Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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Tousseul (Olivier Degée, dit Jean)

Écrivain belge de langue française (Landenne-sur-Meuse 1890 – Seilles 1944).

Cet autodidacte finit par se consacrer à la seule littérature. Ses récits, évoquant la vie du pays mosan, baignent dans une grisaille qui en estompe la dure réalité sociale. Deux vastes compositions cycliques dominent l'ensemble : Jean Clarambaux (cinq volumes, de 1927 à 936), et François Stienon (trois volumes, de 1938 à 1939). La première est avant tout vouée à justifier le progressif renoncement à la lutte sociale au profit d'un repli du héros sur soi et sur le territoire de la petite enfance. Saga révélatrice des espoirs, des frustrations et des désillusions d'une génération, d'une guerre à l'autre.

Tozzi (Federigo)

Écrivain italien (Sienne 1883 – Rome 1920).

Autodidacte, il travaille au Messaggero della domenica, dirigé par L. Pirandello. Ce dernier apprécie ses premières œuvres : des contes, des poésies, un poème, mais surtout une sorte de bestiaire moderne intitulé Bêtes (1917). Son premier roman, les Yeux fermés, récit de l'adolescence ratée d'un jeune homme, est publié en 1919. Cependant, Tozzi n'accède à la notoriété qu'après sa mort, en 1920, avec la publication de ses deux autres romans, le Domaine et Trois Croix, dont l'analyse psychologique sera le modèle de l'« existentialisme » de Romano Bilenchi (surtout pour son Anna et Bruno).

Traat (Mats)

Écrivain estonien (Meema 1936).

Venu à la poésie dans le contexte des années 1960 (Chansons frustes, 1962), il médite dans sa prose réaliste sur l'histoire et les problèmes présents de la paysannerie (Frappe à la Fenêtre jaune, 1966 ; Danse autour de la chaudière, 1971 ; Montez sur les Collines, 1987), tout en poursuivant une œuvre poétique tantôt narrative (Vies de Harala, 1976), tantôt plus intérieure et mélancolique (Fleurs de givre, 1989 ; Sans réponse, 1991).

tragédie

On peut reconnaître la vision tragique dans nombre d'œuvres, littéraires, philosophiques, artistiques, Œdipe roi, les mystères médiévaux, Hamlet, « les tragédies de Racine, les écrits de Kant et de Pascal, un certain nombre de sculptures de Michel-Ange » (L. Goldmann) : on peut ajouter à cette liste certains aspects du roman moderne, de Dostoïevski à Kafka, et du théâtre contemporain. Mais, si le tragique est universel, la discontinuité de l'évolution du genre tragique et la brièveté de ses périodes vivantes sont frappantes : le problème de la tragédie réside donc dans l'explication de la résurgence d'une forme si particulière à des époques et dans des civilisations éloignées, différentes dans leurs structures sociales, politiques, économiques. Cette explication a été cherchée dans une double direction : les ruptures historiques créées par l'apparition de nouvelles structures sociales expliqueraient les âges d'or de la tragédie, tandis que la permanence du tragique serait liée à ses fondements anthropologiques.

Le genre de la tragédie

Aristote faisait dériver la tragédie du dithyrambe, composition chantée et dialoguée exécutée lors des fêtes de Dionysos. Des hellénistes et des anthropologues modernes ont vu plutôt dans la tragédie la transformation de rites funéraires ou de mythes agraires (le mot, en grec, signifie « chant du bouc »). En tout cas, la tragédie, à ses débuts, a un caractère religieux, au sens où elle représente et institue un lien avec le sacré, mais aussi un caractère politique (le théâtre est institution d'État).

   Le même Aristote formalise, au nom de la recherche nécessaire d'un « effet propre » – la purgation des passions (catharsis) par le biais de la crainte et de la pitié inspirées aux spectateurs par la représentation (mimesis) des actions –, les moyens nécessaires pour y parvenir : prédominance du discours sur le spectacle, recherche du vraisemblable et du nécessaire, noblesse des personnages, conflits familiaux, concentration (unité de temps, unité de « style »). L'Europe de la Renaissance commente et décline ces diverses prescriptions soit dans le sens de l'extension et des « mélanges » (la tragédie baroque, la tragi-comédie), soit dans le sens de la restriction (la tragédie classique française, qui ajoute les règles de l'unité d'action et de lieu, ainsi que le respect des bienséances).

Histoire du genre

La tragédie grecque se développe et dégénère à Athènes, en moins d'un siècle, entre l'affadissement de l'âge de l'épopée et l'épanouissement de la philosophie (quand Aristote, dans sa Poétique, établit la théorie de la tragédie, tous les grands poètes tragiques ont disparu), au moment précis d'une double métamorphose : passage de la vengeance selon les lois du clan ou des puissances divines à la justice rendue par des tribunaux organisés par la cité ; passage du pouvoir des grandes familles aux institutions démocratiques. La tragédie se révèle alors comme l'expression critique d'un déséquilibre ou plutôt du moment incertain de constitution d'un équilibre nouveau.

   De la même manière, la tragédie française s'inscrit entre la vogue du roman de chevalerie (illustration de l'idéal collectif d'une société hiérarchisée) et l'avènement du roman moderne (poursuite individuelle de valeurs dégradées) au terme d'une longue évolution : le trajet qui va de la Cléopâtre captive de Jodelle (1552) à la Sophonisbe de Mairet (1634) correspond à la lente maturation d'une situation sociale, politique, idéologique, dont la problématique se posera en termes de plus en plus explicites à travers une forme de plus en plus directe et dépouillée : de 1637 (le Cid) à 1677 (Phèdre), de la tragi-comédie à la tragédie régulière, le conflit tragique s'intériorise et se resserre. On peut y voir (L. Goldmann, le Dieu caché, 1956) la déception historique d'une classe (la noblesse de robe) : sous un monarque absolu qui légifère même en matière de religion, il n'y a plus rien à faire. Sinon dans l'« élégance de l'expression », et, puisqu'il faut parler pour mourir sur le théâtre, réussir sa mort n'est pas autre chose qu'en affirmer l'expression. Pointe extrême de la tragédie (la parole ne dit plus que le vide et l'impossible), que ne pourront atteindre ni les horreurs calculées d'un Crébillon ni l'exotisme d'un Voltaire et que l'esprit des Lumières rendra caduque.

Le tragique

Le sentiment du tragique met en jeu une vision d'ensemble de l'existence humaine, de Hegel (Esthétique, 1832) à Nietzsche (la Naissance de la tragédie, 1871), et de Schopenhauer (le Monde comme volonté et comme représentation, 1819) à Unamuno (le Sentiment tragique de la vie, 1914). Toutefois si, comme le pense P. Ricœur (« Sur le tragique », Esprit, mars 1953), « l'essence du tragique ne se découvre que par le truchement d'une poésie, d'une représentation », les dramaturgies grecque et classique permettent de cerner le concept même d'action tragique : le débat tragique n'est qu'un combat singulier dans lequel la parole remplace l'épée, et son incarnation parfaite est dans la forme de la stichomythie (dialogue où les antagonistes se répondent vers pour vers).

   Pour en définir le « noyau », on peut dire qu'elle présente un héros, opposé à un ensemble qui le domine (une foule, une structure sociale, une idée obsédante, les puissances surnaturelles) et qui le fait souffrir, les péripéties de cette épreuve se manifestant en discours organisé selon des formes quasi rituelles. Cette souffrance est issue d'une faute personnelle (hamartia) qui, chez Aristote, sans relever de la méchanceté ou de la perversité, a cependant un caractère de profonde gravité. Tout le problème du tragique est alors de savoir si on doit accuser le héros d'un crime (scelus nefas chez Sénèque), ou d'une erreur (traduction de hamartia courante aux XVIe et XVIIe s.), ou encore d'un défaut (Vettori à la Renaissance, S. H. Butcher : notion de tragic flaw).

   Dans l'univers grec, à l'origine, la démesure (hubris), l'orgueil qui fait passer brutalement les bornes de la « condition » de l'homme, est « inséparable d'une folie divine » (S. Saïd, la Faute tragique, 1978). C'est le cas chez Eschyle pour qui l'injustice est inséparable de l'impiété ; à l'autre bout, chez Euripide, le droit se dispense de sanction religieuse, et on peut obéir aux dieux en violant les lois de la cité. De toute façon, le tragique ne peut jaillir que d'une opposition entre le divin et l'humain, saisis à la fois comme distincts et comme inséparables. Mais le tragique naît aussi de la confrontation de l'individu à la collectivité. Freud (Totem et Tabou, 1913) voit dans la faute rejetée sur le héros une représentation tendancieuse d'une faute en réalité collective, le meurtre du Père. Sa « passion » répète ainsi le forfait primitif, mais il est le seul coupable, le rédempteur, la victime émissaire. R. Girard (la Violence et le Sacré, 1972) y voit la représentation de la violence qui risque à tout moment de mettre en péril les sociétés humaines. Mais, comme cette violence est jouée, la tragédie tient un rôle analogue à celui du sacrifice dans la vie d'un groupe humain : elle reproduit la violence en la détournant (la catharsis).

   Ainsi, la tragédie voile et dévoile à la fois un même processus : l'homme affirme et finit par croire que c'est le dieu qui réclame le sacrifice. Le héros tragique « se livre en aveugle » au destin qu'il s'est construit tout exprès pour justifier un sort joué d'avance et dont il détient inconsciemment la clé, le héros tragique qui accepte d'être châtié pour un crime inévitable affirme à la fois la fatalité et la liberté de son acte. Mais une fois « le dieu caché », face à la transcendance, l'homme aura le choix entre l'absurde et l'ironie