Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Diderot (Denis)

Philosophe et écrivain français (Langres 1713 – Paris 1784).

Considéré de son temps comme le maître d'œuvre de l'Encyclopédie, Diderot s'est peu à peu imposé comme l'un des penseurs majeurs de son siècle, proche de nous par sa recherche intellectuelle et son expérimentation formelle. Une part essentielle de son œuvre étant restée inédite de son vivant, deux romans, la Religieuse et Jacques le Fataliste ne sont parus qu'en 1796, et le Rêve de d'Alembert en 1831 ; le manuscrit du Neveu de Rameau qui, seul, permet d'établir un texte sûr, n'a été retrouvé qu'en 1891 et un lot substantiel d'autographes, en partie inédits, est devenu accessible en entrant à la Bibliothèque nationale en 1951 – on comprend que les jugements sur l'écrivain aient évolué au fur et à mesure de ces découvertes.

   Sa famille appartient à la petite bourgeoisie provinciale. Son père, maître coutelier, l'a suffisamment marqué pour que la figure paternelle, garante de la droiture morale, du sérieux professionnel et de la cohésion familiale, hante son œuvre. Mais Denis, brillant sujet des jésuites, ayant reçu la tonsure, destiné, après ses études de théologie, à succéder à son oncle chanoine, abandonne bientôt la route tracée par sa famille, échappe aux religieux chez qui son père l'avait enfermé, s'enfuit à Paris et épouse une jeune lingère. Cette rupture ne fera qu'aviver son goût de l'union familiale. En attendant de se réconcilier avec son père et son frère, qui entre à sa place dans l'Église, il mène une vie de bohème littéraire. Ses traductions de l'anglais le tirent de l'anonymat : l'Histoire de Grèce de Temple Stanyan (1742), le Dictionnaire de médecine de James en collaboration avec deux autres traducteurs (1744), l'Essai sur le mérite et la vertu de Shaftesbury (1745). Dans ce dernier livre, il ajoute au texte quelques longues notes personnelles. Sa compétence de traducteur le désigne pour animer l'Encyclopédie, conçue d'abord comme l'adaptation française de la Cyclopaedia de Chambers. L'entreprise va rapidement s'émanciper de ce modèle tandis que Diderot s'affirme comme un penseur intrépide. Il publie en 1746 les Pensées philosophiques, condamnées aussitôt à être brûlées, rédige l'année suivante la Promenade du sceptique, dont le manuscrit est saisi quelque temps plus tard, et édite clandestinement les Bijoux indiscrets, roman où le cadre oriental et les récits érotiques véhiculent une satire politique et des audaces philosophiques. L'ancien étudiant en théologie s'achemine vers le matérialisme et l'athéisme. Les Pensées philosophiques se veulent une réponse aux Pensées de Pascal. Diderot, dès lors, devient « le Philosophe », un homme de savoir et d'action qui ignore la séparation ultérieure entre sciences et lettres. La même année que les Bijoux indiscrets, il compose un traité scientifique, Mémoires sur différents sujets de mathématiques (1748).

La guerre encyclopédique

À partir de 1748, il travaille beaucoup. Le chantier encyclopédique l'accapare. Mais cette activité l'a familiarisé avec les secteurs les plus divers du savoir et l'a ouvert à de nombreuses formes d'écriture. Elle ne l'a pas empêché d'écrire plusieurs œuvres philosophiques majeures : la Lettre sur les aveugles paraît en 1749, la Lettre sur les sourds et muets en 1751, la Suite de l'apologie de M. l'abbé de Prades en 1752, les Pensées sur l'interprétation de la nature en 1753. Le « Prospectus » de l'Encyclopédie qu'il rédige est un acte de foi dans le progrès des connaissances. Les deux Lettres, tout particulièrement, se caractérisent par une attitude expérimentale à l'égard de l'être humain, par laquelle Diderot ébauche une explication matérialiste loin de tout finalisme. De telles positions ne pouvaient laisser indifférentes les autorités : on arrêta l'auteur de la Lettre sur les aveugles. Diderot passa un mois au donjon de Vincennes. C'est là que Rousseau lui rendit visite et discuta avec lui de la question mise en concours sur le progrès des sciences et des arts, d'où devait sortir le premier Discours du citoyen de Genève. Cette expérience de la prison marqua Diderot, qui choisit plusieurs fois de ne pas publier certains de ses manuscrits les plus scandaleux. L'Apologie de l'abbé de Prades – un collaborateur de l'Encyclopédie pour les affaires théologiques, poursuivi à cause d'une thèse jugée hétérodoxe par la Sorbonne – sera publiée sans permission, les Pensées sur l'interprétation de la nature, réflexion sur la méthode expérimentale (1753-54), se contentant d'une permission tacite. La parution de l'Encyclopédie elle-même constitue un long combat. Le pouvoir monarchique était divisé entre traditionalistes partisans de la répression et modernistes favorables à l'entreprise. En 1752, Mme de Pompadour et le comte d'Argenson parviennent à désamorcer la crise et permettent la poursuite de la parution, mais, en 1759, le parlement suspend la publication ; le privilège est révoqué, les sept tomes parus sont condamnés par le pape. La suite de la collection est publiée clandestinement. Les antiphilosophes déchaînaient des polémiques. Palissot, notamment, se signala par ses pamphlets et sa pièce de théâtre, les Philosophes, qui, en 1760, chercha à ridiculiser Diderot et ses amis. La situation fut compliquée par la rupture avec Rousseau. Choqué par les accointances de Diderot avec Grimm, d'Holbach et d'autres aristocrates, par leur orientation athée, celui-ci rompit avec eux à propos de l'article Genève que d'Alembert avait donné à l'Encyclopédie. Diderot ne manqua pas d'être frappé par la « désertion » de son ami. Sa tâche à la tête de l'Encyclopédie était d'autant plus écrasante que d'Alembert prit du recul par rapport à une entreprise qu'il jugeait dangereuse.

L'œuvre dramatique

Au milieu de cette guerre encyclopédique, Diderot se réconcilia avec sa famille à Langres. Il fit la connaissance d'une jeune femme, Sophie Volland (1716-1784), qui devint sa maîtresse et sa confidente, et avec laquelle il entretint à partir de 1759, semble-t-il, une extraordinaire correspondance, véritable journal intime qui faisait vivre à son amie toutes ses expériences sociales et intellectuelles. C'est l'époque également où il se tourne vers le théâtre et invente des formes nouvelles de critique d'art. L'œuvre dramatique de Diderot associe la réflexion critique et la pratique proprement littéraire. Ainsi, en 1757, paraît le Fils naturel ou les Épreuves de la vertu, comédie en cinq actes et en prose, accompagnée de trois Entretiens sur le Fils naturel. Un dispositif identique est reproduit l'année suivante : Diderot publie un nouveau drame, le Père de famille, suivi d'un discours, De la poésie dramatique. Cette défense et illustration d'un nouveau drame sérieux fait date. Si le Fils naturel n'a été joué à Paris qu'une seule fois en 1771, le Père de famille obtint en 1761 un succès qui s'affirma ultérieurement, en particulier lors de la reprise de 1769. Cette recherche de Diderot se poursuivit dans des traductions ou adaptations de l'anglais : en 1759, il élabore le plan d'une tragédie intitulée le Shérif et, en 1760, il traduit la pièce de E. Moore, le Joueur. Il faut encore situer dans cette veine l'article consacré à Térence que Diderot donne en 1765 à la Gazette littéraire de l'Europe. L'expérience du style de Garrick, le grand acteur anglais, qu'il relate dans un article de 1769, nourrit une longue réflexion qui aboutit au Paradoxe sur le comédien, défense d'un jeu raisonné contre l'inefficacité d'une spontanéité pulsionnelle.

Les écrits esthétiques

La recherche sur le théâtre s'intègre chez Diderot à une pensée esthétique qui s'interroge sur les différents arts, sur leur pratique et leurs principes. Diderot a été mêlé à la querelle des Bouffons et a édité en 1771 les Leçons de clavecin de Bemetzrieder. Dans le domaine des arts plastiques, il publie sans nom d'auteur l'Histoire et Secret de la peinture de cire (1755), texte conçu comme l'article « Encaustique » de l'Encyclopédie, qui expose les aspects pratiques de cette technique. C'est dans les Salons que Diderot s'affirme comme créateur d'un genre. Tous les deux ans de 1759 à 1771, puis en 1775 et en 1781, il composa pour la Correspondance littéraire un compte rendu des œuvres exposées au Louvre. Le Salon de 1759 ne comporte encore que quelques pages, mais les suivants prennent de l'ampleur. La théorie va de pair avec des récits ou des dialogues qui font de ces comptes rendus des œuvres originales et vivantes. La réflexion esthétique se poursuit dans l'Essai sur la peinture (1766), dans un échange de lettres avec le sculpteur Falconet sur la postérité (1765-1767) et dans les Pensées détachées sur la peinture, la sculpture, l'architecture, la poésie (1777).