Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Dick (Philip Kindred)

Écrivain américain (Chicago 1928 – Santa Anna, Californie, 1982).

Vivant en Californie depuis son enfance, il suivit des cours de philosophie à l'université de Berkeley avant d'exercer divers métiers en rapport avec sa passion de la musique. Sa vie affective n'est pas sans laisser de traces dans une œuvre qui vécut au rythme de dépressions et d'exaltations successives : trois de ses cinq femmes l'ont quitté en emportant l'enfant qu'elles avaient eu chacune avec lui, et ces abandons, associés à l'abus de drogues (amphétamines et L.S.D.), provoquèrent plusieurs tentatives de suicide et de longues périodes de silence. Ses premières nouvelles de science-fiction datent de 1952. Son premier roman, Loterie solaire (1955), l'inscrit parmi les héritiers de Van Vogt. Suivront, entre 1952 et 1959, une centaine de nouvelles et sept romans dont l'Œil dans le ciel (1957) et le Temps désarticulé (1959). C'est entre 1962 et 1970 qu'il connaît sa période la plus féconde (le Maître du Haut-Château, 1962 ; Glissement de temps sur Mars, 1963 ; le Dieu venu du Centaure, 1964 ; Simulacres, 1964 ; la Vérité avant-dernière, 1964 ; les Clans de la lune Alphane, 1964 ; Docteur Bloodmoney, 1965 ; En attendant l'année dernière, 1966 ; Robot blues, 1968 ; Ubik, 1969 ; Au bout du labyrinthe, 1970). Ses romans opèrent le plus souvent une mise en doute radicale de la réalité à travers une technique de la confusion généralisée, qui plonge le lecteur dans un désagréable sentiment d'instabilité. Au départ, des situations sociales oppressantes, inscrites dans un futur proche dont la vocation capitaliste et les tentations policières se renforcent pour parachever la robotisation des êtres humains ; mais la perspective d'un renouveau et d'une émancipation est toujours présente, et, dans un second temps, à la faveur d'un catalyseur variable (drogue, accident, folie), émerge une réalité alternative définie par sa mobilité, ses connexions libres et la restauration du désir en tant que force motrice de la société, celle-ci entrant alors en conflit avec la réalité et le pouvoir officiels. Cette réalité alternative introduit une part nécessaire de désordre dans l'univers et finit par l'emporter sur les forces paranoïaque et mortifère de l'ordre. Après 1974, l'œuvre de Philip K. Dick acquiert une importante dimension mystique, notamment dans la trilogie divine, SIVA (1980), l'Invasion divine (1982) et la Transmigration de Timothy Archer (1982).

Dick (Uwe)

Poète et satiriste allemand, « indoeurobavarois » selon sa propre définition (Schongau, Allemagne, 1942).

Il est l'auteur d'un « work in progress » intitulé Sauwaldprosa dont la quatrième version a paru en 2001. Critique radical de la société contemporaine, en particulier du monde des médias et de leur langage corrompu, il vit en ermite comme « déserteur vers le camp de la créature ». Son œuvre satirique (le monodrame Der Öd et le Monologue d'un cycliste) porte la marque de Karl Kraus, sa poésie (Poèmes de 33 ans, 2002) est nourrie de mythologies (australiennes, sibériennes) et ouvertement redevable à ses maîtres Mandelstam et Pound.

Dickens (Charles)

Écrivain anglais (Landport, Portsmouth, 1812 – Gadshill, Rochester, 1870).

Second des huit enfants d'un employé de la Marine, il grandit aux marges d'une petite-bourgeoisie constamment menacée de déchéance. En 1823, son père est emprisonné pour dettes. Sa mère tente vainement de fonder une école. Lui-même doit, quelques semaines, travailler dans l'usine de cirage d'un parent. Il gardera de cette expérience du « déclassement » une rancœur durable. Clerc de notaire (1827), sténographe parlementaire pour le Morning Herald, il perce enfin avec une série de satires publiées dans The Old Monthly Magazine (Esquisses de Boz, 1833-1835). Il épouse en 1836 la fille du directeur de l'Evening Chronicle, Catherine Hogarth.

   En 1837, avec les Aventures de M. Pickwick, commence l'esclavage du feuilleton. Créé à partir de vignettes dessinées par Robert Seymour, le récit, qui met en scène d'excentriques petits-bourgeois découvrant le monde, paraît en livraisons mensuelles, illustrées finalement par Phiz, d'avril 1836 à novembre 1837. Dickens a réussi, mais la blessure demeure. Sitôt connu, il s'attaque aux maux de la société victorienne, avec d'abord  Olivier Twist (1838). À peine sorti de la maison de travail pour indigents, Olivier, enfant trouvé, tombe dans l'engrenage du crime (c'est l'occasion de dépeindre les bas-fonds de Londres). Une prostituée au grand cœur et un vieillard généreux, qui s'avérera être un proche parent, l'arrachent à cette déchéance. Nicolas Nickleby (1839), sur le thème de la déchéance imméritée, brosse un tableau terrifiant de l'institution scolaire, qui déclencha une campagne pour la réforme de l'enseignement privé. Publié dans son magazine Master Humphry's Clock, le Magasin d'antiquités (1840-1841) relate la fuite à travers l'Angleterre de la petite Nell et de son grand-père, poursuivis par un usurier nain et rapace. L'intérêt principal de cette œuvre foisonnante réside dans les toiles de fond et les seconds rôles. À cette époque, le héros dickensien par excellence est le préadolescent, être fade, victime des fausses protections, mais protégé dans son âme et sa chair de tout désir coupable, rêvant intégration et famille restreinte reconstituée. Le spectre de l'affrontement (de classe ou sexuel) hante l'œuvre de Dickens, hanté lui-même par deux terreurs : les classes dangereuses et l'inertie intérieure. Il écrit un roman sur l'insurrection antipapiste de 1780 (Barnabé Rudge, 1841), auquel succédera Histoire de deux villes (1859), sur la Révolution française.

   La rage cède peu à peu aux thèmes de la réconciliation miraculeuse avec cet évangélisme christique (et antisémite) qu'admirera tant Dostoïevski. Parti aux États-Unis défendre ses droits (le copyright n'y est pas respecté), Dickens revient désenchanté (Notes américaines, 1842) : la démocratie, c'est la jungle. Dans Martin Chuzzlewitt (1843-1844), il offre un tableau rancunier des États-Unis, pays de l'arrogance et de la brutalité, suivi d'une vision encore plus sombre de l'Angleterre : Pecksniff, moderne Tartuffe, Sarah Gamp, garde-malade terrifiante, toute une série de types inspirés par la rage. La bouffonnerie ne peut plus dissimuler l'omniprésence du mal. Le sentimentalisme s'accroît avec la dépression : ses Contes de Noël (A Christmas Carol, 1843 ; le Grillon du foyer, 1845) moralisent le miraculeux chrétien par le rêve victorien des réconciliations sociales. Il tente l'exil, en Italie puis à Lausanne, et achève Dombey et fils (1848), centré sur la mort de l'enfant, l'année même où son fils entre à Eton. Pour la première fois de sa vie, il prend du repos, salue la révolution de 1848 : autre désillusion qui le ramène à son enfance. David Copperfield (1849) est son récit préféré, le plus « autobiographique ». David, double de Dickens, rebuté par l'inhumanité mercantile de son beau-père (Murdstone), la futilité mondaine (Steerforth) et la servilité des basses classes (Uriah Heap), cherche des bonheurs refuges auprès de femmes diversement asexuées : la mère-sœur, la servante-mère, l'épouse-enfant (Dora, la future Nora d'Ibsen), l'épouse-sœur (Agnès, sainte au foyer). En 1850, Dickens fonde l'hebdomadaire Household Words, remplacé en 1859 par All the Year Round. La Maison d'âpre-vent (1852-1853) commente sarcastiquement l'interminable procès d'un philanthrope qui a adopté une bâtarde orpheline. Dans les Temps difficiles (1854), Dickens prend pour décor une ville industrielle imaginaire, Coketown, et dénonce la tyrannie des « faits », des chiffres et de l'argent, bannissant les sentiments au profit de la raison. La Petite Dorrit (1855-1857) est un itinéraire régressif, de l'éducation sentimentale à l'enfance retrouvée dans les larmes.

   Dickens traverse alors une crise personnelle : amoureux de l'actrice E. Ternan, il quitte sa femme (1858) et brûle son énergie à séduire le public en « lectures ». Orateur et acteur unique de sa prose et de ses pièces de théâtre, il dit l'espoir mal placé, l'arrivisme, le cynisme et l'argent comme souillure (les Grandes Espérances, 1861 ; Notre ami commun, 1864). Reçu enfin par la reine Victoria, il meurt deux mois après (1870), laissant inachevé un roman policier (le Mystère d'Edwin Drood). Caricaturiste et sentimental de génie, le père du « réalisme » victorien est surtout un visionnaire dont l'exotisme social doit servir l'humanisation et la moralisation des métiers à vocation humaine : école, justice, hôpital, police. Sa hantise : la cruauté incontrôlée des micropouvoirs. L'homme est un orphelin qui a pour ennemis la honte, le crime, l'avarice collective, mais aussi la loi. La ville va ainsi porter tout le poids du sadisme refusé. Dickens reste le prophète de l'Occident urbanisé, où le sensationnel a remplacé la tragédie.