Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
G

Gringore (Pierre)
ou Pierre Gringoire

Poète et auteur dramatique français (en Normandie v. 1475 – en Lorraine v. 1539).

Il ne fut pas cet artiste bohème dont Hugo et Banville ont popularisé la légende, mais un poète courtisan. On peut d'abord distinguer chez lui des œuvres morales, comme le didactique Château de Labour (1499), l'antiféministe Château d'Amour (1500), ainsi que d'autres œuvres développant une même satire morale de la société : les Folles Entreprises (1505), les Abus du monde (1509), les Fantaisies de Mère Sotte (1516), les Menus Propos (1521). On peut ajouter un recueil d'apophtegmes publié en 1527, les Notables Enseignements, adages et proverbes.

   Gringore est aussi l'auteur d'opuscules politiques destinés à soutenir la politique de son protecteur, le roi Louis XII  (l'Entreprise de Venise, 1509 ; l'Obstination des Suisses, vers 1510), et de deux pamphlets contre le pape Jules II (la Chasse du cerf des cerfs, 1510 ; l'Espoir de paix, 1511). Un troisième groupe d'œuvres relève du lyrisme religieux (Heures de Notre-Dame,1525 ; Chants royaux sur les mystères, 1527) et de la polémique (le Blason des hérétiques, 1524). Mais la partie la plus importante de l'œuvre reste le théâtre : un mystère (la Vie Monseigneur sainct Louis) et les deux soties que sont le Jeu du Prince des sots (1512), satire du pape Jules II, et la Sotie nouvelle des chroniqueurs (1515), dialogue satirique à bâtons rompus, trois textes très représentatifs du théâtre profane de la pré-Renaissance.

Gripari (Pierre)

Écrivain français (Paris 1925 – id. 1990).

Outre l'autobiographique Pierrot la lune (1963), il présente dans ses poèmes (le Solilesse, 1977), son théâtre (Lieutenant Tenant, 1962 ; Café-théâtre, 1979 ; Pièces mystiques, 1982), ses romans (Vies parallèles de Roman Branchu, 1978 ; le Conte de Paris, 1980), ses contes (Contes de la rue Broca, 1967 ; Patrouille du conte, 1983) et ses nouvelles (l'Incroyable Équipée de Phosphore Noloc, 1964 ; Rêveries d'un matin en exil, 1976 ; Paraboles et Fariboles, 1981) un fantastique allégorique qui s'apparente à la manière caustique d'un Italo Calvino. Les images facétieuses et surnaturelles de l'Arrière-monde (1972) montrent que l'univers terrestre n'est que la surface d'un monde qui n'est pas régi par la raison.

Grobéty (Anne-Lise)

Romancière suisse de langue française (La Chaux-de-Fonds 1949).

Dès Pour mourir en février (1970), elle surprend par un aspect ludique et enjoué, où l'ironie ne manque pas. Cette originalité sera exploitée avec bonheur dans plusieurs nouvelles (la Fiancée d'hiver, 1984 ; Contes-gouttes, 1986), tandis que ses romans, Zéro positif (1975) et Infiniment plus (1989), traceront la solitude et les doutes, frustrations et belles résolutions de jeunes femmes en quête de soi, dans une langue toujours appropriée, à la fois libre et maîtrisée.

Grosjean (Jean)

Écrivain français (Paris 1912 – Versailles 2006).

Ajusteur, voyageur au Moyen-Orient (1936-1937), prêtre (1939), il quittera l'Église en 1950, mais cherchera, par la poésie, à retrouver l'essence de l'élan religieux (Terre du temps, 1946 ; Hypostase, 1950 ; Apocalypse, 1962 ; Élégies, 1967 ; la Gloire, 1969). Traducteur d'Eschyle, de Sophocle et du Coran, il poursuit, à travers des textes qui sont autant des romans d'aventures intérieures que des poèmes philosophiques, le tracé de son itinéraire spirituel vers Dieu (le Messie, 1974 ; les Beaux Jours, 1980 ; Élie, 1982 ; Pilate, 1984 ; Samson, 1989 ; la Lueur des jours, 1991 ; Nathanaël, 1996). Traducteur (grec ancien, hébreu, arabe, anglais), Grosjean a aussi publié des biographies de personnages historiques (Clausewitz, Kleist) ou bibliques (Jonas).

Grossi (Tommaso)

Écrivain italien (Bellano 1790 – Milan 1853).

D'abord poète dialectal (l'Épopée de Prinée, 1815), il évolua vers le romantisme (ildegonda, 1820 ; les Lombards pendant la première croisée, 1826). Mais il reste surtout l'auteur du roman historique Marco Visconti (1834), qui évoque la Lombardie du XIVe s.

Grossman (Vassili Semionovitch)

Écrivain russe (Berditchev 1905 – Moscou 1964).

Il écrivit d'abord des récits en accord avec l'idéologie officielle, souvent de qualité, sur la guerre civile (le Rêve, 1935 ; Quatre Journées, 1936) ou les origines du bolchevisme (Stépane Koltchouguine, 1937-1940). Correspondant au front, il écrit des articles très appréciés et un roman (Le peuple est immortel, 1942). Auteur du premier ouvrage littéraire sur les camps de concentration, l'Enfer de Treblinka (1944), il participe au Livre noir sur le sort des Juifs soviétiques pendant la guerre. Menacé pendant la campagne antisémite des blouses blanches, il cesse de publier, se consacrant entièrement à l'écriture de Vie et destin. Ce roman, terminé en 1960 mais édité pour la première fois en 1980, à Lausanne, fait de lui un écrivain d'envergure mondiale. L'action se déroule pendant la bataille de Stalingrad et met en scène, avec une volonté d'élargissement maximal, tous les acteurs de cette période. La force du livre est de mettre face à face, avec une audace impensable à l'époque, les deux régimes totalitaires, dans une réflexion sur le mal absolu. Il s'organise, avec des ramifications complexes, autour de destinées individuelles, racontées avec vérité et authenticité. Le roman, proposé à l'édition, est confisqué ; Grossman, mis ainsi sous le boisseau, ne s'en relèvera pas, même s'il poursuit sa méditation sur le totalitarisme dans Tout passe (1955-1963) ; ce récit moins dramatique, d'inspiration plus philosophique, sur les camps est le premier ouvrage à dénoncer le rôle de Lénine.

grotesque

Comme les fresques romaines découvertes à la Renaissance dans des excavations (d'où l'italien grottesca), qui montraient des motifs fantastiques – confusion des règnes végétal, animal et humain, chimères et monstres, architectures « impossibles » –, le grotesque est un « genre » qui cultive l'irrationnel, le fantastique, le caricatural, le bizarre et l'irrégulier. Dès Montaigne, qui compare ses Essais à ces « peintures fantasques, n'ayant grâce qu'en la variété et étrangeté, [...] corps monstrueux, rapiécés de divers membres, sans certaine figure, n'ayant ordre, suite ni proportion que fortuite » (I, 28), le transfert se fait de la peinture à la littérature, et avec les romantiques, le concept devient un principe humain universel. Dès lors on peut qualifier de « grotesque » toute œuvre qui fait de la disharmonie (voire de la laideur) et de l'imaginaire « déraisonnable » ses principes esthétiques, avec une hésitation entre un grotesque qui fait rire et un grotesque qui fait peur.

   D'un côté, le grotesque carnavalesque médiéval, défini par Bakhtine, hyperbole satirique et caricaturale, désordre joyeux, inversion libératrice, conscience et jouissance de l'infinie diversité de l'homme, du monde, du langage, exploration de l'autre. On le trouve dans le théâtre médiéval et la farce de la Renaissance ; dans la commedia dell'arte et les gravures de Callot ; dans le roman picaresque ; dans la désarticulation que des écrivains du début du XVIIe s. (Cramail, Saint-Amant), font subir au langage et aux représentations...

   Mais les romantiques imposent une nouvelle vision de cette catégorie esthétique : si le grotesque n'est guère plus qu'un moyen de réhabilitation de l'expression littéraire atypique chez T. Gautier (les Grotesques), chez Hugo en revanche, il est paradoxalement un antimasque, la révélation d'une des vérités de l'homme (avec le sublime) et le bouffon devient l'image de la conscience universelle (Préface de Cromwell). Car « le rire causé par le grotesque a en soi quelque chose de profond, d'axiomatique et de primitif qui se rapproche plus de la vie innocente et de la joie absolue que le rire causé par le comique de mœurs » (Baudelaire). Joie absolue, toute proche d'être vertige absolu.

   L'absurde n'est donc pas loin. Il est déjà lisible chez Jarry, et aujourd'hui identifié à l'expression de la modernité, telle que l'illustrent Sherwood Anderson, Nathaniel West, Isaac Babel, Ionesco, Beckett. Le grotesque est devenu triste, suivant un mouvement déjà décelable chez Flaubert (Bouvard et Pécuchet) : la réalité est une sorte de ça, irréductible au langage et à la raison, qui renvoie au sujet l'image monstrueusement inutile de lui-même. L'étrangeté dérisoire de l'existence ne provoque plus le rire, mais la répulsion.