Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
L

littérature latine (suite)

Les grands genres

L'épopée

Bien que l'épopée romaine ne soit pas, comme la grecque, un genre fondateur, c'est un texte épique, la traduction de l'Odyssée, qui ouvre la littérature latine. Par la suite, on voit apparaître à Rome trois catégories d'épopée : une épopée historique, caractérisée par le refus du « merveilleux », et relatant des événements réels, assez proches dans le temps, certes en recourant au « grandissement épique », mais en refusant les interventions divines et en faisant appel à un principe de causalité purement humaine ; une épopée mythique, conçue sur le modèle des poèmes homériques, et relatant des faits légendaires situés dans un très lointain passé, en faisant systématiquement intervenir les dieux à la fois à leur origine et dans leur déroulement ; enfin une épopée qu'on pourrait qualifier de mixte, relatant, comme la première, des événements proprement historiques, mais en y multipliant, comme la seconde, les interventions divines.

   À la première catégorie appartient la principale épopée de la période archaïque, les Annales d'Ennius, dont le titre même est celui d'un ouvrage historique, et qui raconte en 18 livres l'histoire de Rome, depuis sa fondation jusqu'aux événements les plus actuels, les guerres puniques, auxquelles leur auteur avait lui-même participé ; de ce monument grandiose ne subsistent que 600 vers, d'une langue souvent rude, mais témoignant d'un véritable souffle épique. Beaucoup plus tard, au Ier siècle de notre ère, le genre de l'épopée historique sera illustré à nouveau par Lucain, dont la Pharsale, consacrée à la grande guerre civile du siècle précédent, relate sans aucun recours au divin le conflit qui avait opposé césariens et pompéiens et s'était achevé par la victoire des premiers à Pharsale : Lucain y raconte en dix chants des faits réels datant d'un siècle à peine, mais il leur donne par l'amplification une dimension surhumaine et en y introduisant une sorte de « merveilleux laïque » à base de prodiges, de songes prémonitoires et parfois de sorcellerie.

   L'œuvre majeure de la deuxième catégorie est l'Énéide de Virgile, qui, imprégnée de merveilleux, se présente comme une imitatio des épopées d'Homère et constitue une « continuation » de l'Iliade, puisqu'elle relate la chute de Troie, suivie des errances du prince troyen Énée, qui comme Ulysse parcourt les mers, à la recherche de la lointaine Italie, où il a reçu des dieux la mission de fonder une nouvelle Troie, la future Rome, mais où il devra guerroyer contre une partie de la population indigène (à cet égard, l'Énéide se compose d'une Odyssée suivie d'une Iliade) ; pourtant, si Énée est un héros mythique et si les dieux jouent un rôle primordial dans la diégèse, le poème n'en comporte pas moins une composante historique essentielle, du fait que plusieurs épisodes annoncent les grands événements de l'Histoire romaine et que les aventures d'Énée, à la différence de celles d'Ulysse, ont un enjeu qui est le destin même de Rome. Après Virgile, l'épopée mythique va connaître de brillantes manifestations, avec les Argonautiques de Valérius Flaccus, qui reprennent le mythe de la Toison d'or et des amours de Jason et Médée, et avec la Thébaïde de Stace, qui relate la lutte fratricide d'Étéocle et de Polynice pour le trône de Thèbes, et se signale à la fois par une mythologie envahissante et par une omniprésence de la violence traduisant une véritable complaisance à l'horrible. Il faut enfin faire une place particulière aux Métamorphoses d'Ovide, épopée atypique et à laquelle on a souvent dénié ce nom ; faute de mieux, on ne peut que rattacher à la poésie épique ce monument dont les 15 livres purement mythologiques constituent le témoignage le plus riche et le plus brillant que nous possédions sur les « contes et légendes » de l'Antiquité.

   La troisième catégorie (dans laquelle on pourrait à certains égards ranger celle de Virgile) est représentée, à l'époque archaïque, par celle que Naevius, peu avant Ennius, consacre aux Guerres puniques sous le titre de Bellum Punicum ; elle a un caractère nettement historique, mais, à en juger par les infimes fragments qui nous en sont parvenus, elle semble avoir préfiguré l'Énéide en évoquant déjà certaines légendes concernant Énée, que Virgile lui a sans doute empruntées. Mais elle est surtout représentée, au Ier siècle de notre ère, par une œuvre étrange, consacrée au même sujet, les Punica de Silius Italicus ; l'auteur y raconte les guerres puniques à la manière dont Virgile avait narré la geste d'Énée, en faisant largement appel au merveilleux mythologique : dieux et déesses s'y affrontent sur les champs de bataille, et le général Scipion y descend aux Enfers comme jadis Énée. Cette œuvre hybride, chant du cygne de l'épopée latine, traduit l'essoufflement d'un genre que Silius n'est parvenu à renouveler que de façon artificielle.

L'histoire

Inséparable de l'épopée, l'histoire, ou plutôt l'historiographie, comme on dit souvent pour distinguer ce genre littéraire de la science historique moderne, est à Rome un genre majeur, car les Romains ont toujours pensé avec Cicéron que « l'homme qui ignore ce qui s'est passé avant sa naissance reste toujours un enfant », et ont eu le souci de chercher dans leur histoire des leçons et des exemples susceptibles de guider leur conduite. Les écrits historiographiques peuvent être répartis en plusieurs catégories : les « annales », qui en constituent la forme primitive, sont, comme leur nom l'indique, la relation, structurée annuellement, des principaux événements ; la monographie présente un événement particulièrement important, dont l'auteur propose une analyse et une interprétation ; les Res gestae (« actions accomplies »), appelées aussi Historia, sont une histoire générale, dont la structuration n'est pas nécessairement annuelle, et qui expose de manière complète la destinée de Rome et de son empire. À ces trois catégories s'ajoutent le sous-genre de la biographie, inaugurée par Cornélius Népos, qui retrace la vie de tel ou tel grand personnage, et un type de récit particulier qu'on nomme « commentaire » (au sens latin de « aide-mémoire »), qui se propose de fournir aux historiens proprement dits les faits à l'état brut.

   De la première « annalistique » romaine rien ne nous est parvenu, mais nous savons par Cicéron, qui le leur reproche, que les annalistes se contentaient de raconter les faits sans se soucier de donner à leurs lecteurs le plaisir que procure une prose élégante. Cicéron, précisément, sans pour autant prêcher d'exemple, élabore la notion d'historia ornata ; c'est-à-dire d'une historiographie que caractérisent à la fois la qualité de l'expression et un traitement de la matière mettant en évidence les beautés de l'histoire. Cette conception, visant à donner au genus historicum des lettres de noblesse qu'il n'avait pas encore, est illustrée, à son époque même, par les deux monographies de Salluste, l'une consacrée à la guerre menée contre les Numides du roi Jugurtha, l'autre à la conjuration de Catilina, dont avait triomphé Cicéron ; Salluste, dans un style d'une extrême densité, y accorde au récit proprement dit une place assez réduite et, sans se plier toujours aux contraintes de l'ordre chronologique, se soucie avant tout d'expliquer les faits par des analyses, tant sociologiques que psychologiques, d'une assez remarquable modernité. À ces monographies il convient d'ajouter la Guerre des Gaules et la Guerre civile de César, que leur auteur présente comme de simples « commentaires », mais qui sont en fait de très subtils récits, conduits avec un art consommé de la déformation historique, au service de la propagande politique du narrateur qui en est aussi le protagoniste.

   Très différente apparaît l'Histoire romaine de Tite-Live, œuvre immense qui ne comptait pas moins de 142 livres dont nous ne lisons qu'un peu plus de trente. Commençant à la fondation de Rome (ab Urbe condita) et se poursuivant jusqu'aux événements contemporains, cette histoire-fleuve, comme on dit d'un roman, se présente comme une véritable épopée en prose, qui déroule à la manière d'un film à grand spectacle la geste héroïque du peuple romain, avec de grandioses scènes de bataille, des gros plans saisissants sur les principaux acteurs de l'Histoire et des discours « reconstitués » qui font de Tite-Live un authentique orateur. Par l'ampleur de la matière qu'elle embrasse, l'œuvre livienne, d'une écriture très variée, est un monument qui, bien qu'en ruines, demeure impressionnant et n'a cessé, au cours des siècles, de nourrir les imaginations. De dimensions moins imposantes, mais d'une acuité pénétrante, sera, au début du IIe siècle de notre ère, l'œuvre polymorphe de Tacite, biographe de son beau-père Agricola, géographe de la Germanie et surtout auteur de deux ouvrages majeurs, les Histoires et les Annales, qui, d'un style encore plus dense que celui de son modèle Salluste, sont la chronique pessimiste et souvent féroce des dynasties impériales du siècle précédent. Peu après, Suétone, grand spécialiste de la biographie, complétera l'œuvre tacitéenne par ses Vies des douze Césars qui sont aujourd'hui encore un modèle du genre. Il faut enfin faire une place à part à l'Histoire d'Alexandre le Grand, de Quinte-Curce, qui, plus qu'une biographie, est une épopée en prose où l'exotisme occupe une place de choix.

L'éloquence

Il y a un paradoxe du genre oratoire à Rome : il a été pratiqué par des centaines de personnages, avocats, hommes politiques, chefs d'État, généraux, et constitué de milliers de discours en tout genre, il est représenté pour nous, à peu de chose près, par ceux d'un seul homme, Cicéron, qui par son envergure a éclipsé tous les autres. C'est d'ailleurs par lui, et plus précisément par son traité intitulé Brutus, dans lequel il passe en revue tous ses prédécesseurs, que nous connaissons les noms et entrevoyons les talents de tous ses devanciers. Nous savons d'autre part, grâce aux traités des professeurs d'éloquence qu'on appelait « rhéteurs » (et dont le plus célèbre fut, au Ier siècle de notre ère, Quintilien), quelles catégories de discours distinguaient les Romains : il y avait le discours « délibératif », de fonction essentiellement politique, considéré comme la forme la plus haute de l'éloquence ; le discours « judiciaire », prononcé au tribunal par la défense ou par l'accusation ; enfin le discours « démonstratif », caractérisé par l'absence de tout affrontement, et représenté par les oraisons funèbres, les panégyriques et autres discours d'apparat.

   Cicéron, d'abord avocat, puis homme politique de premier plan, s'est illustré dans les deux premiers, tandis que le troisième a été pratiqué surtout durant la période impériale, où la vie politique s'était pratiquement éteinte (les panégyriques des empereurs et quelques conférences mondaines d'Apulée sont du reste les seuls discours que nous possédions en dehors de ceux de Cicéron). Ce dernier, quant à lui, apparaît comme un théoricien autant que comme un praticien de l'éloquence : sa définition de l'orateur, vir bonus dicendi peritus (« un homme de qualité habile à s'exprimer ») est demeurée célèbre, ainsi que sa formulation des trois devoirs de l'orateur : docere (informer), movere (émouvoir), delectare (plaire) ; c'est également lui qui, en montrant que l'orateur ne doit pas être seulement un technicien de la communication, mais aussi un homme profondément cultivé, notamment en histoire et en philosophie, à fondé la notion de « culture générale » sur laquelle repose encore notre enseignement secondaire. Il a enfin pris parti dans la querelle qui opposait les tenants de deux formes antagonistes d'éloquence (les « attiques », partisans de la sobriété et du dépouillement imités des orateurs athéniens, et les « asiatiques », qui prônaient l'emphase et la surcharge ornementale à la manière de ceux d'Asie Mineure), en préconisant et en pratiquant une éloquence de juste milieu, la « rhodienne », caractérisée par un style ample et abondant (la copia verborum), mais évitant la boursouflure. Cela dit, c'est en fin de compte dans les ouvrages historiographiques que l'éloquence autre que cicéronienne est le mieux représentée : on y trouve en effet, réécrits à leur manière (au style tantôt direct, tantôt indirect) par César, Salluste, Tite-Live et Tacite, tous les principaux discours prononcés par les personnages historiques, de sorte qu'éloquence et historiographie sont inséparables l'une de l'autre.

Les genres didactiques ou démonstratifs (philosophiques, scientifiques et techniques)

Leur point commun est bien entendu leur finalité, qui est l'enseignement d'une doctrine, d'un savoir ou d'une méthodologie. L'expression des idées philosophiques, le plus souvent inséparables d'une conception du monde physique, et toutes empruntées aux Grecs (philosophique ou scientifique, il n'existe aucune école proprement romaine), mais repensées bien souvent dans l'esprit pratique qui caractérisait la romanité, a pris à Rome les formes les plus diverses. La poésie hexamétrique a été utilisée par Lucrèce pour exposer, d'une manière aussi attrayante que possible, à grand renfort d'images et dans une langue d'un archaïsme savoureux, la physique matérialiste et atomiste qui était le fondement de la morale épicurienne. On peut en rapprocher les Astronomica du stoïcien Manilius ainsi que le poème anomyme de l'Etna. Cicéron, pour sa part, a choisi la forme du dialogue, non à la manière socrato-platonicienne, où un meneur de jeu dirige une discussion faisant alterner questions et réponses, mais à la manière aristotélicienne, qui fait se succéder plusieurs « communications » coupées de brèves discussions ; il a moins souvent eu recours au traité, où l'auteur expose de façon dogmatique et continue sa doctrine. C'est également sous forme de « dialogues » que Sénèque a choisi de présenter, à propos de quelques grands thèmes existentiels (le bonheur, la brièveté de la vie, la colère...), les principes de la morale stoïcienne, mais il s'agit de dialogues pour le moins atypiques, car l'auteur, comme dans un traité, y exprime seul ses idées, interrompu seulement de temps à autre par la remarque ou l'objection qu'il prête à un interlocuteur fictif. Le même Sénèque a utilisé aussi le genre épistolaire, en adressant à son ami Lucilius, pour le guider sur la voie de la sagesse, de longues lettres qui lui permettent de présenter la pensée stoïcienne d'une façon particulièrement vivante. Il a enfin choisi la forme du traité pour tenter d'expliquer, dans ses Questions naturelles, le rôle joué par les « quatre éléments » dans les grands phénomènes physiques.

   Avec ce dernier ouvrage nous avons abordé la littérature qu'on peut appeler scientifique. Pas plus que de philosophie, il n'y a de science proprement romaine, et dans ce domaine les Latins se sont bornés à être les vulgarisateurs, souvent talentueux, des idées scientifiques grecques. Il faut citer ici les deux encyclopédies, celle de Varron (presque entièrement disparue) et celle de Pline l'Ancien, les traités de médecine et d'architecture dus respectivement à Celse et à Vitruve, et ceux des agronomes latins, Caton, Varron encore et Columelle, auxquels il faut joindre le grand poème didactique de Virgile, les Géorgiques, dont l'enseignement, en principe agricole, est en fait philosophique et moral, et rejoint par là celui de Lucrèce.

Les genres scéniques

Le théâtre latin est l'un des genres que nous connaissons le plus mal. Toute la tragédie d'époque républicaine, illustrée par Ennius, Accius et Pacuvius, ne subsiste plus qu'à l'état d'infimes fragments, qui nous permettent tout de même d'entrevoir deux types fondamentaux : la tragédie mythologique, imitant, adaptant et parfois même traduisant (de façon très libre) les œuvres des grands tragiques grecs, et la tragédie historique et nationale, beaucoup plus originale (et constituant même l'une des plus remarquables innovations littéraires de Rome), mettant en scène les protagonistes de l'histoire romaine ; cette tragédie, dite praetexta, peut être rapprochée de l'épopée historique, elle aussi création romaine, l'une et l'autre témoignant d'une volonté de s'écarter des prestigieux modèles grecs. Tout cela, malheureusement, n'est plus que débris, et pour nous la tragédie latine se réduit aux neuf pièces (imitées d'Euripide et Sophocle et sans doute destinées à la déclamation plus qu'à la représentation) qu'écrivit au Ier siècle de notre ère le philosophe Sénèque.

   La comédie a été un peu moins malmenée par le destin, puisque nous avons conservé l'œuvre intégrale de ceux que les Romains considéraient comme leurs deux plus grands auteurs comiques, Plaute et Térence. L'un et l'autre (le premier avec une verve endiablée et une grande truculence langagière, le second avec plus de retenue et une moindre force comique) ont illustré le genre de la comoedia palliata (« en costume grec »), consistant en l'adaptation plus ou moins libre des pièces de la « nouvelle comédie » grecque (la Néa) dont l'intrigue reposait le plus souvent sur les démêlés d'un père bourgeois et de son fils, amoureux d'une courtisane coûteuse ou d'une jeune fille pauvre et sans dot. Par un singulier paradoxe, si nous avons conservé une bonne partie des tragédies grecques, mais perdu la quasi-totalité des tragédies latines inspirées d'elles, nous avons perdu la quasi-totalité des comédies grecques, mais conservé les comédies latines dont elles étaient les modèles – ce qui ne facilite pas l'évaluation de l'originalité du théâtre latin. De cette comédie gréco-latine tous les autres témoins ont disparu, et nous avons également perdu la totalité de la comédie « en toge » (comoedia togata), qui comme la tragédie « prétexte » mettait en scène des personnages romains ou italiens : ici encore, la partie la plus originale du théâtre romain nous demeure inaccessible – au même titre que ce genre particulier qu'on appelait l'atellane (du nom d'une bourgade de Campanie), et où l'on voit parfois l'ancêtre de la commedia dell'arte. On peut néanmoins, à certains égards, leur associer la « Bucolique » ou poésie pastorale, illustrée par Virgile, qui était le plus souvent dialoguée et dont nous savons qu'elle faisait l'objet de représentations. Mais en tout état de cause, tué par les spectacles plus corsés de l'amphithéâtre qui captivaient le grand public, le théâtre littéraire est inexistant sous l'Empire, où les spectacles scéniques se réduisent à ce que les Latins appelaient « mime » : un théâtre réaliste, mouvementé et volontiers érotique, dont nous n'avons d'ailleurs conservé aucun témoin.

La poésie lyrique et élégiaque

Ces deux genres poétiques, bien que très différents au point de vue (primordial pour les Anciens) de la forme métrique, peuvent être présentés ensemble dans la mesure où ils ont en commun une thématique dominante qui est l'expression de sentiments personnels, caractérisée par l'emploi de la première personne. La poésie proprement lyrique (inséparable de la musique et destinée à être chantée), n'a jamais eu à Rome l'importance qui avait été la sienne en Grèce, où le lyrisme, monodique ou choral, avait été un genre majeur, illustré par les plus grands poètes. À Rome, elle n'apparaît que tardivement, au Ier siècle de notre ère, avec les « nouveaux poètes » qui, autour de Catulle (le seul dont nous ayons conservé les œuvres), se détournent de la « grande poésie » de type épique, et choisissent de chanter leurs amours, leurs amitiés et leurs inimitiés dans de courtes pièces en mètres variées. Mais le grand maître (et en fin de compte le seul représentant après Catulle) du lyrisme romain est Horace, dont les Odes, d'inspiration tantôt personnelle tantôt civique, témoignent d'une extraordinaire virtuosité rythmique et font de lui l'égal des poètes grecs qu'il imite sans la moindre trace de servilité. Sans doute avait-il porté le genre à un tel degré de perfection qu'il a découragé toute émulation ; en tout cas, même s'il a eu des émules (ne serait-ce que Néron !), leurs œuvres nous demeurent inconnues, et à cet égard Horace est au lyrisme romain ce que Cicéron est à l'éloquence.

   La poésie élégiaque, inaugurée elle aussi par Catulle, et illustrée après lui par quatre poètes qui sont Gallus, Tibulle, Properce et Ovide, est un éblouissant feu de paille dont la durée se limite à la période augustéenne. Le genre de l'élégie, sans doute à l'origine poésie de deuil (ce qui semble être son sens étymologique), fondée sur une métrique particulière qui est le « distique » hexamètre-pentamètre, était, en Grèce, resté mineur et dépourvu de spécificité véritable. L'originalité des Latins a été de le spécialiser en quelque sorte dans l'expression du sentiment amoureux : les « élégiaques » ont pour sujet de prédilection l'amour passionné qu'ils portent à une femme désignée par un pseudonyme grec (Délie, Cynthie...), et cette poésie, qu'elle soit sincère ou (comme on l'a soutenu) entièrement factice, correspond pleinement à l'esprit qui règne à Rome à l'issue des guerres civiles, et que caractérise le dégoût de la politique, joint au désir de vivre pour soi et de faire de l'amour, à l'encontre de la vieille morale civique, le but même de l'existence.

Satire, épigramme et roman

C'est leur inspiration qui autorise à réunir ici ces trois genres par ailleurs très différents : tous trois se caractérisent en effet par un commun refus de la mythologie aussi bien que de l'histoire, et par la volonté affirmée de faire de la littérature un « miroir de la vie », en traitant des sujets et en présentant des personnages puisés dans l'existence de tous les jours, loin des grands événements et des personnages célèbres : tous trois constituent ensemble une littérature du quotidien, le plus souvent marquée par un esprit d'ironie ou de dérision.

   Le mot latin satura (devenu satira) était à l'origine terme culinaire désignant un « pot pourri », plat populaire où entraient les ingrédients les plus variés. Ce terme fut employé, en littérature, pour désigner un genre spécifiquement latin (le seul, de fait, qui n'ait pas un nom d'origine grecque) caractérisé à la fois par le mélange de la prose et des vers et le traitement ludique de sujets variés et le plus souvent triviaux – dont nous n'avons pas conservé de témoins. Au IIe siècle, un nommé Lucilius l'avait, tout en en conservant l'esprit moqueur et familier, transformé en un genre purement poétique, que devait un siècle plus tard reprendre Horace, dans une perspective épicurienne, et sans doute sous le titre de Sermones (« conversations à bâtons rompus »), suivi au Ier siècle de notre ère par Perse, dans une perspective cette fois stoïcienne, enfin, au siècle suivant, par Juvénal, qui à l'esprit de dérision devait ajouter une indignation d'esprit passablement populiste devant les vices d'une société à ses yeux totalement pourrie – inaugurant ainsi la satire (sociale) au sens moderne du terme.

   De la satire on ne peut séparer l'épigramme, abondamment illustrée par les Grecs, puis introduite à Rome par Catulle avant d'être brillamment illustrée, à la fin du Ie siècle de notre ère, par Martial, qui est le maître incontesté de ce court poème de raillerie, en même temps que le théoricien souriant de cet art poétique consistant à rejeter les sujets nobles (et à ses yeux mortellement ennuyeux) de la grande poésie, au profit de l'observation de la vie quotidienne : c'est lui qui assigne pour mission à la littérature d'être avant tout « un miroir de la vie ».

   C'est, enfin, vers la même époque, que naît à Rome un genre littéraire entièrement nouveau, créé peut-être au Ier siècle, plus vraisemblablement au IIe, par un certain Petronius Arbiter que nous appelons Pétrone, qui se réclame d'une esthétique identique à celle de Martial. Ce genre (qu'aucun terme ne désigne en latin) n'est autre que le roman, dont le premier en date est ce Satyricon ou Satiricon (indissociablement « histoires de voyous » et « histoires satiriques »), dont les fragments conservés, mêlant prose et vers comme la vieille satura, nous permettent une véritable plongée dans la vie quotidienne de l'Italie impériale (en particulier, dans le monde pittoresque des « affranchis »), et que suivra quelques décennies plus tard l'Âne d'or d'Apulée, roman picaresque avant la lettre dont le personnage principal va d'aventures en aventures dans les milieux populaires de la Grèce.

Le genre épistolaire

On dira un mot, pour terminer, de ce genre qui en est à peine un, tant la rédaction de lettres appartient à la pratique la plus courante. Moins banale est évidemment leur publication. À Rome doit être signalée celle, posthume, de la volumineuse correspondance de Cicéron, qui n'était pas destinée à cela et se compose donc de lettres authentiques, non retouchées par leur auteur, ce qui fait d'elles un document passionnant, fondamental pour notre connaissance de lui-même et de son époque. Plus artificielle sera, deux siècles plus tard, celle de Pline le Jeune, dont les lettres brillantissimes, destinées à être publiées et peut-être bien écrites à cette seule fin, n'en constituent pas moins un document précieux sur la vie des classes dirigeantes à l'apogée de l'Empire. Des lettres philosophiques de Sénèque il a déjà été question. Restent à prendre en compte les « épîtres » en vers d'Horace, qui continuent en fait ses Sermones sous une forme épistolaire fictive.