Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
R

Renart (Roman de)

Série de « branches », récits plus ou moins développés, composés par des auteurs multiples, à des époques différentes (entre 1170 et 1250 environ). Les branches renardiennes se regroupent en gros en trois familles : la première attribuée à Pierre de Saint-Cloud, qui va du Jugement de Renart jusqu'à Renart empereur ou bien la Mort de Renart ; la seconde formée de récits composites ; la troisième qui est marquée par un souci de chronologie et de linéarité, et s'intéresse aux enfances du personnage, en écho aux enfances des héros épiques et romanesques – elle relate la naissance de Renart jusqu'à sa mort, précédée de son apothéose. Ces récits parodient les chansons de geste et les romans courtois, à l'aide de figures animales remplissant les fonctions des dames et des héros. Les sources en sont variées : on peut citer l'Ecbasis captivi (Xe s.), qui expose le conflit du loup et du goupil, et surtout l'Ysengrimus de Nivard de Gand (1152), où s'ébauche la typologie des animaux. S'y ajoutent l'influence des fables ésopiques gréco-latines, adaptées en français dans des recueils (Isopet) et reprises par Marie de France, et le poids du folklore ou l'importance des contes d'animaux à fonction étiologique ou mimologique. L'initiative décisive a été de mettre Renart au premier plan de toutes les histoires et de développer une image de la société animale. Relativement à leur richesse, les branches de Renart témoignent d'une tradition et d'un choix bien précis. C'est par rapport à la cour du lion Noble que la rivalité de Renart et Ysengrin prend son sens, mimant un conflit féodal. Dès le début, référence est faite à l'organisation de la société humaine qui, sans conduire immédiatement à la satire, en prépare le terrain par l'image de la comédie sociale. Dérision qui suppose un recul, une distance des auteurs, suggérant le regard philosophique du clerc sur la vie politique, guerrière ou mercantile. On passe donc aisément à une critique plus précise et plus mordante, évolution qui s'accuse sous le règne de Philippe Auguste pour aborder indirectement des questions d'actualité. Au début du XIIIe siècle s'observe une transformation sensible du personnage. De héros trompeur mais sympathique, moquant les travers d'une société mi-fictive, mi-réaliste, Renart devient un personnage odieux, le symbole de l'hypocrisie et de la trahison. Cela s'accompagne d'un anthropomorphisme grandissant, les animaux s'humanisant de plus en plus sur le modèle du bas clergé et des paysans. Par la suite, la satire l'emporte du reste définitivement dans Renart le Bestourné de Rutebeuf (1270), le Couronnement de Renart (apr. 1251), Renart le Nouvel de Jacquemart Gielée (1288) et Renart le Contrefait (vers 1320). Renart devient une figure essentielle de la littérature française : exprimant la liberté de l'esprit et sa gaieté, sa ruse a servi d'exutoire à la récrimination morale ou sociale, et elle incarne la revanche de l'esprit bourgeois sur les valeurs chevaleresques et féodales.

Renaut de Beaujeu
ou Renaut de Bâgé

(fin XIIe s. – début XIIIe s.).

Seigneur de Saint-Trivier (dans l'Ain), qui fut aussi trouvère, il est surtout connu par son roman en vers, Guinglain ou le Bel Inconnu. Si l'influence des romans de Chrétien ou du Lanzelet, le Lancelot allemand, est évidente, l'originalité de Renaut de Beaujeu est d'avoir fait de son héros Guinglain, fils de Gauvain et de la fée Blanchemal, un être partagé entre deux formes d'amour et deux formes de rapport au monde. Guinglain finit par épouser, à la demande du roi Arthur, la reine qu'il a délivrée d'un horrible enchantement (l'épreuve du Fier baiser), mais après avoir conquis et goûté l'amour de la fée de l'Ile d'Or. Quant au narrateur, il se déclare prêt à remettre en question le choix raisonnable de son héros et à le faire retourner auprès de la fée si sa dame à lui accepte son amour. L'intérêt de ce roman est donc aussi bien dans la réécriture qu'il propose des motifs arthuriens, que dans l'alliance qu'il tisse avec la lyrique courtoise, et dans la manière dont il aborde les rapports de l'individu en quête de son identité et de la société dans laquelle il accepte finalement de s'inscrire.

Rendell (Ruth)

Écrivain anglais (Londres 1930).

Aussi célèbre que P. D. James, Ruth Rendell peut également prétendre au titre de « reine du crime ». Dans Un amour importun (1964), son premier roman, elle crée le personnage de l'inspecteur Reg Wexford, personnalité riche dont la vie privée intéresse le lecteur autant que le suspense entretenu tout au long d'intrigues savamment construites et reposant sur une étude sociale poussée. Ruth Rendell est aussi l'auteur de romans dans lesquels elle analyse en détail les motivations psychologiques (et souvent sexuelles) de criminels violents (la Demoiselle d'honneur, 1989). Elle publie également sous le pseudonyme de Barbara Vine.

Rendra (Willibrordus Surendra)

Écrivain indonésien (Solo, Java, 1935).

Il fait des études, inachevées, au département d'anglais de la faculté des arts de l'université de Gajah Mada à Jogjakarta. Après avoir travaillé au théâtre de sa ville natale, il fonde, en 1961, un groupe d'art dramatique à Jogjakarta. En 1964, il part étudier aux États-Unis le théâtre et la danse puis fonde, après son retour en 1968, un « Atelier de théâtre » (Bengkel Teater). Considéré comme le plus grand poète indonésien actuel (la Ballade des bien-aimés, 1957 ; Quatre Recueils de poèmes, 1961 ; Blues pour Bonnie, 1971 ; Poèmes des vieux souliers, 1972), c'est aussi l'homme de théâtre le plus populaire (l'Histoire du condor et du mastodonte, 1973). Il a traduit Sophocle, B. Shaw, Brecht et Ionesco.

René Ier

Duc d'Anjou, comte de Provence et roi de Naples (Angers 1409 – Aix-en-Provence 1480).

Héritier d'une lignée de mécènes (son grand-père, Louis Ier d'Anjou, commanda la tenture de l'Apocalypse d'Angers), esprit curieux et cultivé mais homme d'action malchanceux, René d'Anjou a gardé la réputation d'un souverain paternel (le « Bon Roi René »), d'un mécène avisé et d'un homme de livres comme le montre sa bibliothèque par la variété des sujets et par le travail et la richesse des enluminures sur lesquelles il a veillé. Dans le domaine littéraire, il protégea des écrivains comme Antoine de La Sale, précepteur de son fils aîné, échangea des poèmes avec Charles d'Orléans, encouragea la représentation des mystères, dont le Mystère de la Passion qu'il fit jouer à Angers. S'adonnant lui-même à la littérature, il composa des ouvrages en prose didactiques ou moraux, tels le Traictié de la forme et devis d'un tournoy (1451-1452), des poésies (rondeaux, cantiques), où survit la tradition aristocratique médiévale, et deux grandes œuvres allégoriques en prose et en vers, qui se répondent, le Mortifiement de vaine plaisance (1455) et le Livre du cuer d'amours espris (1457). Dans la première, l'âme, personnifiée, plaint son cœur, victime des plaisirs du monde, et le confie à Crainte de Dieu et Contrition pour le purifier. Dans la seconde, c'est le cœur qui est personnifié. Le prince, combinant un récit de quête aventureuse, dont le modèle est la Queste del saint Graal, et un système allégorique dérivant du Roman de la Rose, présente l'histoire de son cœur, poussé par Désir à conquérir la grâce de la dame aimée. L'itinéraire se déploie sur une carte du Tendre, surtout douloureuse, conduisant à l'Hôpital d'Amour, avec de nombreuses allusions aux héros de la chevalerie et aux contemporains. Si les formes sont anciennes, la dimension personnelle contribue à les renouveler et la fin poignante de cette quête secrètement mystique reflète les traits de l'écriture mélancolique de l'époque.