Dictionnaire de la Littérature 2001Éd. 2001
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tragi-comédie

Chez Plaute (Amphitryon), le terme désigne une pièce où les dieux et les rois sont mêlés à une aventure comique. À l'âge moderne, la tragi-comédie est soit une tragédie qui finit bien, soit une tragédie où des épisodes comiques s'insèrent dans l'intrigue tragique. La Bradamante (1582) de Garnier passe pour la première tragédie-comédie, mais c'est A. Hardy qui développa le genre (la Force du sang, Elmire), dont F. Ogier fit la théorie (préface de Tyr et Sidon de J. de Schélandre, 1608). Ce genre vécut près d'un siècle, avec une période de faveur particulière entre 1625 et 1650 (Du Ryer, Mairet, Rotrou, T. Corneille). Il emprunte volontiers ses sujets au fonds romanesque ou chevaleresque, refuse les unités, aime les coups de théâtre et les intrigues foisonnantes, et amoureuses : « La fable était ce qui faisait le moins de peine à nos poètes, et pourvu qu'ils eussent mêlé confusément les amours, les jalousies, les duels, les déguisements, les prisons et les naufrages sur une scène divisée en plusieurs régions, ils croyaient avoir fait un excellent poème dramatique » (Sarasin, « Discours sur la tragédie », préface à l'Amour tyrannique de Scudéry, 1639). La tragi-comédie fut combattue par les « doctes » et les critiques, et elle finit par être vaincue par la tragédie. Mais l'époque moderne se reconnaît volontiers dans ce genre, au fond proche du drame romantique.

Traherne (Thomas)

Poète anglais (Hereford v. 1637 – Teddington 1674).

Fils de cordonnier, prêtre, moraliste (Éthique chrétienne, 1675), il donne avec ses Siècles de méditations (en prose), qui ne seront publiés qu'en 1908, et ses Extases, éditées en 1910, la version la plus émerveillée de l'épicurisme chrétien. L'amour de Dieu se confond avec la beauté du monde pour celui qui a conservé la splendeur du regard de l'enfant. Son individualisme, qui le pousse à utiliser ses poèmes pour mettre en scène son ego, fait de lui un précurseur du romantisme.

Trai Phum
(les Trois Mondes)

Version cambodgienne (recueillie verbalement depuis le XIIIe s. et rassemblée définitivement en 1778) du Trai Bhumi, traité de cosmogonie indien, dont il existe plusieurs versions dans les pays du Sud-Est asiatique. Connu au Cambodge comme étant la description des mondes de renaissance, à travers les diverses conditions de la transmigration, le Trai Bhumi frappa l'imagination populaire par la représentation détaillée des différents enfers aux supplices impressionnants, et celle du ciel des Trente-Trois Dieux, sur lesquels règne le dieu Indra, ou Sakka. Entre les deux, notre continent, le Jambudipa, déploie ses paysages autour du Mont Meru. Bien qu'il ait hérité d'une cosmologie qui lui est antérieure et ne l'ait pas remise en question, le bouddhisme a intégré le « monde tel qu'il est », avec l'ensemble de ses créatures : êtres infernaux, preta (damnés), asura (démons ou ennemis des dieux), animaux, hommes, deva (dieux), et les a tous placés dans l'obédience de la Loi (Dhamma). Les Trois Mondes sont : le monde du Désir (Kamabhumi), le monde de l'Apparence ou de la Forme (Rupabhumi), et le monde de l'absence d'Apparence ou absence de Forme (Arupabhumi). Ces trois « territoires » sont eux-mêmes subdivisés en étages, où chacun mène pour un temps déterminé l'existence dans laquelle ses mérites ou ses démérites lui ont valu de renaître. Dans la pensée populaire, des choix se sont opérés, gardant bien présents et imagés les étages du Kamabhumi où vivent les damnés, les animaux, les hommes, les démons et les dieux, et laissant plus ou moins dans l'ombre les abstractions des mondes supérieurs, « où il n'y a plus notions ni absence de notions ». Le Thrai Phum a inspiré de nombreuses peintures, et certains bas-reliefs d'Angkor-Vat. La représentation des supplices des enfers froids et des enfers chauds, celle du mont central de l'Univers, celles des palais célestes et des « jardins de plaisance » des dieux, comme celle d'une vision cyclique de l'espace et du temps, l'ont emporté sur la théorie d'une progression vers le nibbana.

Trakl (Georg)

Poète autrichien (Salzbourg 1887 – Cracovie 1914).

Hanté par l'amour incestueux pour sa sœur et par l'androgynie qui sauverait l'homme de la malédiction du sexe, Trakl, cet « étranger sur terre », est l'authentique héritier autrichien de Rimbaud. Son seul havre de paix est la maison de Ludwig von Ficker, l'éditeur du Brenner, où paraissent ses poèmes de 1912 à 1914. Après la bataille de Grodek (titre de son dernier poème), Trakl meurt à l'hôpital militaire de Cracovie d'une surdose de cocaïne. À ses débuts, il subit les influences du symbolisme et du néoromantisme. À partir de 1910, il se crée un nouveau langage poétique correspondant au « chaos infernal de rythmes et d'images » qu'il sent en lui. Hölderlin et Rimbaud déterminent sa vision apocalyptique du monde et la naissance d'un chant poétique unique dans la littérature allemande de ce siècle (Elis, Hélian). Seul un mince recueil de ses poèmes a été publié de son vivant, en 1913. Du second volume (Sébastien en rêve), il n'a vu que les épreuves. Ses derniers poèmes ont paru dans le Brenner en 1915.

Tranströmer (Tomas)

Poète suédois (Stockholm 1931).

Ses poèmes, au style fluide, musical et recherché, chantent la magie de la nature, l'unité de l'Univers et le besoin de liberté (17 Poèmes, 1954 ; Sentiers, 1973 ; Lacs de l'Est, 1974 ; la Barrière de la vérité, 1978 ; Molkom : promenade, 1980). Traduit en 30 langues, il a été récompensé par de nombreux prix. Les Souvenirs m'observent (1993), à caractère autobiographique, constituent son unique contribution en prose.

Trassard (Jean-Loup)

Écrivain français (Saint-Hilaire-du-Maine, Mayenne, 1933).

Puisant dans une mémoire de la petite enfance rurale, ravivée par une pratique agricole continue, il privilégie les récits courts, entre nouvelle fantastique et poème en prose. Marqués par les métamorphoses et un réseau d'images sensuelles et profondes, ceux-ci cernent le plus souvent un lieu archétypal, œdipien et chaud : la domus (la ferme, ses dépendances et son territoire), objet d'un arpentage visuel dont les nombreux livres qui associent textes et images (Trassard expose régulièrement ses photographies depuis 1983) sont les témoins, des premiers recueils (Paroles de laine, 1969 ; l'Amitié des abeilles, 1961) aux livres de photographies plus récents (Inventaire des outils à main dans une ferme, 1981 ; les Derniers Paysans, 2000). Soucieux de transmettre la richesse du monde paysan et de son mode de vie, Trassard s'attache aux espaces et aux outils d'une civilisation amenée à disparaître. Son investigation ne se limite pas à la ruralité française, mais remonte à l'anthropologie du passé (il fut élève de Leroi-Gourhan), et s'aère en d'autres lieux (Campagne de Russie, 1989).