Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
T

Tourian (Bedros)

Poète arménien (Istanbul 1851 – id. 1872).

Premier poète vraiment romantique, il composa 40 poèmes et plusieurs lettres d'un lyrisme exacerbé hanté par la mort. Son théâtre s'inspire de l'histoire nationale, qu'il exalte ou critique sans pouvoir imposer une forme dramatique (Terres noires, 1868 ; la Chute de la dynastie des Arsacides, 1870 ; la Prise d'Ani, capitale de l'Arménie, 1871).

Tourneur (Cyril)

Écrivain anglais (vers 1575 – Kinsale, Irlande, 1626).

Militaire, secrétaire de sir Edward Cecil, il mourra de maladie au retour de l'expédition de Cadix. La Tragédie du vengeur (imprimée en 1607) et la Tragédie de l'athée (1602 ou 1603, imprimée en 1611) modernisent Sénèque et sont autant de méditations sur la mort et l'autodestruction. Adultère, inceste, viol, meurtre sont les ingrédients de ce baroque élisabéthain qui pousse l'horreur à son paroxysme.

Tournier (Michel)

Écrivain français (Paris 1924).

Issu d'une famille imprégnée de Germanistik, il s'intéresse tout naturellement à l'Allemagne, dont il hérite le goût de la philosophie (spécialement celle de Leibniz), soutient en Sorbonne un diplôme sur Platon (1946), séjourne à Tübingen (1946-1949). Son échec à l'agrégation de philosophie l'oriente vers la radio (jusqu'en 1954), puis vers le journalisme et l'édition (1958-1968), avant que s'affirme sa vocation d'écrivain. Dans des romans de facture classique (« Mon propos n'est pas d'innover dans la forme, mais de faire passer dans une forme aussi traditionnelle, préservée et rassurante que possible une matière ne possédant aucune de ces qualités »), il entreprend d'écrire « des histoires qui auraient l'odeur du feu de bois, des champignons d'automne ou du poil mouillé des bêtes », mais qui seront « secrètement mues par les ressorts de l'ontologie et de la logique matérielle ».

   Vendredi ou les Limbes du Pacifique (1967) acquiert une célébrité instantanée à ce « romancier au teint quelque peu basané par le soleil métaphysique ». Sous couvert de raconter à sa façon la mésaventure rendue fameuse grâce à Defoe, l'écrivain subvertit d'emblée l'ordre des choses : ce n'est plus du « civilisé » qu'il va d'abord s'agir, mais du « sauvage ». Le renversement des perspectives est à nouveau présent dans le Roi des Aulnes (1970) : reprenant la parabole d'Abel et Caïn, le livre raconte l'histoire d'une sorte d'ogre, qui, après avoir rabattu des enfants pour les nazis, porte sur ses épaules, tel saint Christophe, un petit garçon juif qu'il tente de sauver, jusqu'à la mort dans les tourbières – réactualisant ainsi, tout en le dévoyant, le mythe populaire que célébrait la ballade de Goethe. C'est dire que l'ambiguïté est au cœur de l'œuvre. La trame principale du troisième roman, les Météores (1974), est constituée par le problème, central, de la gémellité (via Castor et Pollux) – entrecroisé avec le fantasme de l'androgynie –, auquel se mêlent les rapports du cosmique à l'humain, l'entrelacs du temps et de l'espace, les thèmes de la signification et de la pureté (perçue en tant que principe destructeur).

   Le mythe personnel de l'écrivain s'étoffe avec le Vent Paraclet (1977), autobiographie intellectuelle que prolongeront les brefs essais de Célébrations (1999). Avec Gaspard, Melchior et Balthazar (1980), Tournier déconcerte en apparaissant comme romancier chrétien, tout en portant sur Jeanne d'Arc un regard non conformiste (Gilles et Jeanne, 1983). Dans le Vol du vampire (1982), il soutient que le livre se nourrit de la substance du lecteur. De façon comparable, l'allégorie de la Goutte d'or (1985) met en scène un jeune Bédouin, qui croit que son âme a été capturée par un cliché. Auteur de recueils de contes (le Coq de Bruyère, 1978) ou de nouvelles (le Médianoche amoureux, 1985), Tournier, cofondateur des Rencontres internationales de photographie d'Arles, a également produit plusieurs ouvrages sur cet art (Miroirs, 1973 ; Des clés et des serrures, 1979 ; Rêves, 1979 ; Vues de dos, 1981). Au-delà de la diversité apparente, l'unité de l'œuvre est certaine : convoquant la figure de Moïse, Éléazar ou la source et le buisson (1996), par exemple, recoupe les réflexions sur la peinture, consignées dans le Tabor ou le Sinaï (1988). Vagabond immobile (1984), Tournier vit, entre deux périples, dans un presbytère de la vallée de Chevreuse, où il poursuit sa carrière paradoxale de « métèque de la littérature », prétendant réserver aux enfants le meilleur de son œuvre : Vendredi ou la Vie sauvage (1977), Pierrot ou les Secrets de la nuit (1979), Barbedor (1980), la Couleuvrine (1994).

Toursoun-Zade (Mirzo)

Poète tadjik (Karatag 1911 – Douchanbè 1977).

Chantre romantique du nouveau Tadjikistan, au service duquel il mobilisa les ressources du folklore et des genres traditionnels (les Étendards de la victoire, 1932 ; Automne et Printemps, 1937 ; la Vallée de Khissor, 1940), il se rendit célèbre comme poète de la résistance (le Fils de la patrie, 1942), avant de puiser dans les luttes de l'après-guerre et les mouvements de libération du tiers-monde (Inde, Iran, Égypte) un renouveau d'inspiration (Ballade indienne, 1948 ; Je viens de l'Orient libre, 1950 ; Hassan-arbakech, 1954 ; la Voix de l'Asie, 1956 ; Lumière éternelle, 1957 ; Du Gange au Kremlin, 1970).

Toussaint (François-Vincent)

Écrivain français (Paris 1715 – Berlin 1772).

Passé du jansénisme au parti philosophique, il collabora avec Diderot à la traduction du Dictionnaire de médecine de James et fournit des articles à l'Encyclopédie. Il publia un traité de morale naturelle, les Mœurs (1748), qui fut condamné au feu. Il se réfugia à Berlin, où Frédéric II lui offrit une chaire à l'École militaire. Il est l'auteur d'une Anti-Thérèse ou Juliette philosophe (1750), réplique au roman attribué au marquis d'Argens, et d'une Histoire des passions ou Aventures du chevalier Shroop (1751).

Toussaint (Jean-Philippe)

Romancier et cinéaste belge (Bruxelles 1957).

Après des études de sciences politiques et d'histoire, il enseigne en Algérie comme coopérant (1982-1984), puis publie la Salle de bain (1985, adapté au cinéma par John Lvoff en 1987), un roman froidement loufoque qui donne le ton des livres suivants. Ainsi Monsieur et son égoïsme aigre-doux (1986, premier film de l'auteur en 1989), puis l'Appareil-photo volé sur un ferry-boat (1989, la Sévillane au cinéma en 1992), la Réticence d'un voyageur devant une maison corse et vide (1991), la Télévision retournée pour réfléchir sur ce qu'est le regard (1997), et jusqu'aux éclats cocasses d'un Autoportrait (à l'étranger) [2000] constituent une œuvre où les histoires ténues cachent un exigeant travail d'écriture, d'ailleurs récompensé par le succès populaire et les nombreuses traductions. Il a publié Faire l'amour en 2002. Émancipant son cinéma du travail littéraire, il a récemment tourné Berlin 10 heures 46 (1994, en collaboration) et la Patinoire (1999).