Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
C

Chapelain (Jean)

Écrivain français (Paris 1595 – id. 1674).

Il se fit connaître par des textes critiques novateurs (préface à l'Adone de Marino, 1623 ; Lettre à Godeau sur les vingt-quatre heures, 1630), et servit à Richelieu d'agent de liaison entre l'Académie française naissante, les « doctes », et les mondains. Rédacteur des Sentiments de l'Académie sur le Cid (1637), il devint une autorité littéraire, position que renforça son rôle de conseiller de Colbert dans l'attribution des pensions aux écrivains (1663). Sa Pucelle ou la France délivrée (1656) est un curieux essai de poésie épique chrétienne, « parfaite » en ce qu'elle applique les règles « classiques » qu'il avait contribué à édicter. L'accueil railleur du public lettré servit à démontrer que suivre les règles ne suffit pas : il faut surtout « plaire et toucher » (Racine).

Chapelle (Claude Emmanuel Lhuillier, dit)

Écrivain français (1626 – 1686).

Élève du philosophe Gassendi, il fut vite connu comme libertin pratiquant et prônant une morale hédoniste débarrassée du péché. Poète mondain et galant, il est surtout connu pour la relation du voyage en Languedoc qu'il fit en 1656 avec Bachaumont. Ce Voyage de Chapelle et Bachaumont (1663-1697), d'abord publié en 1663 dans le Recueil de quelques pièces nouvelles et galantes, puis comme Voyage curieux, historique et galant (1680), est un récit en prose entremêlée de vers, parfait exemple de ces « badineries » alors en vogue dans les salons.

Chapman (George)

Poète dramatique anglais (Hitchin v. 1559 – Londres 1634).

Ami et rival de Shakespeare, après des pièces pour troupes d'enfants, il aborde de front l'actualité de son temps (Bussy d'Amboise, 1607 ; Charles, duc de Biron, 1608 ; la Tragédie de Chabot, 1613). Stoïcien, frappé par le désir d'autodestruction inhérent à la grandeur morale, il approuve la Saint-Barthélemy. Ami de Marlowe (dont il achèvera Héro et Léandre), il affiche sa méfiance envers l'extrémisme libertin. Ses comédies (Tous fous, 1559 ; Vers l'est, oh !, 1605) et ses « masques » le rapprochent de Ben Jonson, avec qui il sera emprisonné. Se réclamant d'Hermès Trismégiste, il célèbre l'obscurité poétique, traduit Homère (l'Iliade, 1611 ; l'Odyssée, 1616) et Pétrarque.

Chappaz (Maurice)

Écrivain suisse de langue française (Martigny 1916).

Après de solides études au collège de Saint-Maurice (dont il se souviendra pour traduire, sur le tard, Théocrite ou Virgile), il mène une existence vagabonde, rencontre Ramuz, Matthey, Crisinel et Roud. Fort de cet entourage, il se tourne vers la poésie (la Merveille de la femme, 1938 ; les Grandes Journées de printemps, 1944). Après la guerre, il épouse C. Bille, et se consacre, tout en acceptant divers métiers, à la création d'une vaste œuvre romanesque et poétique, souvent polémique, dénonçant l'arrivée, en Valais, d'un progrès empoisonné, dû au tourisme de masse et à la spéculation immobilière (le Match Valais-Judée, 1968 ; les Maqueraux des cimes blanches, 1975). Dans un long poème en prose, le Testament du Rhône (1953), ce grand voyageur dit son amour et son attachement à sa terre natale, jadis rurale et profondément catholique. Son Portrait des Valaisans en légende et en vérité (1965) est plein d'humour, parfois amer. Dans la Haute-Route (1974), Chappaz proposera une approche physique des sommets, en même temps qu'une réflexion imprégnée de mysticisme oriental. Depuis la mort de sa femme, il s'occupe de la publication de son œuvre inédite (le Livre de C, 1995) et ne cesse de parachever la sienne (À rire et à mourir, poèmes, 2 t., 1995 et 1996).

Chappuis (Pierre)

Écrivain suisse de langue française (Tavannes 1930).

On lui doit des essais sur Leiris et du Bouchet, des recueils qui sont déjà des programmes (Ma femme, ô mon tombeau, 1969 ; Distance aveugle, 1974 ; l'Invisible Parole, 1977). Dans ses livres plus récents (la Preuve par le vide, 1994 ; le Biais des mots, 1998), il cultive une prose poétique de l'inachèvement, qui, oscillant entre évocations, interrogations et réflexions sur l'écriture, aboutit à des instantanés impressionnants de notre monde.

Chappuys (Gabriel)

Historien français (Amboise 1550 – Paris v. 1611).

Auteur de nombreuses traductions de l'espagnol et de l'italien, notamment des Amadis de Gaule, du Courtisan de Castiglione, et de différents conteurs italiens (Boccace), dont il rassembla les récits dans les Facétieuses Journées (1584), il fut historiographe de France : on lui doit une Histoire de la Navarre (1596) et une chronique des règnes de Charles IX, Henri III et Henri IV (1585– 1600).

Char (René)

Poète français (L'Isle-sur-la-Sorgue, Vaucluse, 1907 – Paris 1988).

Il est de l'avis des critiques le dernier grand poète de la littérature française. Son entrée de son vivant dans la bibliothèque de la Pléiade, la diffusion de son œuvre en éditions de poche, des colloques et des hommages attestent de sa présence. Le questionnement incessant de la poésie comme pratique et son interrogation d'autres cantons de l'art, en particulier la peinture, établissent sa modernité. De Cloches sur le cœur (1928) à Éloge d'une soupçonnée (1988), sa voix et son succès se sont amplifiés. Des auteurs comme Dupin mais aussi Camus ont été influencés par lui ; des critiques (J.-P. Richard, J. Starobinski) ont travaillé sur une œuvre dont la difficulté réelle naît d'une concentration extrême, quasi oraculaire et hermétique, du propos (« Plus que les mots essentiels »). L'obscur y est de recherche.

   Char naît avec le surréalisme (son horizon pour cinq ans), qu'il rejoint à l'invitation d'Éluard. Il devient un élément d'un dispositif qui nourrit son sens physique (Arsenal, 1929), son amour de la vérité (comportement et langage) et le merveilleux cher au Manifeste de Breton. En 1930, il écrit avec ce dernier et Éluard Ralentir travaux. Il œuvre à la fondation de la revue le Surréalisme au service de la révolution. Mais plus encore que sa participation, les raisons de son éloignement du mouvement éclairent sa démarche personnelle. La surréalité du rêve – pourtant éclatante dans Artine (1930) – et plus encore sa systématisation, tout autant que la dictée de l'inconscient de l'écriture surréaliste ou le phénomène d'école lui sont, comme la gnose et l'urbanité, à peu près étrangers. S'il quitte sans éclat le groupe, dont il éclaire ainsi les dissensions internes, il n'en trahit pas les principes moraux et esthétiques (la Lettre hors-commerce, 1947). Pas plus, il ne rompt avec l'esprit surréaliste, à qui il doit l'essentiel de sa voix, son goût du poème en prose et des éclairantes possibilités verbales.

   Son écriture, qui sera désormais inséparable du cadre géographique provençal, sorte de terre natale du poème, dont les patronymes irriguent les textes (Le Thor, La Sorgue), ne se comprend pas sans son arrière-pays romantique. Le rapport vital à la nature (mais aussi la conscience d'une blessure qui en sépare), la primauté de la figure féminine (« Le verbe de la femme donne naissance à l'inespéré mieux que n'importe quelle aurore »), l'exaltation de la liberté et, formellement, l'importance accordée à la métaphore, en sont des traits. La vérité sera désormais personnelle, à mesure que Char définit les responsabilités du poète (nouvel « Atlas portefaix », celui-ci a désormais, et de manière toute hugolienne, charge d'âme). Sa poésie sera d'action, d'autant plus que, faisant suite à une grave crise personnelle qui n'est pas encore celle de la Parole en archipel (1962), la guerre est là. Sa participation physique aux « années essentielles » de la Résistance fait de lui, bien plus qu'Aragon ou Éluard, un poète engagé.

   Le recueil central Fureur et Mystère (1948, Char s'est interdit la publication pendant le conflit) ne se sépare pas de l'écroulement du pays. Le poème rencontre l'action et met sa raison d'être à l'épreuve. Répondre par l'action à la tyrannie nazie est le premier des « devoirs infernaux » d'une poésie « affectée par l'événement ». Cette expérience transforme Char et sa pratique. Sous forme brève, en recourant à la maxime, à l'aphorisme, au proverbe, les Carnets d'Hypnos éclairent la réalité de la lutte (exécution, coup de main, etc.). Résistance rime avec espérance : « à l'effondrement des preuves, le poète répond par une salve d'avenir ». Dans « la France des cavernes », Char, devenu le capitaine Alexandre, est responsable d'un groupe d'hommes avec lesquels des liens extraordinaires se tissent (« nous nous sommes épousés une fois pour toutes devant l'essentiel »). À elle seule, la splendeur provençale permet de résister, et pour l'homme vivant (entendre, le poète) de se requalifier. Réfractaire, celui-ci, « infini conservateur des visages du vivant », est cette part de l'homme éternel qui réfute le « toucher de la mort ». Ne pouvant « s'absenter longtemps », Char choisit la forme brève, accordant, à côté de l'analogie et de la métaphore, une place de choix à l'ellipse, chargée d'un contenu moral classique (« la lucidité est la blessure la plus rapprochée du soleil »). « Juxtapose à la fatalité la résistance à la fatalité », intime le Poème pulvérisé (1947).

   Aux antipodes de l'anecdote, du roman, Char est un moraliste, un humaniste athée d'inspiration existentialiste. La poésie est une morale en action où esthétique et éthique échangent leurs vertus. L'œuvre présente de nombreux visages du poète et de la poésie. Être poète relève moins de la littérature que d'un comportement total de l'homme qui se porte – autre dimension charienne – vers un futur ouvert (« comment vivre sans inconnu devant soi ? »). La « fureur » (nom antique de l'inspiration poétique) ou « ferveur belliqueuse » réside dans une énergie déployée. « L'au-delà nuptial » de la poésie et ses « outils nuptiaux » remodèlent la donne. La présence (idée cardinale du demi-siècle poétique) est « commune présence », du titre de l'auto-anthologie de Char. Le poème, écrit-il, « veut agrandir la présence ». Les figures mythologiques comme Narcisse ou Icare lui sont étrangères. Il serait faux de cantonner Fureur et Mystère à une œuvre de circonstance tant elle dépasse – en le réalisant – l'événement par ses enjeux.

   De fait, les thèmes de la révolte et de la résistance étaient présents dès le Marteau sans maître (1934). La nuit poétique (la Nuit talismanique, 1972) s'oppose à la nuit historique. La rivière (« La Sorgue m'enchâssait ») est une image naturelle de la poésie et figure en son « cœur jamais détruit » ce que, dans un temps de détresse hölderlinien, Hypnos ne pourra tuer. La Provence et ses hommes (les Matinaux, les Transparents) vivent poétiquement et au pluriel (« Le poème est toujours marié à quelqu'un ») leur rapport à la nature. Pour un poète qui aime rapprocher son écriture de l'eau (la Fontaine narrative, 1947), elle est l'image de l'élan. Autre présence féminine, autre alliée, la Femme de Job de Georges de La Tour, dont l'aura silencieuse lutte contre les ténèbres hitlériennes. C'est en effet une constante de ce projet en mots que d'être accompagné d'« alliés substantiels » ou de « Grands Astreignants » (Héraclite le présocratique qui figure, outre la génialité de la Grèce, la tension même inscrite au cœur du réel ; Nietzsche et son exigence ; Heidegger et la thématique du lieu ; Rimbaud, l'homme de la Commune, de la liberté libre et sa soif de départ, qui fait naître, plus que Baudelaire, la poésie moderne ; Van Gogh enfin et les « fleurs nouvelles de son regard ». Cela permet à la poésie d'éclairer sa route. De Recherche de la base et du sommet (1955) au tardif Voisinages de Van Gogh (1985), hommages et reconnaissances de dette se multiplient.

   Une part spéciale est faite à la peinture (De Staël, V. Da Silva). Le Marteau sans maître, mis en musique par Boulez, est proposé à Kandinsky en 1934, à Picasso en 1945 et à Miro trente ans plus tard ! La réflexion sur la poésie ne se passe pas d'un pendant pictural. Des approches d'un théâtre saisonnier (Trois Coups sous les arbres, 1967), des arguments de ballets, des chansons, des poèmes versifiés auront moins d'écho. Au total, cette « révélation de la poésie » (Blanchot) n'est pas close, mais ouverte sur autre chose qu'elle-même : elle accentue l'obscur en nous, notre lumineux visage de nuit.