Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
S

Simon (Claude) (suite)

« Portrait d'une mémoire »

Chacun des romans de Simon donne à lire une cartographie différente de la même mémoire, transformée et actualisée par le travail de la langue. D'un livre à l'autre, il convoque archives et souvenirs de famille, souvenirs personnels, souvenirs de souvenirs, souvenirs de la lecture et de l'écriture d'autres livres, pour faire et refaire l'inventaire d'un matériau autobiographique résistant que ces reprises, corrections, réécritures n'épuisent jamais, tant est grande l'exigence critique du romancier et aiguë sa conscience de la transformation des souvenirs au fil du temps.

   Celui dont la première ambition était d'être peintre considère le regard, un regard « avide », comme le sens privilégié de la mémoire. Des références artistiques extrêmement riches et diverses nourrissent dans ses romans des descriptions si méticuleuses qu'elles révèlent l'« aspect inconnu vaguement effrayant » que prend le réel visible dès lors qu'on le regarde vraiment. L'écriture de Simon, toute entière attachée à la « surface des choses », restitue celles-ci dans leur évidence et leur caractère énigmatique.

   La référence à la peinture a aussi pour fonction de contrer la nécessaire linéarité du langage : « J'écris mes livres comme on ferait un tableau. Tout tableau est d'abord une composition. » En effet, tout le « magma d'émotions, de souvenirs, d'images » se présente en même temps à la conscience, et la phrase simonienne rend sensible cet afflux : longue, sinueuse, englobante, insistante, proliférante, elle charrie une multitude de sensations et de détails ; truffée d'incises, de parenthèses, d'ajouts, de corrections, de digressions, indéfiniment reprise et recommencée, rarement balisée par les marques habituelles (liaisons absentes, ponctuation lacunaire, participe présent qui efface les repères temporels), elle est animée par le désir, qui lui confère sa force poignante et lyrique, de transcrire avec exactitude les mouvements de la conscience.

   Refusant les principes du roman traditionnel qui organise la succession des événements comme un enchaînement de causes et d'effets, l'écriture de Simon s'assigne pourtant pour mission de reconstruire en une structure cohérente la réalité présentée comme chaotique. Les « transports de sens » engendrés par les jeux sur les signifiants, les métaphores et les comparaisons, restituent les connexions, le « réseau de correspondances », qui constituent la structure de toute mémoire. Chaque roman fait en outre l'objet d'un montage rigoureux qui tente inlassablement de conférer un sens aux innombrables « tableaux détachés » composant la fresque complexe et lacunaire, subjective et universelle, de la mémoire.

Simon (Henri)

Écrivain belge de langue wallonne (Liège 1856 – id. 1939).

D'abord peintre, il s'orienta vers les lettres dialectales au lendemain du succès d'Édouard Remouchamps et écrivit pour le théâtre des comédies d'un ou deux actes qui dépeignent avec un réalisme sobre de menus travers humains finement observés (Janète, 1913). C'est surtout par le Pain du bon Dieu que Simon domine la poésie wallonne de son temps : cet unique recueil doit son titre au principal poème qui retrace, en 24 courts épisodes, l'histoire du blé devenant pain. À ces géorgiques d'un tour aussi original que le rythme en est varié, s'ajoutent la puissante évocation de la Mort de l'arbre, des proses poétiques, des tableautins impressionnistes en forme de rondeaux et quelques chansons comme l'élégie du Petit Rosier.

Simon (Richard)

Prêtre et historien français (Dieppe 1638 – id. 1712).

Oratorien et prêtre, il s'attaqua à l'exégèse biblique en historien et en philologue dans son Histoire critique du Vieux Testament (1678), avec un non-conformisme qui scandalisa aussi bien les catholiques que les protestants. Exclu de l'Oratoire, il se retira au prieuré de Bolleville, près de Fécamp, où il poursuivit ses recherches, polémiquant contre Port-Royal, l'Oratoire, ses détracteurs huguenots et l'archevêque de Paris. Son Histoire critique du Nouveau Testament (1689) et son Histoire critique des principaux commentateurs du Nouveau Testament (1693) ont fondé la critique biblique moderne.

Simonide de Céos

Poète grec (Céos v. 556 – Agrigente ? 468).

Il vécut successivement à la cour du tyran athénien Hipparque, en Thessalie, de nouveau à Athènes, où il aurait vaincu Eschyle en concours, puis auprès de Hiéron de Syracuse : premier « poète de métier », qui demande de l'argent pour son art, il compara la poésie à la peinture (« la peinture est une poésie silencieuse et la poésie une peinture qui parle »), et composa des épigrammes politiques (par exemple pour les cités victorieuses des guerres médiques), des dithyrambes, des thrènes et des odes d'apparat.

Simonin (Albert)

Écrivain français (Paris 1905 – id. 1980).

Avec Touchez pas au grisbi ! (1953), préfacé par Mac Orlan, et qui obtint le prix des Deux-Magots, il fit entrer dans la littérature policière l'argot français, la langue des voyous et des truands des villes, à laquelle il consacra un dictionnaire, préfacé par Cocteau (le Petit Simonin illustré, 1957). Sur un fond de banditisme et de violence se déploie un verbe truculent, baroque, si vivant que, noyant parfois l'intrigue, il devient presque en lui-même le thème majeur du récit (Le cave se rebiffe, 1954 ; l'Élégant, 1973). Il fut aussi scénariste et dialoguiste. Ses Mémoires restèrent inachevés (Confessions d'un enfant de la Chapelle, 1977).

Simonov (Kirill Mikhaïlovitch, dit Konstantine)

Écrivain soviétique (Petrograd 1915 – Moscou 1979).

Élevé par un beau-père militaire, il consacre son œuvre, dès ses débuts (le Vainqueur, 1937), au thème de la guerre et du courage. Le titre de l'un de ses drames, Un gars de notre ville (1941), passa dans le langage courant pour désigner les hommes de cette génération qui se sacrifièrent héroïquement. Le conflit lui inspira des vers qui, par leur lyrisme intime, devinrent très populaires (« Attends-moi... », 1941) et qui eurent sur les combattants un impact psychologique dépassant la simple propagande. Il est le premier à raconter la bataille de Stalingrad dans les Jours et les Nuits (1943-1944) et, une fois la paix revenue, il participa à la polémique anti-américaine, mais se consacra avant tout à poursuivre cette œuvre de mémoire dont l'aboutissement est une trilogie, les Vivants et les Morts (1959-1971), vaste fresque qui rend hommage à l'héroïsme des soldats soviétiques, sans dissimuler les erreurs, les revers, les lâchetés individuelles.