Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
A

Adam le Bossu
ou Adam de la Halle

Trouvère picard (Arras, vers 1240 – vers 1287).

Natif d'Arras, qui fut au XIIIe siècle un centre économique, culturel et poétique de première importance, « maître » Adam de la Halle (il a dû obtenir sa maîtrise à Paris) a été surtout admiré de son temps pour ses talents de musicien et de poète. Ont été conservés avec leurs mélodies des chansons, des jeux-partis, des rondeaux, des motets à plusieurs voix d'inspiration profane, qui ont assuré sa réputation auprès de la puissante Confrérie des jongleurs et bourgeois d'Arras ou auprès du Puy d'Arras. Dans ses chansons, Adam, bon élève des trouvères, laisse parfois percer une réaction plus personnelle à l'amour et à sa dame, à laquelle fait écho le « je » Adam, partagé entre amour et « clergie », du Jeu de la feuillée, son œuvre majeure, sans doute composée et jouée pour une séance de la confrérie. Dans son Congé, poème contemporain du Jeu de la feuillée et adieu lyrique à l'amour, à son amie, à ses compagnons et à sa ville, Adam se livre aussi à une critique acerbe de la société d'Arras corrompue par l'argent. Selon le Jeu du pèlerin, Adam a accompagné en Italie (à Naples) Robert d'Artois venu au secours de son oncle Charles d'Anjou, pour qui le poète a composé une sorte de chanson de geste, le Roi de Sicile.

   Transposant avec brio, pour un public aristocratique, les situations propres aux pastourelles (poésies stylisant la rencontre en pleine nature d'un chevalier sûr de lui et d'une bergère plus ou moins complice), Adam s'amuse dans le Jeu de Robin et Marion (1275) à mettre en scène les avances amoureuses d'un chevalier balourd, ridiculisé par la bergère, et les divertissements rustiques, parfois grivois, parfois violents, de bergers de fantaisie. Figure centrale de ce divertissement qui annonce le genre de la pastorale, l'aimable Marion incarne le rêve toujours menacé d'un bonheur paisible au sein de la nature.

   Tirant son titre de la « feuillée » où était exposée à Arras, à la Pentecôte, la châsse de Notre-Dame, le Jeu de la feuillée (1276) est la première pièce en français qui unisse comique et sujet entièrement profane. Pièce de circonstance, le « jeu » met en scène autour du « je » Adam des bourgeois d'Arras, nommément désignés, dont certains jouent peut-être leur propre rôle et qui finiront la nuit dans une taverne de la ville, lieu théâtral déjà utilisé par Jean Bodel dans le Jeu de saint Nicolas. D'abord centré sur le discours d'Adam, se justifiant avec emphase et brio de reprendre ses études à Paris et de quitter une femme qu'il ne désire plus, le jeu glisse vers une sorte de revue satirique aussi leste que grinçante de la bourgeoisie (et des femmes) d'Arras menée par les compagnons d'Adam, qu'interrompent sur le mode grotesque les interventions d'un médecin charlatan, d'un moine cupide, d'un fou et de son père, etc. Le moment le plus spectaculaire est la féerie (le repas préparé pour les fées par les vieilles femmes de la ville), qui met en scène trois fées (dont Morgain) aussi ridicules que ridiculisées et qui culmine avec la présentation de la Roue de Fortune où sont suspendus de puissants Arrageois. Le finale se joue dans l'ivresse et la cacophonie de la taverne d'où sont finalement exclus le moine et le fou. On verra aussi bien dans ce jeu la représentation d'une société assez sûre d'elle-même pour railler avec verve ses vices, que le drame existentiel d'Adam, jouet de la Fortune, hésitant entre études et vie bourgeoise, et définitivement englué dans la médiocrité arrageoise.

Adam de Saint-Victor

Musicien et poète français de langue latine (vers 1110 – 1192).

Il occupa les fonctions de préchantre à la cathédrale Notre-Dame de Paris, avant d'entrer vers 1130 à l'abbaye de Saint-Victor. Il composa de nombreuses poésies religieuses destinées à être chantées, où s'unissent le mysticisme et la réflexion théologique. Il contribua à mettre au point le genre de la séquence dite « régulière », qu'il porta à la perfection. On lui attribue une quarantaine de proses du graduel de Saint-Victor.

Adam Ha-Cohen (Abraham Dov Lebensohn, dit)

Écrivain russe de langue hébraïque (Vilnious 1794 – id. 1878).

Figure principale de la poésie hébraïque de la Haskalah en Russie. Sa poésie didactique se fonde sur trois grands thèmes : la foi et la vérité, à travers une tentative de conciliation de la raison et de la croyance, la connaissance, qui établit les limites de la connaissance humaine par rapport à la connaissance divine, la vie et la mort, évoquées dans une tonalité profondément pessimiste. (Poèmes en langue sainte, 1842-1895 ; Nouveaux Commentaires, 1858 ; Foi et Vérité, 1867).

Adamov (Arthur)

Auteur dramatique et traducteur français (Kislovodsk, Caucase, 1908 – Paris 1970).

Malgré son activité théâtrale et son engagement politique, Adamov est resté jusqu'au bout un étranger dans le monde, d'où il fait brutalement sécession en se suicidant en 1970. Issu d'une famille fortunée du Caucase (elle exploitait des puits de pétrole à Bakou), d'origine arménienne, ruinée et expropriée en 1917, il connaît l'amertume d'un exil précoce, et des années de misère en Suisse, en Allemagne puis en France, tandis que sa famille se défait tragiquement. À Paris, il fréquente le milieu des surréalistes et se lie à Antonin Artaud. Sur cette période, marquée par une souffrance existentielle terrible, et l'épreuve de l'internement dans les camps d'Argelès et de Rivesaltes, Adamov composera l'Aveu (textes écrits entre 1938 et 1943, publiés en 1946 ; reniés puis repris en 1969, sous le titre Je, Ils...), sous influence de Jung et de Kafka, où il évoque de manière poignante sa névrose et son impuissance sexuelle ; il y témoigne également de son inquiétude face à la nuit qui s'est abattue sur le monde, d'une perte irrémédiable du sacré, et de l'abandon de sa confiance dans un langage qu'il juge dégradé. Après la guerre, et sous l'influence d'Artaud (par qui il a découvert Strindberg), il se tourne vers le théâtre, pour y exorciser ses répulsions, ses angoisses, et les effets dévastateurs de la guerre. Participant au renouveau théâtral de ces années (Vilar, Serreau, Planchon monteront ses pièces), à l'instar de Beckett et de Ionesco, il remet en cause de manière radicale les catégories dramatiques traditionnelles (intrigue, personnages, psychologie), au profit d'un théâtre abstrait, allégorique et onirique, fait de violence (obsession de la persécution) et de désespoir métaphysique : la Parodie (1947) ; l'Invasion (1950) ; le Sens de la marche (1953) ; la Grande et la Petite Manœuvre ; Tous contre tous ; le Professeur Taranne (1953), Comme nous avons été. Au cours des années 1950, sous l'influence de Brecht, Adamov évolue vers un théâtre plus ouvertement politique, cherchant à rendre compte des mécanismes d'aliénation socio-économiques : Ping-pong, en 1955, joue sur l'obsession générée dans un café par une machine à sous, et le désir des personnages d'être employés par le « Consortium » ; Paolo-Paoli, en 1957, explore les faux-semblants de la mal nommée « Belle-époque » en évoquant les rivalités dérisoires d'un industriel spécialisé dans la « plume » et d'un négociant de papillons exotiques ; Printemps 71 (1961) compose une fresque ambitieuse sur la Commune de Paris ; la Politique des restes (1968) aborde l'injustice raciale aux États-Unis. Adamov attribue ainsi au théâtre un double objectif : montrer les maux « curables » de la société (domaine de la comédie) et les maux « incurables » de l'individu (territoire de la tragédie). Mais la fascination d'un monde clos et déchiré fait craquer de toutes parts cette utopie communautaire (Off Limits, 1969), éclatement que ressasse l'œuvre critique et autobiographique (Ici et maintenant, 1964 ; l'Homme et l'Enfant, 1968). Maniant le russe et l'allemand, Adamov publia également de nombreuses traductions et adaptations : Gogol (le Revizor, 1958 ; ainsi que les récits) ; Dostoïevski (Crime et Châtiment) ; Gorki (la Mère, les Ennemis, les Petits Bourgeois) ; Tchekhov (l'Esprit des bois ; et les grandes pièces) ; Strindberg (le Pélican, 1956 ; Père, 1958) ; Kleist (la Ruche cassée) ; Büchner (traduction de son Théâtre complet en collaboration avec Marthe Robert), Kleist, Kafka, Max Frisch, Piscator (le Théâtre politique), Jung, Rilke.