Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Grade (Haïm)

Écrivain de langue yiddish (Vilna 1910 – New York 1982).

Membre du groupe « Young Vilne ». Ses poèmes (Yo, 1936 ; Moralistes, 1939), ses nouvelles (les Sabbats de ma mère, 1955) et ses romans (la Yeshiva, 1968) dépeignent sa ville natale entre les deux guerres et la vie dans les vieilles écoles talmudiques de Lituanie.

Graf (Arturo)

Écrivain italien (Athènes 1848 - Turin 1913).

Essayiste, poète influencé par les romantiques allemands et Leopardi (Méduse, 1880), il évolua, à travers un humanisme moins pessimiste (les Danaïdes, 1897), vers un déisme impressionniste (Pour une foi, 1905).

Graffigny (Françoise d'Issembourg d'Happoncourt, Mme de)

Femme de lettres française (Nancy 1695 – Paris 1758).

Rapidement séparée d'un mari brutal, chambellan à la cour de Lorraine, elle fut accueillie par Voltaire à Cirey (Vie privée de Voltaire et de Mme du Châtelet, lettres publiées en 1820), puis par la maréchale de Richelieu. Elle se risqua dans la littérature avec les Lettres d'une Péruvienne, qui connurent en 1747 un succès triomphal : ce roman par lettres transpose le modèle des lettres persanes avec une héroïne définie par sa proximité avec la nature et sa sensibilité et qui déplore le sort fait aux femmes dans la société parisienne. Sa pièce Cénie (1750), sur le thème de la solitude féminine, remporta également un beau succès, mais la Fille d'Aristide (1758) échoua. Elle a laissé une abondante correspondance qui offre de la vie parisienne un tableau détaillé et pittoresque. L'œuvre de Mme de Graffigny témoigne des conditions dans lesquelles une femme au XVIIIe siècle peut devenir auteur.

Graham (Jorie)

Poétesse américaine (New York 1951).

Après des études à la Sorbonne et aux États-Unis (New York, Iowa), elle produit une série de recueils, tous axés sur le rapport au monde comme texte déserté, en cours de composition, par son auteur : Hybrides de plantes et de fantômes (1980), Érosion (1983), la Fin de la beauté (1987), Région d'improbabilité (1991), Matérialisme (1993), Rêve de champ unifié : Poèmes 1974-1994 (1995). Ce monde est presque lisible, dans un geste d'explication et d'interprétation associative, mais la concrétude du langage opacifie le jeu de la perception. L'influence de Wallace Stevens, mais aussi de la peinture italienne, contribue à la genèse d'une poétique de la culture organique.

Grainville (Patrick)

Romancier français (Villerville 1947).

La luxuriance du vocabulaire et la débauche de métaphores caractérisent déjà son « autobiographie mythique » (la Toison, 1972 ; la Lisière, 1973 ; l'Abîme, 1974). Sa nostalgie d'un paradis perdu prend ensuite des formes variées : peinture de contrées, de temps et de mythes exotiques, sacralisation dionysiaque de l'érotisme, exaltation de l'animalité (l'Ombre de la bête, 1981) ou refuge dans la folie (les Flamboyants, prix Goncourt 1976).

Granada (Luis de Sarria, en religion Luis de) , en fr. Louis de Grenade

Théologien et écrivain espagnol (Grenade 1504 – Lisbonne 1588).

Dominicain, prédicateur renommé, il déploie dans son œuvre un style oratoire, dit cicéronien, qui est un modèle de rhétorique. Son Livre de l'oraison et de la méditation (1554), son Guide des pécheurs (1556) et son Introduction au symbole de la foi (1583) laissent percer à travers l'apologie du christianisme un sentiment de la nature exceptionnel en son temps.

Grandbois (Alain)

Écrivain québécois (Saint-Casimir-de-Portneuf 1900 – Québec 1975).

Ses voyages pendant l'entre-deux-guerres le menèrent jusqu'en Asie. Il se fit connaître en 1933 par Né à Québec, biographie romancée de l'explorateur Louis Jolliet, dans le style elliptique mis à la mode par Paul Morand. Ses pérégrinations lui inspirent le récit des Voyages de Marco Polo (1941) et les nouvelles d'Avant le chaos (1945). En 1944, les poèmes des Îles de la nuit donnent à son œuvre une orientation décisive. Dans cette poésie aux rythmes amples, riches en images (qui renvoient au surréalisme), le thème du voyage rejoint l'exploration intérieure par la constitution d'une cosmogonie lyrique. Avec Rivages de l'homme (1945) et l'Étoile pourpre (1957), sa poésie, hantée par le sentiment de l'éphémère et un attachement angoissé à la vie fugitive, fait de lui le chef de file de la génération de l'Hexagone et de Liberté.

Grande-Bretagne

La Grande-Bretagne est en partie connue à l'étranger à travers ses mythes littéraires : les héros shakespeariens, Gulliver, Robinson Crusoé, Sherlock Holmes, etc. Le personnage de John Bull, stéréotype de l'Anglais, fut créé par John Arbuthnot (1667-1735), ami de Swift et de Pope. Mrs. Grundy, incarnation du « qu'en dira-t-on », caricature de la pudibonderie anglaise, apparaît en 1800 dans une comédie de Thomas Morton (1764-1838). Dans le même esprit, Thomas Bowdler (1754-1825), responsable d'un Shakespeare à l'usage des familles (1818), a laissé son nom dans la langue anglaise, avec le verbe to bowdlerize, qui signifie « expurger à outrance ». Le patriotisme britannique s'exprime à travers divers hymnes bien connus : Dieu sauve la reine, mis en musique par Thomas Arne ; Rule, Britannia, qui apparaît dans le « masque » Alfred (1740), écrit par le poète James Thomson, en collaboration avec l'Écossais David Mallet ; enfin les paroles de Land of Hope and Glory, sur la musique de Pump and Circumstances d'Elgar, sont l'œuvre d'Arthur Christopher Benson (1862-1925).

Recherche d'une identité

La littérature anglaise a suivi les rythmes majeurs de la culture européenne : diversification à l'issue du grand consensus médiéval, dramatisation des problèmes du pouvoir à la Renaissance, conjonction du roman et de la littérature d'idées au XVIIIe s., renforcement du lien avec les aspirations et insatisfactions de l'ordre bourgeois, du romantisme à nos jours. Les spécificités nationales (précocité de l'État-nation, séparatisme religieux, profondeur de la révolution culturelle puritaine, férocité de l'industrialisation et de l'urbanisation dans une stabilité politique relative, vigueur puis déclin de la puissance impériale) placeront la création (sinon la production) littéraire dans une position défensive. Puisant dans ses marges idéalisées (le passé national à l'époque élisabéthaine, le passé pastoral à l'heure de l'industrialisation, le Moyen Âge pour les romantiques) ou réelles (les cultures celtes), la littérature maintient vivante l'exigence d'une culture au sens fort, où les relations trouvent d'emblée un sens. Aussi assiste-t-on à des recentrages souvent violents : à travers des personnages excentriques, la culture anglaise évalue et modifie ses propres réflexes. Peu de littératures entretiennent une relation aussi riche avec les images d'exclusion ou de déchéance. La grande tradition anglaise traite des échecs de l'insoumission, culturelle plutôt que politique : la trahison, la fuite et la quête, leur confusion éventuelle, en sont les thèmes essentiels ; elle reflète moins la culture qu'elle ne la travaille.

   Mis à part l'âge dit « de la raison », où la culture « officielle » monopolise le terrain, l'histoire de la littérature anglaise est celle de la résistance à l'homogénéisation culturelle. Marquée par l'espérance royale puis protestante populaire, par l'évangélisme et le renouveau des mythes de la nature et de l'instinct, cette littérature conjugue nostalgie et colère dans l'impatience du « réel »  : elle est à la fois l'ombre de l'utopie absente et l'ombre d'une stabilité douce-amère.

   Le haut Moyen Âge laisse peu d'écrits : une Histoire (Bède, 731), des poèmes épiques (Beowulf) ou lyriques (l'Errant, le Marin). Le trilinguisme suit la conquête normande (1066) : l'aristocratie parle français ; les clercs, latin ; seul le peuple parle anglais, qui devient langue officielle au début de la guerre de Cent Ans. La longue marche royale contre l'anarchie seigneuriale s'appuie sur une soif de cohésion : le roi incarnera l'État-nation. L'Angleterre s'ouvre sur le monde et sur elle-même : la curiosité naît dans un monde fasciné par l'étrangeté de la passion. Le pittoresque humain est vu avec une bienveillance sereine et les dérèglements courtois sont distanciés par l'humour : à travers Chaucer, l'Angleterre accepte Boccace et la tradition courtoise, perméabilité qui mesure son assurance. Le séparatisme national/religieux brise la chape romaine. Derrière la christianisation transparaît toujours la vivacité des mythes celtes : la nation intègre les « sous-cultures » de ses marches. Sous Henry VIII, l'Église d'Angleterre rompt avec la papauté. Alors seulement l'humanisme gagne l'Angleterre soucieuse de consolider sa différence. Dès l'avènement d'Élisabeth Ire se joue la première tragédie anglaise, exorcisme à peine littéraire du spectre de la guerre civile. Naît alors, et souvent de la main des princes, une littérature italianisée comme gage de culture. Le chevaleresque anglais, discrètement conquérant, se teinte de stoïcisme néoplatonicien : vertu virile et élégance se confondent dans un monde puissamment allégorisé suivant le code chrétien (Sidney, Spenser). L'aristocratie et l'Université ne conquièrent pas la scène ; le théâtre populaire veut du barbare (Kyd, Marlowe). La fin de règne aggrave les angoisses de trahison (politique, amoureuse). La division et l'ingratitude plongent les rois fous dans le no man's land fantastique où la prédestination passe par l'autodestruction (Shakespeare). Et si la poésie courtoise refleurit, c'est que la cruauté est partout : l'homme est un animal méchant qu'anime la passion du malheur.