlin, les poèmes de ce recueil témoignent d'une adoration de la Lune trop outrée pour ne pas se tourner en dérision. Les énumérations fantasques, les « divagations » (selon le titre d'un des poèmes) le montrent bien : il s'agit de rêver, mais en dérivant et en clignant de l'œil. La face blême de l'astre nocturne renvoie à un certain blanc de l'écriture : le contraire d'une plénitude, d'un lyrisme ; il reflète la légèreté d'une angoisse qui se raille. Il faut un dévot à cette pseudo-divinité et ce sera Pierrot, qui parcourt toute l'œuvre de Laforgue avec son masque de plâtre.